Tim Brown (Allbirds) "Allbirds est rentable depuis ses débuts"

Créée il y a quatre ans, la marque de chaussures Allbirds est portée partout à New York et dans la Silicon Valley. Son cofondateur revient sur le succès de la nouvelle DNVB star américaine.

JDN. Avant d'être entrepreneur, vous étiez footballeur professionnel au sein de la ligue australienne. Qu'est-ce qui vous a conduit à créer la marque de chaussures Allbirds ?

Tim Brown est le cofondateur et co-CEO d’Allbirds. © Allbirds

Tim Brown. Lorsque j'étais footballeur, j'étais sponsorisé par une grande marque de sport. Leurs chaussures de sport arboraient souvent de grands logos avec beaucoup de couleurs et il était difficile de trouver des modèles simples. J'ai commencé à fabriquer des chaussures que je vendais au départ à mes coéquipiers. Je ne connaissais pas grand-chose à ce secteur mais j'ai vite découvert que la plupart des marques n'utilisaient pas de matériaux bons pour l'environnement. J'ai donc eu l'idée d'utiliser la laine, une matière durable très répandue en Nouvelle Zélande. Sur les conseils d'un professeur en école de commerce, j'ai lancé une campagne Kickstarter pour financer mon concept, après avoir réalisé pas moins de 200 prototypes.

Quelles ont été les résultats de cette campagne ?

En seulement quatre jours, j'ai reçu 1 000 commandes. J'ai même dû mettre un terme à la campagne car je n'avais pas assez de matières pour répondre à la demande. Peu de temps après, j'ai rencontré mon cofondateur, Joey. Il avait participé à la campagne et était très enthousiaste à l'idée de créer une marque de chaussures à partir de matériaux durables. Ensemble, nous avons créé Allbirds en mars 2016 à San Francisco, sa ville natale. Aujourd'hui, l'entreprise emploie 400 collaborateurs avec des bureaux aux US mais aussi à Berlin, Shanghaï ou encore Londres. Allbirds est une marque direct-to-customers qui distribue ses produits en ligne et à travers un réseau de quinze magasins.

En quoi ce modèle direct-to-customers est-il intéressant selon vous ?

Cela nous permet d'être focus sur les attentes du client et nous donne beaucoup de flexibilité. Par exemple, nous n'avons pas besoin d'attendre la fin d'une saison pour améliorer nos produits. De ce point de vue, nous fonctionnons davantage comme une entreprise du secteur du software que comme une entreprise de la mode. Nous avons par exemple apporté 27 améliorations à notre modèle Runners. Mais nous n'avons jamais fait de deuxième version, il s'agit du même modèle qui est constamment amélioré, que ce soit au niveau du design, de la durabilité des matériaux utilisés, etc. Aussi, nous utilisons beaucoup les réseaux sociaux ainsi que nos magasins pour récolter des feedback puisqu'il n'existe aucune intermédiaire entre nous et nos clients.

Vos tennis en laine ont fait des adeptes dans la silicon valley puisque votre marque compte parmi ses clients Larry Page (cofondateur de Google) ou Dick Costolo (cofondateur de Twitter). Pourquoi cet engouement à votre avis ?

Notre adoption par la communauté tech de la baie de San Francisco a été quelque chose de fantastique. C'est un endroit où les gens accueillent l'innovation à bras ouvert et beaucoup ont répondu avec enthousiasme à notre concept visant à fabriquer de manière écoresponsable nos produits. Ceci dit, cette clientèle représente une petite partie de notre business. New York est en fait notre premier marché et nous comptons également des clients dans des communautés très différentes.

Comme beaucoup de DNVB, vous avez démarré par la vente en ligne avant d'ouvrir des magasins. Comment faites-vous pour maintenir des marges intéressantes en supportant les coûts fixes liés au retail physique ?

Il est commun de penser qu'ouvrir des magasins coûte cher. Mais on ne pense pas assez à tous les coûts qui existent lorsque vous gérez un business en ligne. Ce n'est pas gratuit. Il n'a sans doute jamais été aussi facile de lancer un site e-commerce, certes, mais l'environnement est aujourd'hui très compétitif et beaucoup d'entreprises se battent pour capter l'attention du client. Le rôle du magasin est double : il permet de distribuer les produits mais aussi de faire du marketing. Nous constatons que beaucoup de clients apprécient venir dans nos magasins pour toucher et essayer nos produits et en découvrir davantage sur la provenance de nos matières. C'est pourquoi cette stratégie brick and mortar joue un rôle important dans notre plan de croissance.

Quelle est la clé pour une stratégie retail réussie ? Prévoyez-vous d'ouvrir un magasin en France ?

Le plus important sont les collaborateurs qui travaillent dans nos magasins. Nous voulons qu'Allbirds soit une entreprise où il fasse bon travailler. Car, in fine, vous pouvez créer le plus beau magasin du monde, si vous entrez dans une boutique et que le vendeur s'occupe mal de vous, vous allez en ressortir avec une mauvaise expérience. Le bien-être de nos employés est donc primordial. Neil Blumenthal (fondateur de Warby Parker et membre du conseil d'administration d'Allbirds, ndlr) a dit : "le retail n'est pas mort, le retail médiocre est mort". Je crois qu'il a complètement raison. Concernant la France, rien n'est prévu pour cette année, nous n'avons donc rien à annoncer. Notre site est par contre disponible en français depuis juillet dernier.

Comme beaucoup de DNVB, vous ne pratiquez jamais de réductions ou de soldes. Pourquoi ?

Nous ne prétendons pas être les moins chers mais nous mettons en avant notre rapport qualité-prix. Notre modèle Runner coûte 95 dollars et est composé de matières qui sont utilisées par les plus grande marques de luxe telles que Armani ou Gucci. Si nous arrivons à utiliser ces matières durables et responsables que sont la laine ou la fibre d'eucalyptus, c'est précisément grâce à nos marges. Lorsque vous commencez à rogner sur vos marges, vous ne pouvez plus utiliser ces matériaux de qualité et vous devez alors utiliser des matières synthétiques, ce que nous ne voulons pas.

L'entreprise est-elle rentable ? Après avoir levé un total de 77 millions de dollars, comptez-vous lever à nouveau des fonds ?

Oui, Allbirds est rentable depuis le début. Nous avons toujours fait très attention à la gestion de notre entreprise car notre objectif est de créer une marque qui perdurera dans le temps, tout en ayant un impact positif sur l'environnement. 

Concernant votre seconde question, nous avons levé des fonds par le passé lorsque nous en avons eu besoin. Les fonds levés ont permis d'accélérer notre croissance notamment pour ouvrir nos magasins ou notre bureau en Chine. Nous continuons également d'investir dans l'innovation pour rechercher de nouvelles matières durables. Je ne sais si nous lèverons encore des fonds. Cela dépendra de nos besoins mais nous n'avons rien de prévu pour le moment.

Quelle est votre stratégie pour faire face aux entreprises qui copient vos chaussures, à commencer par Amazon qui a notamment copié votre modèle phare, le Wool Runner ?

Amazon a sûrement plus d'avocats que nous n'avons de collaborateurs. Ma réponse tient donc en un mot : l'innovation. Il faut que nous continuions à exécuter rapidement et à utiliser de nouvelles matières tout en restant à l'écoute de nos clients. Amazon a par exemple copié le look de nos chaussures sans toutefois utiliser les mêmes matériaux. Nous les encourageons donc à copier l'empreinte environnementale de nos produits en utilisant des matières bonnes pour la planète (en novembre 2019, Allbirds a écrit une lettre à Jeff Bezos pour inviter l'entreprise à utiliser des matières écoresponsable, ndlr). Nous sommes dans une situation assez urgente de ce point de vue-là et beaucoup d'entreprises n'en font pas assez dans ce domaine. Notre frustration se concentre donc plutôt sur ce point.

Cet engagement pour l'environnement est-il un argument important pour vos clients ?

Les clients n'achètent pas des produits parce qu'ils sont écologiques ou durables, ils achètent avant tout de bons produits. Ceci dit, les attentes des consommateurs concernant les comportements des entreprises n'ont jamais été aussi grandes, notamment sur les questions sociales et environnementales. Le mouvement B Corp aux Etats-Unis en est symptomatique et prouve qu'il est possible de créer des entreprises qui ont un impact positif sur le monde. Allbirds bénéficie de cette certification mais nous sommes allés plus loin en annonçant l'an dernier être devenu une entreprise avec un bilan carbone neutre.

Nous voulons aussi rassurer nos clients. Pour cela, nous leur offrons une garantie de 30 jours qui leur permet d'essayer les chaussures et de les ramener à tout moment pour obtenir un remboursement intégral. Les chaussures retournées sont alors le plus souvent données à une association. La grande majorité de nos clients qui les essaient les conservent, donc ce n'est pas vraiment un problème pour nous.

Allbirds a commencé à se diversifier en commercialisant une gamme de chaussettes. L'objectif, à termes, est-il d'habiller vos clients de la tête aux pieds ?

Avec le temps, qui sait ? Ce que nous faisons n'est pas évident : nous utilisons des matières premières qui n'avaient jamais été utilisées jusque-là dans la fabrication de chaussures, ce qui a nécessité la création d'une chaîne logistique nouvelle. Pour vous donner une idée, il nous a fallu deux ans pour développer cette gamme de chaussettes fabriquées à partir de laine ZQ Merino et d'eucalyptus. Si nous développons d'autres types de produits, nous capitaliserons probablement sur le travail réalisé pour créer cette gamme de chaussettes. Nous avons de beaux projets dans les cartons mais nous voulons aussi rester concentrés sur quelques produits pour ne pas trop nous éparpiller.

Tim Brown est le cofondateur et co-CEO d'Allbirds, une marque de chaussures écoresponsable au design épuré, créée en 2016 à San Francisco. Avant cela, il était footballeur professionnel. Il a participé à la coupe du monde 2010 en Afrique du Sud avec l'équipe de Nouvelle Zélande. Il est diplômé d'un BS en Design de l'Université de Cincinnati et d'un Master en Management de la London School of Economics.