La CJUE légitimise le service Adwords de Google

La question posée en juin 2008 par la Cour de cassation française à la Cour de Justice de l’Union européenne était attendue de pied ferme par les opérateurs de liens sponsorisés.

Les questions principales posées par la Cour française peuvent se résumer de la manière suivante :

-          le propriétaire d'une marque peut-il interdire à un prestataire de liens sponsorisés (type Google avec son service Adwords) de "proposer" à la "vente" sa marque?

-          la réponse serait-elle la même si la marque concernée est renommée (par exemple, Coca-Cola) ?

-          enfin, peut-on considérer les prestataires de liens commerciaux comme des intermédiaires au sens de la directive « commerce électronique » exonérant a priori la responsabilité de ceux-ci (sauf s'ils ont conscience d'un fait délictuel) ?

 

En d'autres termes, est-ce que oui ou non le propriétaire d'une marque peut empêcher Google de "vendre" ses marques ? Est-ce que oui ou non Google est responsable ?

 

La réponse à cette question était d'une importance sans précédent. Un "non" de la Cour aurait signifié la fin de l'empire Google, tant ses revenus sont basés sur Adwords (certains parlent de 99%).

 

Pour répondre à la première question, la Cour analyse la pratique de la « vente » de mots-clés et révèle que seuls les annonceurs utilisent les mots-clés (et donc les marques) pour un usage commercial. Parmi ces annonceurs existent même des concurrents voire des contrefacteurs des propriétaires desdites marques. Pourtant, la Cour précise que malgré le fait que le prestataire de service de référencement "permette aux annonceurs de sélectionner des signes identiques à des marques en tant que mots clés, stocke ces signes et affiche les annonces de ses clients à partir de ceux-ci, il n'en découle pas pour autant que ce prestataire fasse lui-même un usage de ces signes au sens des articles 5 de la directive 89/104 et 9 du règlement n°40/94". La Cour souligne donc que les prestataires de liens commerciaux n'utilisent pas les marques et ne sont donc pas soumis à la potentielle interdiction des propriétaires concernant l'utilisation de leurs marques.

 

Il faut relever que la Cour se penche particulièrement sur le rôle des annonceurs en relevant les limites des utilisations de marques d'autrui, alors que la question initiale portait précisément sur le rôle des prestataires de liens commerciaux. En faisant une dichotomie claire entre les rôles des annonceurs et des prestataires, la Cour statue que les droits des titulaires des marques peuvent limiter ou prohiber leur usage auprès des annonceurs et nullement auprès des prestataires de liens commerciaux.

 

Finalement, cette décision est l'occasion pour la Cour de rappeler le fait que les annonceurs doivent respecter les principes directeurs d'utilisation des marques (le Code de la Propriété Intellectuelle en France) et de publicité transparente à l'égard des consommateurs (comme le Code de la consommation le prévoit en France).

 

En d'autres termes, la Cour légitimisme le service Adwords en ce qui concerne le droit des marques, qui a pourtant été le terrain sur lequel les batailles contre ce service étaient menées. Toutefois, la Cour rappelle que les prestataires de liens commerciaux peuvent rester civilement responsables dans certaines conditions.

 

En effet, la troisième question porte sur la responsabilité des prestataires de liens sponsorisés pris en qualité d'intermédiaires techniques. Dans le monde numérique, la directive sur le commerce électronique s'applique notamment pour les opérateurs de type Google. Or, l'article 14 (intitulé "hébergement") de cette directive exonère a priori de toute responsabilité (sauf certaines exceptions) les prestataires fournissant "un service de la société de l'information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service".

 

Cet article pose un principe d'irresponsabilité selon lequel un "intermédiaire technique" n'est pas responsable du contenu qu'il "héberge" (au sens très large du terme) à moins qu'il ait connaissance ou qu'il ait été averti de la nature illicite de ce contenu.

 

Près de 10 années de jurisprudence ont été nécessaires pour que les tribunaux nationaux et communautaires ne limitent pas cette disposition à des simples hébergeurs (comme OVH par exemple), mais l'étendent à de nombreux prestataires (comme certains services en Web 2.0, les agrégateurs, certaines plateformes de courtage type ebay, etc...). Cette affaire était donc également l'occasion de statuer définitivement sur la nature du service Adwords au regard de cette disposition spécifique.

 

De manière assez incroyable, la Cour décide, sans plus d'argumentation que "eu égard aux caractéristiques (...) du service de référencement en cause dans les affaires au principal, il y a lieu d'en conclure que celui-ci réunit l'ensemble des éléments de cette définition" ; en d'autres termes, que le service Adwords répond aux critères de l'article 14.

 

Le caractère purement technique, automatique et passif du service étant nécessaire pour bénéficier du régime d'irresponsabilité, la Cour relève que le système d'enchères permettant de déterminer l'ordre d'affichage des liens sponsorisés ne saurait, en tant que tel, priver les prestataires de liens sponsorisés du régime d'irresponsabilité. En revanche, la Cour ne statue pas définitivement sur la possibilité pour ces prestataires de bénéficier de l'exonération de responsabilité. En effet, la Cour renvoie aux juridictions nationales d'apprécier si oui ou non "le rôle joué par Google dans la rédaction du message commercial accompagnant le lien promotionnel ou dans l'établissement ou la sélection des mots clés" annihile la neutralité du service (et empêche donc de bénéficier du régime d'irresponsabilité).

 

En conséquence, la Cour ne répond que partiellement à la troisième question posée. La Cour décide que le service Adwords (et les services équivalents chez les autres prestataires) est un service répondant à l'article 14 de la directive, mais ne précise pas si les prestataires de liens sponsorisés sont par principe exonérés de toute responsabilité civile.

 

Malgré cette décision, il ne faut pas oublier qu'il reste toujours la possibilité de voir la responsabilité d'un prestataire de liens commerciaux mise en oeuvre sur le terrain de l'article 1382 du Code civil (en France) qui précise que toute faute provoquant directement un préjudice est sanctionnée civilement.

 

Finalement, le retour à la Cour de cassation sera intéressante dans la mesure où la question renvoyée par la Cour de Justice est une question de fait alors que la Cour de cassation ne juge que le droit et non les faits... La décision sera attendue de pied ferme par de nombreux opérateurs.