Nicola Kilner (Deciem) "Chez Deciem, l'innovation doit venir de notre laboratoire et non de notre département marketing"

Distribuant ses produits cosmétiques dans 200 pays dans le monde, la DNVB Deciem a vu ses ventes augmenter en 2020 malgré le Covid. Sa cofondatrice présente ses projets, notamment en France.

JDN. Comment Deciem se démarque-t-elle des autres marques sur le marché des cosmétiques ?

Nicola Kilner est la cofondatrice et CEO de Deciem. © Deciem

Nicola Kilner. Deciem a été fondée en 2013 par Brandon Truaxe et moi-même. L'ambition de Brandon était de lancer dix nouvelles marques de cosmétiques en même temps, d'où le nom Deciem, qui signifie "dix" en latin. Son idée initiale était que chacune de ces marques pourrait participer à hauteur de 10% à la rentabilisation des coûts fixes liés à la production, la communication, au design, etc. Ironiquement, c'est The Ordinary, qui est la onzième marque que nous avons lancée, qui génère la majeure partie des revenus de Deciem aujourd'hui. Notre entreprise se différencie par son approche très orientée sur les résultats et la science. Tous nos produits sont conçus dans notre laboratoire. Deciem est basé à Toronto et emploie 1 100 personnes à travers le monde, dont un tiers travaillent dans la production et la distribution, un autre tiers dans nos bureaux et le dernier tiers dans nos magasins.

Les marques du groupe Deciem se distinguent des marques traditionnelles du secteur des cosmétiques par leur prix abordable et un packaging sobre. Pourquoi ce choix ?

Contrairement à d'autres marques issues notamment du secteur de la parfumerie ou de la coloration, nous ne jouons pas sur l'aspect émotionnel. Nous élaborons des produits qui ont vocation à être fonctionnels et à apporter des résultats. Nous pensons en effet que l'efficacité est ce qui importe le plus dans ce secteur de la beauté et des soins pour la peau. Les consommateurs sont aujourd'hui très informés sur la composition des produits. Le succès de The Ordinary en témoigne et a d'ailleurs inspiré un vrai changement dans l'industrie cosmétique. Il faut dire que certains étaient sceptiques quant à l'efficacité de nos produits qui pouvaient coûter 8 euros alors que la concurrence vendait des formules équivalentes à 80 euros.

Comment vous assurez-vous que vos clients comprennent les composants utilisés pour vos produits et leurs effets ?

L'éducation des consommateurs représente effectivement une part importante de notre activité. Nous voulons être certain que nos clients disposent de toutes les informations dont ils ont besoin avant d'effectuer un achat. Ces informations, portant notamment sur la composition des produits, sont accessibles sur notre site Web ou nos réseaux sociaux. Une équipe d'assistance est là pour conseiller et répondre à toutes les questions envoyées par email ou via message privé sur les plateformes sociales. Nous permettons également à nos clients d'échanger avec nos vendeurs à travers un espace de discussion sur notre site Web.

Ce service, disponible également en français, permet d'échanger avec nos collaborateurs afin qu'ils puissent vous recommander une routine beauté spécialement adaptée à vos besoins. Enfin, nous donnons à nos clients un délai de 365 jours pour retourner un produit et obtenir un remboursement intégral s'ils ne sont pas satisfaits. Avec cette politique, nous voulons nous assurer que nos clients utilisent des produits qui soient vraiment efficaces et bons pour leur peau.

Deciem élabore tous ses produits en interne. Quels avantages avez-vous tiré de ce modèle verticalement intégré ?

Chez nous, l'innovation doit venir de nos laboratoires et non de notre département marketing. Si vous suivez les tendances, vous aurez toujours un train de retard. Près de 80 personnes travaillent au sein de notre département R&D. Notre laboratoire se situe d'ailleurs juste à côté de notre siège social à Toronto. Nous cherchons constamment de nouvelles formules et nous savons que si nous trouvons une formule efficace, nous pourrons toujours en faire profiter l'une de nos marques, que ce soit The Ordinary, Niod, The Chemistry Brand, etc. C'est justement l'avantage de notre organisation similaire à un incubateur de marques.

Un mot sur votre stratégie retail : la vente en magasin restera-t-elle toujours une priorité pour Deciem après cette crise ?

Bien sûr, la vente en magasin continuera d'occuper une place importante dans notre stratégie de distribution. Les consommateurs apprécient de se rendre en magasin pour obtenir des conseils auprès de nos vendeurs. Cet aspect humain est très important. C'est aussi un moyen de faire découvrir l'ensemble de nos marques à nos clients. Nous comptons aujourd'hui 33 magasins dans des villes telles que Toronto, Chicago, San Francisco, New York, Amsterdam, Londres, etc. Nos produits sont vendus également par des distributeurs partenaires à l'image de Sephora. L'an dernier, nos produits étaient distribués dans plus de 200 pays. Nous n'avons pas encore de magasin en France mais nous sommes présents sur le territoire à travers des distributeurs partenaires comme les galeries Lafayette. Notre principal marché reste l'Amérique du Nord mais le marché français se retrouve régulièrement parmi nos cinq principaux pays.

De nouvelles ouvertures de magasins Deciem sont-elles à prévoir en 2021 ? Comment cette crise a-t-elle impacté votre stratégie de distribution ?

C'est probable mais rien n'est encore signé. Nos objectifs initiaux étaient d'ouvrir deux à trois magasins par an. Paris est une ville qui nous intéresse beaucoup. Je pense que cette crise va surtout modifier notre stratégie en ce qui concerne nos critères pour l'emplacement de nos magasins. Nous ouvrirons probablement moins de magasins dans les centres-villes et davantage dans des quartiers résidentiels où les gens se baladent pendant le weekend. Le télétravail étant de plus en plus développé, il y a aujourd'hui moins d'intérêt à être situé dans le centre-ville où la fréquentation risque de diminuer. Etre présent dans des quartiers plus éloignés du centre est aussi un bon moyen de faire partie de la vie de la communauté et de bâtir des relations fortes avec les clients. Malgré tout, personne ne peut dire aujourd'hui à quoi ressemblera le secteur du retail en 2021. C'est pourquoi il s'agira pour Deciem de rester flexible afin de nous adapter à la situation tout en continuant à soutenir nos partenaires pour qu'ils puissent survivre à cette crise.

Comment se répartissent vos investissements marketing ?

Nous ne faisons aucun investissement dans la publicité dite traditionnelle, telle que la télévision ou le print. Le fait de payer pour de belles publicités dans des magazines ne serait sans doute pas efficace pour des produits de beauté fonctionnels comme les nôtres. En revanche, nous croyons beaucoup à l'efficacité du bouche-à-oreille et privilégions donc une croissance organique notamment à travers l'utilisation des plateformes sociales. Les seules publicités payantes que nous faisons sont sur le digital et elles ont vocation à éduquer les consommateurs sur les composants de nos produits en mentionnant des sources scientifiques. Nous n'avons jamais fait appel aux services d'une célébrité ou d'un influenceur pour promouvoir nos produits. Nous pensons en effet qu'il est beaucoup plus valorisant de voir quelqu'un recommander vos produits sans aucune contrepartie financière.

L'entreprise est-elle rentable ? Quels sont vos projets pour la suite ?

Deciem est effectivement bénéficiaire depuis 2015. Il est difficile de prédire l'avenir, il sera donc primordial de conserver notre flexibilité afin d'être en capacité de s'adapter à ces changements. Lorsque nous avons lancé The Ordinary, rien ne laissait présager du succès de cette marque et je pense que nous avons encore un potentiel de croissance important. Il nous faudra rester à l'écoute de nos clients. Nous lancerons probablement de nouvelles marques dans les années qui viennent tout en continuant d'innover.

Nicola Kilner cofonde la marque Deciem en 2013 aux côtés du canadien Brandon Truaxe (décédé en 2019) avec l'ambition de développer des produits de cosmétique utilisant des formules innovantes et proposés à des prix abordables. Elle prend les rênes du groupe en 2018 en devenant CEO.