De l'abus des marketplaces au graal de la désintermédiation

Comment l'intermédiation des plateformes, et en particulier celle des marketplaces, ont banalisé la relation client en brisant la qualité de la relation entre le producteur/commerçant et le client.

J'illustrerai mon propos par quelques anecdotes personnelles et vous soumettrai des pistes pour inverser cette tendance néfaste au pouvoir d’achat et à la bonne information des consommateurs. Je ne parlerais pas du modèle Chinois qui est est bien trop éloigné du notre.

Un peu d’histoire

En 1997, je participais au lancement du site Alapage.com (libraire et disquaire), première start-up de l’e-commerce à succès en France mais qui n’allait pas survivre longtemps après son rachat par France Télécom.

Nous étions les pionniers dans de nombreux domaines de la vente en ligne, notamment celui de l’affiliation de petits partenaires, un principe de l’e-business qui nous propulsa très vite en tête des marchands de l’époque.

Après la mise en place du processus d’affiliation, j’ai vite compris qu’une vente de livres ne deviendrait pas un gros gain financier pour les affiliés qui ne touchaient que 5%.  D'autant que dès le deuxième achat, le client achetait directement sur Alapage.com. Toutefois, qu’un site affilié conseille un livre ou un disque avec un lien vers un site de vente avait une réelle valeur éditoriale.

L’affiliation existe toujours, notamment sur les sites de conseils de produits high-tech mais les relations ne sont plus exclusives entre le marchand et l’affilié.

Quels sont les intermédiaires qui posent question

Aujourd’hui, ce sont les surtout les e-commerçants qui sont devenus des affiliés sur des marketplaces qui ont pignon sur rue telles qu'Amazon, Rakuten, La Fnac, Uber, Ebay, etc.  Ces marchands payent aux marketplaces des commissions exorbitantes, contre l’intérêt du pouvoir d’achat des consommateurs.

Durant le lancement d’Alapage.com, j’ai reçu de nombreuses personnes qui me proposaient des programmes de fidélité de tous genres. Par exemple des points gagnés par les clients selon des lois mathématiques incompréhensibles, des systèmes de cash back avec des codes promos, des redirections de clientèles post-achat avec des promesses de remboursement partiels, etc.

J’ai rapidement pensé que toutes ces formes de fidélisations étaient parasites à notre activité car cela ajoutait un intermédiaire dans un écosystème comportant des marges assez faibles. Pourtant de nombreuses start-ups ont toutefois réussi à s’introduire dans le processus de vente et se créer une marge avec des valeurs ajoutées qui m’ont le plus souvent paru contestables.

J’avais naïvement pensé à partir de 1999, qu’Internet serait un parfait outil de désintermédiation, et qu’après le drop-shopping, la vente directe par le fabricant deviendrait la norme, et que les commerçants n’auraient plus leur place dans le monde de la vente en ligne.

Il y eut à partir des années 2000 d’autres intermédiaires comme les comparateurs de prix (Kelkoo, Leguide, etc.). Pour les fabricants et marchands de produits peu industriels, ce fut une aubaine, c’était de véritables moteurs de recherche shopping assez exhaustifs.

Mais pour les marchands de produits industriels identiques, les comparateurs ne furent intéressants que pour les clients. Les marges chutèrent brutalement entraînant la mort de nombreux e-commerçants qui n’avaient pas construit leur modèle économique à petites marges sur d’énormes volumes.

Google a en partie tué ces services de comparaisons qui dépendaient entièrement du ranking.

De l’inefficacité des plateformes

Je me permets de vous faire part d’une histoire qui m’est arrivée il y a quelques jours avec Rentalcars. Une voiture était réservée à l’avance près de l’aéroport de Rio par mes soins. Quand nous sommes arrivés de Paris (épuisés), le loueur de voitures nous a fait attendre 1h30 avant de nous expliquer que nous étions en retard (nous étions arrivés à 21h15 au lieu de 20h30 compte tenu du retard de l’avion) et qu'il n’y avait plus de voitures pour nous. Rentalcars ne répondait pas à notre appel via le loueur. Hélas j’ai été débité du montant de la location. Après réclamation auprès de Rentalcars, ces derniers m’ont expliqué que j’aurais du les appeler immédiatement et que j’étais entièrement fautif.

Voici une autre anecdote qui m’est arrivée avec permisapoints.fr. J'y avais réservé un stage de récupération de points. Je me suis pointé un matin à 8h, il pleuvait, il faisait froid et il n’y avait pas d’abris. Nous étions 5 personnes à attendre avec moi durant 2h mais personne n’est venu, permisapoints.fr n’a répondu que plusieurs jours plus tard, sans s’excuser et en m’expliquant que je n’avais qu’à réserver à nouveau pour 80€ plus cher que ma première commande. J’ai rapidement trouvé un professionnel en direct sur internet qui m'a proposé un tarif inférieur de 60€ à celui de la plateforme.

J’ai eu le même type de problème avec une réservation d’avion sur Edreams avec un vol Air France. Les deux organisations se sont renvoyés la balle et je ne fus remboursé qu’un an après. Aujourd’hui, les prix d’achat sont quasiment les mêmes sur les plateformes que sur les sites des compagnies aériennes. Le seul intérêt des plateformes est l’exhaustivité de l’offre. Il suffit donc pour bien acheter de consulter la plateforme et de réserver directement chez la compagnie; l’avenir de ces plateformes me semble bien compromis.

On peut aussi se demander quel intérêt véritable y a-t-il à acheter chez Amazon marketplace ou sur Ebay alors que le vendeur a déjà un site Prestashop ou Shopify.

Pire encore, quel intérêt y a t-il à commander chez un commerçant alors que le fabricant doit pouvoir livrer en B2B ou en B2C directement et est capable d’organiser une logistique et un stock tampon localement. Pour le Made in France, la question ne se pose même pas.

Enfin, pourquoi passer par Uber alors que les services de VTC laissent souvent à désirer; que le manque à gagner des chauffeurs, équivalent à la commission exorbitante des plateformes agit à l’évidence sur leurs conditions de travail, sur des surcharges horaires, et impacte directement leur humeur et la sécurité routière. Un service en ligne géré directement par la corporation des VTC avec des notations suffirait largement à me donner confiance.

La plupart des ces plateformes, à l’image d’Uber Eats, semblent avoir pour objectif de casser la relation directe vendeur/client, en effet on voit le logo d’Uber Eats en très gros et celui du restaurateur en tout petit.  S’il l’on souhaite demander une information sur des allergènes, il est impossible d’avoir une réponse immédiate, et pourtant vitale. De plus, Uber Eats, comme d’autres, en plus de la commission considérable qu’ils s’accordent, font désormais payer le positionnement des restaurateurs sur les listes de résultats, ce qui est évidemment contre qualitatif pour la clientèle.

Doctolib n'arrive même pas à garantir la qualité de tous ses soignants.

Une des perversions de ce modèle est aussi que les fabricants et les les vendeurs renoncent souvent à mettre en place les bons outils numériques pour communiquer et vendre en direct en se privant de marges et de relations constructives avec les clients.

La valeur ajouté de l'e-commerce

Les trois clés de la réussite dans l'e-commerce sont le prix, l’exhaustivité de l’offre et la confiance; tout ce qui va dans cette direction va vers le succès.

  1. Le prix, on comprend tout de suite pourquoi; c’est un atout pour l’e-marchand. Un intermédiaire qui promet une baisse de prix ne sera jamais un plus pour le pouvoir d’achat. Même un service de fidélisation tel Amazon Prime (transport gratuit), est un gain minime pour le client qui de toutes les manières va payer le prix intrinsèque sur la durée. En effet, cet abonnement incite les clients à l'utiliser sans comparer les prix. Ne parlons pas des programmes de cashback, des coupons de fidélisation et encore pire des entreprises qui détournent le client après l’achat avec la promesse de réductions permanentes.
  2. La confiance, c’est de ne pas avoir à penser en passant sa commande, à la qualité du produit, à sa conformité, et aux éventuels problèmes de payement, de livraison et de SAV.
    Les Uber, Amazon marketplace, Rentalcars, Permisapoints, Airbnb, Booking, Opodo, etc. revendiquent principalement deux qualités en terme de valeur ajoutée : être un tiers de confiance pour le client et apporter une mise en avant pour le commerçant. On voit bien que la confiance n’est pas au rendez-vous sur la plupart de ces plateformes. Seul Amazon marketplace, pour des questions d’image, met un point d’honneur à bien gérer la relation client avec un service remarquable. Mais à quel prix ? Les commissions que payent les marchands aux marketplaces selon les services et les plateformes varient de 8 et 30% environ.
  3. L’exhaustivité, c’est couvrir une offre complète, au moins sur son segment. C’est ce qui permet à un libraire en ligne de vendre tous les livres disponibles alors que la plupart des librairies physiques n’en proposent que 10%. C’est aussi ce qui permet à une market-place de commercialiser un très large catalogue de produits à l’image d’Amazon ou d’Aliexpress et ainsi de devenir chacun des moteurs de recherche à leur manière.

La réalité est que la plupart de ces intermédiaires se gavent et se moquent des clients finaux.

L’expérience d’Allobois.com

Depuis 2010, je participe au développement du site Allobois.com, une place de marché dont l’objet est de proposer aux consommateurs de bois de chauffage, de commander leur combustible directement auprès des forestiers et fabricants de pellets (bois compressé).

La marge d’Allobois est de 2,5% sur les produits vendus. Même si le projet n’a pas été un énorme succès, il perdure toujours et ne perd pas d’argent. De ce constat, j’affirme que les marges des plateformes intermédiaires sont le plus souvent indécentes.

La direction à prendre

Il est temps de trouver de nouvelles pistes de désintermédiation, et cela dans tous les domaines du e-business.

La plupart des métiers ne sont aujourd’hui accessibles qu’après diplômes et dépendent le plus souvent de certifications dont le rôle ne peut que grandir.
Je suis persuadé qu’une partie de l’avenir du tiers de confiance appartiendra aux marketplaces éditée par des filières métiers, des groupements de fabricants, des confédérations de marchands, des associations de coopératives agricoles.

La technologie de ces nouvelles marketplaces devra être pragmatique pour gagner en rapidité et en coût. Par exemple en utilisant des bases de données très légères, capables de s’ouvrir en mémoire vive; ces éléments techniques existent depuis longtemps mais sont hélas très peu utilisés.

Ceux qui lanceront des plateformes à petites marges, ouvertes et adaptables à tous types de services de ventes, qui permettront de combiner les avantages prix, confiance et exhaustivité apporteront un service utile et durable aux fabricants, aux marchands et aux clients.

Il y a beaucoup d'argent à gagner pour des start-ups, "nouveaux barbares" au sens que leur donnaient Jean Louis Gassée, ex numéro 2 d'Apple, 10 ans avant l'arrivée de Google, Amazon et Facebook.

Cerise sur le gâteau : ces plateformes pourront être hébergées avec des outils européens car toutes les technologies de déploiement et d'hébergement existent sur notre continent, même les hardwares. Ce n'est pas ce que pensent les personnes sensibles aux lobbies pro-américains, proches de notre gouvernement et d'une grande partie de notre administration prompts à pousser du AWS, Google Cloud ou Azure à l'image de l'absurdité du Health Data Hub.  

Les datas gagneront à être transparentes pour le grand public, elles permettront ainsi de monitorer et d’améliorer les dépenses énergétiques et polluantes de la fabrication à la livraison.

Rêvons encore.