Les pure players bientôt obligés d'ouvrir une boutique physique ?


Bruxelles prévoit de permettre aux fabricants d'imposer aux e-marchands d'ouvrir un magasin brick-and-mortar. eBay mène la fronde contre cette régulation qui devrait entrer en application dès juin.

La Commission européenne est en train de mettre au point de nouvelles règles qui remplaceront la réglementation libérant les distributeurs en ligne de certaines restrictions en matière de concurrence, en vigueur jusqu'à fin mai. Parmi ces nouvelles règles une mesure s'en prend directement aux pure players, puisqu'elle permettrait aux fabricants de forcer les marchands commercialisant leurs produits à posséder une boutique physique. Raffinement supplémentaire : ils pourraient également imposer qu'un chiffre d'affaires minimal soit réalisé offline.

L'idée consiste à protéger des e-commerçants les fabricants fonctionnant sur un modèle de distribution sélective. Imposer l'ouverture d'un magasin servirait par exemple à restreindre le free-riding, qui voit les consommateurs prospecter dans les boutiques physiques avant de rentrer acheter moins cher sur Internet. "Sauf que les études les plus récentes montrent que les consommateurs adoptent désormais beaucoup plus souvent l'approche inverse : ils se renseignent sur le Web avant l'aller acheter en magasin", souligne Richard Nash, en charge des affaires réglementaires pour eBay à Bruxelles.

eBay, qui aux côtés de l'EMOTA (European E-commerce and Mail Order Trade Association) et de plusieurs associations de consommateurs essaie d'infléchir cette mesure, la dénonce comme dangereuses pour l'e-commerce, pour l'innovation, pour l'emploi, pour le choix des consommateurs et pour les PME. La plate-forme peut d'ailleurs s'appuyer sur les 750 000 signatures recueillies par sa pétition (lire l'article eBay présente à l'UE sa pétition anti-distribution sélective, du 17/09/2009). eBay souligne en outre que si les marques de luxe seraient sans doute les premières à s'emparer de cette possibilité, elles seraient probablement suivies par d'autres acteurs défendant la distribution sélective, notamment dans la puériculture, le jouet ou encore l'équipement de jardin.

Comment cette règle s'appliquerait-elle aux sites étrangers ? Les e-commerçants devraient-ils ouvrir un magasin dans tous les pays où ils vendent ? Comment s'assurer que le chiffre d'affaires à réaliser offline sera raisonnable ? Que pourra exactement imposer le fabricant ? Qu'adviendra-t-il de tous les petits e-commerçants n'ayant pas les moyens d'ouvrir un magasin brick-and-mortar ? Selon eBay, le projet de réforme manque beaucoup de clarté et risque surtout de conduire à de nombreux litiges… alors qu'il comporte aussi des avancées importantes.

"Les régulations actuelles ont 10 ans, rappelle Richard Nash. Dans de nombreux cas, les changements apportés sont positifs. Par exemple, la Commission maintient son approche distinguant vente en ligne active et passive : les fabricants n'ont pas le droit d'empêcher les sites marchands de livrer dans les pays d'Europe où ils n'ont pas de site." La nouvelle régulation réaffirme de plus le principe de non-discrimination de l'e-commerce : on ne peut pas imposer des critères plus stricts aux sites marchands qu'aux boutiques physiques, en leur demandant par exemple de mettre en place des e-boutiques séparées pour des catégories de produits différentes.

Suite à une consultation publique menée l'été dernier, le commissaire européen à la concurrence a soumis son projet de réforme aux autres commissaires avant adoption formelle par la Commission courant avril. Il restera alors un mois pour traduire le texte avant sa mise en application, prévue pour début juin.