Valéria Faure-Muntian (Députée de la Loire) "Le DSA doit instaurer un cadre juridique pour les plateformes qui ont tendance à enfermer leurs utilisateurs"

La députée de la Loire, spécialiste des sujets sur le numérique, analyse les enjeux du Digital Services Act, dont les textes européens sont à l'étude en vue d'une adoption début 2022.

JDN. En juin 2020, vous avez été co-rapporteure de la mission d'information sur les plateformes numériques à l'Assemblée nationale. Quel a été le point de départ de votre réflexion sur le sujet ? 

Valéria Faure-Muntian, députée de la Loire. © Assemblée nationale

Valéria Faure-Muntian. Je travaille sur la transformation numérique de l'économie depuis plusieurs années et Daniel Fasquelle est juriste spécialiste du droit de la concurrence. Ensemble, nous nous sommes interrogés sur le droit de la concurrence quant à la régulation des plateformes numériques. Est-il pertinent ? Est-il efficace ? C'était notre point de départ. En effet, par le passé, il y a eu des condamnations de gatekeepers, ces plateformes qui contrôlent un marché et son accès. Mais ces condamnations au nom du droit de la concurrence par la Commission européenne ne prenaient pas en compte le volet digital. Nous avons voulu traiter ce sujet avec cette approche mais aussi plus globalement, en prônant une modification du droit de la concurrence et une régulation des plateformes et des contenus. 

Votre engagement a porté ses fruits puisque la Commission européenne a publié le Digital Services Act (DSA) et le Digital Market Act (DMA) fin 2020, six mois après votre rapport. 

Effectivement, notre réflexion a entraîné la publication de trois textes européens fin 2020 et c'était notre objectif. Nous savions que la Commission européenne se posait exactement les mêmes questions que nous sur la pertinence du droit actuel de la concurrence. Nous nous sommes beaucoup investis avec Daniel Fasquelle afin de promouvoir notre vision auprès des commissaires européens et de Cédric O, secrétaire d'Etat chargé de la transition numérique. Des travaux ont également eu lieu dans les autres pays européens. Finalement, ces échanges et ces influences mutuels ont porté leurs fruits et la voix des parlementaires français a été entendue. 

Quel cadre juridique peut fixer le DSA ?

Il faut instaurer un cadre juridique précis pour l'ensemble des plateformes qui ont tendance à enfermer leurs utilisateurs dans une continuité de services. Ce tunnel d'offres donne l'impression à l'utilisateur particulier ou professionnel de ne plus avoir le choix de ses usages. Sur ce point, le DSA doit apporter des règles spécifiques puisqu'il s'intéresse au parcours de l'utilisateur et au contenu. Par exemple, Amazon régit son marché vis-à-vis de ses vendeurs or ce n'est pas l'unique acteur du marché de la vente en ligne. Il faut faire attention aux entreprises que l'on vise, à savoir des entreprises qui n'ont plus de concurrent ou quand il y a concurrent, l'utilisateur doit passer par le gatekeeper pour exister. 

Concrètement, quel est l'impact du DSA sur l'e-commerce et l'activité des marchands ?

Sincèrement, les e-commerçants ne sont pas visés en premier lieu par les textes européens. Ce qui sera mis en place repose sur l'interdiction de certaines pratiques commerciales et c'est plutôt positif. Le but est aussi d'améliorer la transparence sur les conditions d'utilisation. Finalement, nous appliquerons définitivement sur Internet les mêmes règles qu'en physique. Je n'ai pas le sentiment que le DSA vienne totalement perturber le fonctionnement du e-commerce qui est par ailleurs déjà réglementé. Cette législation sera un moyen de faire la chasse aux fraudeurs sur Internet. Contrairement au DMA, le DSA n'est pas une révolution. Le DSA peut devenir une révolution seulement si les réseaux sociaux sont désignés comme éditeurs de contenus.

Que vous inspire la première ébauche du DSA ? Quels points scrutez-vous avec attention ? 

Au départ, le DSA comprenait le contenu, la régulation ex ante, la concurrence. En réalité, la Commission européenne a présenté trois textes distincts : le DSA pour le contenu et les services et le DMA qui s'attarde sur la régulation du point de vue de la concurrence avec les gatekeepers.

Comme tout texte européen, la première version n'est pas aboutie. Il reste encore du travail et un certain nombre de précisions à apporter. Au départ, le principe du pays d'origine* était quasiment immuable. Aujourd'hui, des voix s'élèvent pour que le pays de destination soit pris en considération. Si on traite de la qualité du contenu et de l'influence culturelle du contenu, on ne peut pas travailler uniquement avec le principe du pays d'origine. Cela fait partie des points à travailler en profondeur. Globalement, la première version va dans le bon sens. J'ai approfondi le droit du consommateur sur les contenus pertinents à travers un nouveau rapport afin d'influencer les débats en cours et à venir.

Quelles seront les conséquences du DSA pour les utilisateurs ?

Il faut changer de paradigme. Ce ne sont pas les plateformes qui décident mais c'est à l'utilisateur de choisir ses usages. Je ne dis pas qu'il faut interdire les plateformes bien au contraire, le contexte actuel révèle bien leurs avantages. Cependant, l'utilisateur doit être le maître du jeu. Cela implique qu'il dispose d'un maximum d'informations sur les raisons du contenu qui lui est recommandé. Il faut traiter les contenus haineux, les voies de recours doivent être systématiques et les mineurs doivent être protégés. Pour concrétiser ce nouveau droit, un nouveau texte est nécessaire de même qu'un régulateur. Concernant le DSA, je prône la mise en place d'un régulateur national pour prendre en compte les spécificités culturelles. Nous disposons de tous les outils sur le territoire national pour accompagner ces changements. 

*D'après la directive de 2000 sur le commerce électronique, le principe du pays d'origine implique que les fournisseurs de services ne doivent se conformer qu'aux lois de l'Etat membre dans lequel ils sont légalement établis. 

Issue du milieu de l'assurance, Valéria Faure-Muntian a occupé des postes à la Société Générale, EDF, Auxiliaire Vie BTP et Groupama. Députée de la Loire depuis 2017 (LREM), elle est vice-présidente de la commission Affaires économiques. Elle est membre de divers groupes d'études à l'Assemblée nationale tels que "Cybersécurité et souveraineté numérique", "Start-up et PME", "Economie numérique de la donnée, de la connaissance et de l'intelligence artificielle" et "Entreprenariat au féminin".