Le retail et la grande distribution face au défi de l'hyper-segmentation

La crise du Covid-19 va-t-elle pousser les acteurs du retail et de la grande distribution à repenser leurs stratégies d'implantation ? Prendre en compte les nouvelles réalités sociales et géographiques est une clé essentielle pour adresser le besoin d'hyper-segmentation qui se renforce à mesure que les modèles de consommation évoluent.

Confinement et premières semaines du déconfinement ont déjà permis de voir émerger certaines tendances qui semblent susceptibles d’influer à court et moyen terme sur les décisions d’investissement et désinvestissement que les enseignes et les marques doivent mettre à l’étude pour rester à l’écoute de leur marché.

La montée en puissance du télétravail

A partir du 17 mars 2020, environ 5 millions de Français ont cessé de se rendre sur leur lieu de travail et sont passés au télétravail à temps plein. Tous étaient loin d’être préparés à un tel changement d’organisation, mais au final cette période semble avoir démontré que le télétravail est une option tout à fait viable.

Va-t-on pour autant assister à une généralisation du télétravail ? Le scénario qui se dessine est plutôt une augmentation sensible du nombre de salariés qui aspirent à télétravailler 1 ou 2 jours par semaine, motivés par un allégement des temps de transport. Un changement qui peut modifier certaines pratiques de consommation directement associées au lieu de travail et avoir un impact à la baisse sur la fréquentation de certaines catégories de commerces, en particulier les petites surfaces alimentaires (type Monop’) implantées dans les quartiers de bureaux, et les enseignes installées dans les galeries marchandes des gares et quartiers d’affaires.

Imaginons que x% des salariés ne se rendent plus au bureau que 3 jours par semaine au lieu de 5. A partir de quelle valeur de x cela a-t-il des conséquences pour ces retailers ? Dans quelles villes, quels quartiers ? A quelles conditions peuvent-ils maintenir leurs points de vente dans les quartiers les plus touchés par ce phénomène ? Faut-il fermer des points de vente ou inventer un nouveau format pour conserver une présence ?

L’exode des Franciliens

Après deux décennies de gentrification des hyper-centres, les ménages citadins les plus aisés vont-ils abandonner les grandes villes ? Une partie de ceux qui, dès le début du confinement, ont quitté la région parisienne pour leur résidence secondaire ou une maison de famille disent avoir sérieusement envisagé de s’installer en province.

Mais on ne change pas de vie du jour au lendemain… Les professionnels de l’immobilier se sont inquiétés de l’impact que pourrait avoir ce type de décision sur le marché résidentiel, notamment parisien. A ce jour, l’hypothèse ne s’est pas confirmée au niveau des transactions immobilières – du moins pas encore. Century 21 note néanmoins une hausse de 156% des recherches sur l’item « maison de campagne » depuis la fin du confinement et voit se renforcer l’attrait pour le Bassin d’Arcachon, le nord de la Bretagne, la Haute-Normandie ou encore l’Aisne.

Il va de soi que le passage à l’acte d’une partie de ces ménages s’accompagnerait d’attentes spécifiques en matière de commerce, notamment alimentaire. Connaissant leur appétit pour le bio et le local, les grandes enseignes seront-elles en mesure de répondre avec le niveau d’authenticité attendu ? Sauront-elles rapatrier leur offre en centre-ville, sachant que cette clientèle ne veut plus fréquenter les traditionnels supermarchés installés en périphérie ? L’arrivée d’une population à plus fort pouvoir d’achat justifierait-elle l’implantation de certaines grandes enseignes non alimentaire au cœur des villes moyennes ? Faut-il au contraire renoncer à une présence physique et tout miser sur le e-commerce ?

Un reflux persistant de la consommation

Les ménages français ont épargné 55 milliards d’euros au cours de 8 semaines de confinement, a estimé la Banque de France. Contrairement à ce que pouvaient espérer les commerçants, la liberté de circulation retrouvée ne s’est pas accompagnée d’une explosion de la consommation : les Français ont continué à épargner, portant le pactole à 75 milliards début juillet 2020. Pour l’économiste Xavier Timbeau (OFCE), la réinjection de ces milliards dans la consommation « est une des clés de la reprise, beaucoup d’activités sont suspendues à l’utilisation de cette épargne. Mais la situation incertaine pourrait pousser des ménages à thésauriser. »

Du côté des acteurs du retail et de la grande consommation, Philippe Goetzmann rappelle à juste titre que les crises amènent toujours des défaillances et conduisent à une consolidation de l’offre : les acteurs qui sont rentrés sains dans la crise rachètent ceux qui y sont rentrés en moins bonne santé, et en sortent renforcés en part de marché. Or, depuis 15 ans les attentes des consommateurs sont inverses. Ils veulent de la différenciation, de l’hyper-segmentation. Cette tendance risque de s’accentuer de façon critique, imposant aux acteurs de la consommation de développer fortement la segmentation de l’offre. 

Face à ces problématiques, les retailers et acteurs de la grande distribution ont tout intérêt à inscrire les nouvelles réalités sociales dans les territoires, pour identifier des scénarios et construire des offres viables dans un pays durablement bouleversé.