Jeux d'argent en ligne : vers une libéralisation mesurée de la réglementation

Le 5 mars dernier, Eric Woerth, Ministre du budget, a présenté le projet de loi sur l’ouverture à la concurrence du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne. Ce projet, attendu depuis plus de deux ans, devrait être examiné par le Parlement dans les prochaines semaines afin d’entrer en vigueur au 1er janvier 2010. Nous faisons ci-dessous un bref retour sur la situation existante pour ensuite exposer les grandes lignes du projet.

1. Rappel de la situation actuelle

Le marché français des jeux d'argent et de hasard est actuellement fortement encadré, notamment par la loi du 21 mai 1836 sur la prohibition des loteries et la loi du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard. Même si elles sont antérieures à l'internet, ces lois s'appliquent aux sites de jeux d'argent en ligne à partir du moment où ces activités revêtent les critères définis par la loi, comme rappelé par les tribunaux, la dernière décision rendue en la matière datant du 4 mars 2009 et concernant un site de poker en ligne. ((1) CA Versailles, 9é Ch., 4 mars 2009, Ministère public c/ Patrick P. et autres,)

Jusqu'à présent, le principe général de prohibition de ces activités n'est assorti que de quelques exceptions ; d'une part, la Française des Jeux a le monopole des jeux de grattage et de tirage (Loto, euro-millions, Keno, etc.), ainsi que des paris sportifs (Loto foot) ; d'autre part, le PMU (Pari mutuel urbain) détient un monopole sur les paris hippiques (paris mutuels). Il existe par ailleurs 200 casinos regroupant les activités de jeux de table (poker, black-jack, roulette, etc.) et machines à sous.

La réglementation française poursuit un double objectif de protection, justifiant l'encadrement strict des activités de jeux d'argent et de hasard :
    - la protection de l'ordre public : par un encadrement des jeux d'argent, la réglementation permet de garantir un système sécurisé, en luttant contre la fraude et le blanchiment d'argent ; et
    - la protection de l'ordre social : pour limiter les situations de dépendance au jeu, les jeux d'argent étant interdits aux mineurs, le nombre d'opérateurs sur le marché limité, et les jeux proposés étant contrôlés afin d'en limiter le caractère addictif.

Parallèlement à ce marché très fermé s'est développée, ces dernières années, une "offre" parfaitement illégale sur internet. Plusieurs milliers de sites internet opèrent depuis des paradis fiscaux, la plupart du temps, sans aucune garantie sur la fiabilité ni sur la sécurité des systèmes de paris utilisés, ou depuis des pays dont la réglementation est plus libérale.

Par ailleurs, l'environnement réglementaire français est de plus en plus contesté depuis l'avis motivé émis par la Commission européenne le 27 juin 2007 contre la France, suivi de l'arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2007 cassant et annulant la décision de la Cour d'appel de Paris opposant la société Zeturf (société de droit maltais) au PMU sur l'activité de paris hippiques en ligne, sur la base d'une restriction non justifiée à la libre prestation de services. ((2) Libre prestation de service : la Commission prend des mesures pour lever les obstacles à la prestation des services de paris sportifs en France, en Grèce et en Suède (27 juin 2007)) et ((3) C Cass., Ch. com., 10 juil. 2007, Zeturf Ltd c/ GIE Pari mutuel urbain)

2. Le projet de loi sur les jeux d'argent : vers une "ouverture maîtrisée" du marché en ligne


Comme mentionné plus haut, ce projet était attendu depuis l'avis de la Commission européenne à la France en 2007.

Les objectifs de la loi à venir sont triples : tout d'abord, assainir le secteur des jeux d'argent en ligne en proposant une offre légale, encadrée, sécurisée tout en restant attractive pour les joueurs, ensuite, accentuer la lutte contre les addictions, enfin, définir une nouvelle source de revenus, puisque cette activité en ligne sera taxée, au même titre que les jeux d'argent dans l'environnement réel.

Ainsi, le projet de loi repose sur quatre grands principes (4Présentation du projet de loi sur l'ouverture à la concurrence du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne) :

- Premier principe : "Une ouverture à la concurrence réelle et adaptée aux objectifs en matière d'ordre public et social". L'ouverture concernera les trois secteurs : paris sportifs (avec deux types de paris possibles : les paris à cote et les paris en direct ou "live betting"), paris hippiques (pari mutuel) et, pour les casinos, uniquement le poker. Les paris sportifs et hippiques ne seront autorisés que sur des épreuves et des résultats réels.

En revanche, le monopole de la Française des jeux est maintenu pour les jeux de grattage et de tirage. Les machines à sous et les jeux de table, autres que le poker, (black-jack, roulette, etc.) sont exclus de l'ouverture à l'internet. Les sites qui continueront de proposer ces jeux au public seront donc toujours illicites.

- Deuxième principe : "Une ouverture maîtrisée, afin de garantir les objectifs d'ordre public et social". La loi, tout en ouvrant le marché des jeux d'argent en ligne à de nouveaux opérateurs, doit néanmoins maintenir ses objectifs de protection de l'ordre public et social. Pour ce faire, les candidats-opérateurs devront demander une licence, d'une durée de 5 ans (gratuite et renouvelable) et respecter un cahier des charges dont les modalités seront précisées par décret en Conseil d'Etat. Il existera trois types de licences, correspondant aux trois secteurs existants : paris sportifs, paris hippiques et poker.

Le projet prévoit la création d'une nouvelle autorité indépendante de régulation ; dénommée ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux En Ligne), elle aura pour mission : i) de rédiger le cahier des charges et de délivrer les licences aux opérateurs, ii) de contrôler les opérateurs en ligne et notamment, le respect du cahier des charges par ces opérateurs, et iii) de participer à la lutte contre les sites illégaux.

L'organisation illégale de jeux sur internet sera punie de trois ans d'emprisonnement et de 45.000€ d'amende (7 ans et 100.000€ respectivement pour activité illégale en bande organisée) ; en outre, la publicité pour des sites de jeux ou de paris en ligne non agréés sera interdite et punie de 30.000€ d'amende au minimum. Enfin, les transactions bancaires et l'accès aux sites illégaux pourront être bloqués.

La publicité pour les sites de jeux légaux sera autorisée sur tous supports. Les opérateurs n'auront a priori, pas l'obligation d'être établis sur le territoire français, un correspondant permanent en France étant suffisant.

- Troisième principe : "Se donner les moyens de lutter contre l'addiction et le jeu des mineurs". Le renforcement de la protection de l'ordre public social représente l'une des grandes ambitions de ce projet. Ainsi, un Comité consultatif des jeux (CCJ) doit être créé afin de garantir et de coordonner une politique de jeu responsable, que ce soit pour les activités réelles ou pour les jeux en ligne. Ce Comité sera une autorité morale, dont le rôle sera de faire des études sur la dépendance aux jeux et de rendre des avis sur la régulation des monopoles et la cohérence du secteur des jeux.

Par ailleurs, toujours pour lutter contre les effets de dépendance aux jeux, le taux de retour aux joueurs (TRJ - proportion des mises redistribuées aux joueurs sous forme de gains) sera plafonné, en terme de volume (mises, approvisionnement du compte du joueur, solde du compte) et en terme de fréquence de jeu. La procédure des interdits de jeu s'appliquera aux jeux en ligne.

Enfin, pour se donner les moyens d'entreprendre une politique de lutte contre l'addiction des joueurs, une partie des recettes provenant de la fiscalité des jeux en ligne sera versée à l'INPES (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé).

- Quatrième principe : "La prise en compte des besoins des milieux sportif et hippique". L'objectif est ici d'améliorer la protection de l'intégrité des compétitions. En effet, avec la prolifération des sites illégaux, la sécurité des paris n'est pas assurée. Le projet prévoit également la mise en oeuvre d'un droit de propriété des organisateurs d'événements. Ce droit leur permettrait notamment de décider des événements qu'ils souhaitent soumettre au système des paris, et de conclure des accords commerciaux avec les opérateurs concernant la protection de l'éthique et de l'image des compétitions.

Le projet prévoit enfin la mise en oeuvre d'une fiscalité neutre (mêmes taux de prélèvement pour les jeux en ligne que les jeux en réel) et équivalente entre paris sportifs et hippiques, en préservant le financement (et donc les emplois) de la filière équine, et un retour financier positif. L'assiette fiscale sera constituée par les mises des joueurs.

Les taux de prélèvement envisagés s'élèveraient à 7,5% pour les paris sportifs et hippiques (auxquels il faut ajouter les "retours aux filières", soit 1% à la filière CNDS (sport amateur et de haut niveau) et 8% à la filière équine) et à 2% pour le poker.

Ce projet de loi a donc le mérite de permettre enfin d'assainir le marché des jeux d'argent en ligne en proposant une offre légale et diversifiée sur internet, même si certains points restent à clarifier. Même s'il doit encore être validé par le Conseil d'Etat avant d'être discuté au Parlement, nous connaissons désormais les grandes lignes de la future réglementation, son périmètre d'application et, a priori, sa date d'entrée en vigueur.