La place du contrat de licence dans l'industrie musicale

Le marché du disque devient de plus en plus celui de la musique. La part des disques reste plus importante que le numérique, mais les courbes tendent à se croiser. Le CD devenant plus un support publicitaire de promotion de l’artiste qu'une véritable source de revenu.

D’après le rapport 2011 du SNEP, entre 2008 et 2011, le chiffre d’affaires numérique a progressé en France de 45 %, passant de 76,3 à 110,6 millions d’euros. Le marché physique en chute constante est quant à lui passé de 662 à 412,8 millions d’euros sur la même période.

La musique est mise a disposition du public différemment qu’il y a 10 ou 20 ans, il en résulte que le système de distribution et les usages contractuels qui s’y rapportent doivent nécessairement évoluer.
Le contrat de licence dont l’origine est rattachée au système de distribution classique doit se soumettre à cette évolution.
Ce contrat est celui par lequel le propriétaire d’un enregistrement (le producteur) donne à un organisme spécialisé (le licencié) le droit de reproduire cet enregistrement et de le commercialiser.
Ce droit peut être exclusif ou non exclusif. Le producteur cherche par ce moyen à assurer la commercialisation des morceaux dont il possède les droits. Seul, cette initiative se révèle très compliquée, car elle suppose une infrastructure, un savoir faire et des moyens financiers adaptés pour toucher un large public. C’est la raison pour laquelle le producteur fait appel au licencié, qui prend alors en charge la fabrication des exemplaires, le paiement des droits d’auteur, la publication et la distribution des exemplaires ainsi que leur promotion auprès du public. Le producteur cède ainsi au licencié, le droit de commercialiser les enregistrements de l’artiste concerné. En échange de cette cession, il recevra des royalties sur les exemplaires vendus.

Afin de cerner l’intérêt d’un tel contrat il convient d’en poser le décor, de s’interroger sur ses acteurs, ses formalités et sa finalité, afin de pouvoir se questionner : à quelles évolutions est soumis le contrat de licence aujourd’hui ?

1.  L’intérêt et la finalité du contrat de licence

Afin de s’interroger sur le rôle exact du contrat de licence dans la chaîne de la commercialisation de la musique, il convient de se demander qui sont les acteurs du contrat de licence (A), et de définir les éléments essentiels de ce contrat (B). Cette analyse de la situation permettra de faire ressortir la tenants et aboutissants de cet acte (C).

A) les acteurs du contrat de licence

Les parties au contrat sont le producteur et le licencié. Le contrat de licence est considéré comme un acte de commerce. Les labels sont parfois des associations mais cela ne les empêche pas de conclure un contrat de licence. Une association peut en effet conclure des actes de commerce, bien qu’elle soit à but non lucratif.
Un individu personne physique le peut aussi, quand elle est enregistrée en tant qu’entreprise individuelle auprès de l’URSSAF.
Entre autre, il faut être producteur de l’enregistrement pour avoir la légitimité à conclure un contrat de licence. En effet, le producteur regroupe l’ensemble des droits sur l’oeuvre qui est distribuée, et a seul la légitimité pour les céder.
L’artiste ne peut donc pas signer directement avec un licencié excepté si il a la double casquette artiste/producteur. Ainsi, dans la musique électronique par exemple, quand un DJ compositeur a mixé et masterisé lui même son morceau, il est également le producteur du morceau du fait du travail de mastering qu’il a effectué dessus. Il signe alors en général un contrat de licence avec le label qui prend alors la place du licencié. C’est alors au label de faire tous les efforts nécessaires à la promotion du projet, sa communication et sa publication sur supports.
Il s’agit là d’un aspect bien spécifique mais non négligeable tant le nombre de DJ producteurs tend à augmenter. Néanmoins, dans la plupart des cas, c’est le producteur de l’artiste qui signe le contrat, et il doit alors garantir au licencié qu'il possède tous les droits sur les enregistrements de l'artiste, et ceci pour une durée au moins égale à celle qu'il cède au licencié. Ce qui compte avant tout, association ou pas, artiste ou non, c’est d’être le producteur du ou des morceau(x) en question. La cour de cassation résume très bien la situation par un arrêt (Polygram c/Mariani) pris en sa 1ere chambre civile le 18 octobre 1994: « un contrat de licence est conclu avec un contractant en sa seule qualité de producteur phonographique, quand bien même aurait-il d’autres qualités (artiste-interprète, auteur compositeur, etc.) ».

B) les éléments essentiels du contrat de licence

Il existe deux types de contrats de licence exclusive: le contrat ferme ou optionnel. Les enregistrements ferme sont ceux que le licencié s’engage à commercialiser, et les enregistrements optionnels sont ceux que le licencié ne s’engage à exploiter que sous certaines conditions. Le plus souvent, le contrat sera signé sur un support court (type EP) ferme, avec option sur un autre support court ou long (type LP).
Le licencié limite ainsi les risques puisqu’il ne s’engage formellement que pour un seul support, tout en s’assurant l’exclusivité des enregistrements suivants.
En plus du mécanisme de l’option, certains éléments sont essentiels dans le contrat de licence. En ce qui concerne la durée, il y a identité entre la durée d’exclusivité et la durée d’exploitation commerciale, contrairement au contrat d’artiste où la durée d’exclusivité est différente de la durée des droits cédés. L’exclusivité consentie au licencié varie en général de trois à cinq ans à compter de la sortie commerciale du dernier enregistrement lorsque le contrat porte sur des enregistrements fermes et optionnels. Pour le territoire, le droit de licence peut être concédé pour un certain territoire (la France), une partie du monde (les pays de l’Union européenne) ou bien même le monde entier. Cela dépend simplement de la volonté des parties, selon leurs stratégies commerciales et les cibles visées. Le contrat de licence doit garantir la commercialisation des productions licenciées en en précisant le délai.

De plus, le support de reproduction, communication ou commercialisation prévu dans le contrat de licence inclue les technologies présentes et à venir. On ne signe pas un contrat de licence exclusive pour une sortie CD uniquement.

C) la finalité du contrat de licence

Le contrat de licence consiste ainsi en la concession, par le producteur au licencié, du droit de reproduire, fabriquer et communiquer au public l’enregistrement dont le producteur est propriétaire.
Il ne s’agit pas d’une cession définitive. Le producteur ne faisant que céder pour un temps défini ses droits d’exploitation, il demeure le propriétaire de l’enregistrement.
Le public est l’élément final du processus créatif dans le monde de la musique, celui qui permettra de réaliser des gains ou non sur les morceaux commercialisés. Quel que soit la qualité d’un produit, si celui ci n’est pas correctement mis à disposition du consommateur, il sera difficile de réaliser de bonnes ventes. Le public est donc un élément primordial. Toucher le bon public, de la manière adéquate n’est pas chose donnée à tout le monde. Ainsi, se vouloir artiste multidisciplinaire producteur et distributeurs est un pari risqué. Le contrat de licence permet au producteur de s’assurer une bonne visibilité et une bonne distribution de l’enregistrement, chose que le producteur lui même peut rarement prendre à sa charge. Le contrat de licence permet donc de découper le travail pour permettre plus d’efficacité.

2. Les trois piliers du contrat de licence

Nous avons donc vu qu’un contrat de licence suppose pour le producteur de céder les droits qu’il détient sur une oeuvre afin de faciliter son exploitation et sa diffusion auprès du public. Afin de diffuser cette œuvre auprès du public, on peut distinguer trois piliers de la mise en œuvre du contrat de licence que sont l’exploitation phonographique (A), les autres modes d’exploitation cédés au licencié (B), et enfin la promotion de l’œuvre (C).

A) L’exploitation phonographique

L’exploitation phonographique correspond à la commercialisation des disques dans le public. Il s’agit de l’objet principal du contrat de licence. À cette fin, le producteur doit garantir au licencié qu’il est le seul titulaire des droits concédés, ainsi que des droits d‘exploitations de tous les éléments transmis au licencié (logo, marque, textes, etc.), qu’il a pris l’ensemble des frais d’enregistrements à sa charge, et que les conditions du contrat conclu avec les interprètes des enregistrements visés au contrat de licence sont conformes à celles du contrat de licence. Les droits concédés par le producteur se retranscrivent généralement ainsi : « le droit de reproduction et notamment le droit de reproduire, faire reproduire, fabriquer, faire fabriquer, publier, faire publier, vendre, faire vendre, louer ou concéder un droit d’usage, distribuer dans le territoire contractuel, sous toutes marques et étiquettes au choix de la société, les phonogrammes sous tout support connu et à connaître, des enregistrements visés par les présentes ».

Ce type de clause largement rédigé est présent dans la majorité des contrats de licence. L’éventail des droits concédés (reproduction, fabrication, distribution) pour l’exploitation phonographique doit être assez large afin de permettre une exploitation effective.

Dans ce processus, les redevances ne sont pas une obligation à la charge du licencié, mais elles sont néanmoins couramment pratiquées. Elles peuvent être récupérées par le licencié sur l’ensemble des redevances dues au producteur. Elles sont non remboursables, mais sont souvent compensées sur les avances contractuellement prévues pour des enregistrements futurs.

B) Les autres modes d’exploitation concédés

D’autres modes d’exploitation que l’exploitation phonographique sont souvent demandés en concession par le licencié, afin de rentabiliser l’investissement financier de la fabrication, la distribution et la promotion. En effet, la vente de disque est en générale l’objet premier du contrat de licence, mais les producteurs concèdent ainsi souvent également des utilisations secondaires, telle que l’exploitation audiovisuelle (clips, trailer, etc.), ainsi qu’une participation aux rémunérations des licences légales.

Il existe à cela différentes justifications. Cela permet au licencié de revenir sur son investissement, et ceci sur une base plus large que la seule exploitation phonographique qui représente un risque, un pari pris par le licencié notamment par l’avance versée au producteur.
De plus, l’exploitation phonographique et les actions de promotion prises en charge par le licencié sont les causes principales des utilisations secondaires ainsi produites. Les différents modes d’exploitation concédés dépendent tout simplement des deux parties au contrat, qui définiront la profondeur de leur engagement. Il faut simplement bien veiller à ce que les contrats conclus avec les interprètes en amont aient prévus les modes d’exploitation concédés par l’engagement entre le licencié et producteur.

Les vidéomusiques constituent un bon exemple d’autre mode d’exploitation souvent concédé. Les enregistrements audiovisuels, et tout particulièrement les clips musicaux, font traditionnellement partie des instruments essentiels de promotion des ventes. On comprend donc l’intérêt d’une telle concession, qui réside moins dans l’exploitation des clips que dans leur financement et leur promotion auprès des diffuseurs. Il ne s’agit là pas de ventes, mais de concession de droit de diffuser. En cas de diffusion, une redevance sera donc mise en œuvre.

C) La promotion

La promotion est une raison principale du contrat de licence qui existe dans ce but bien particulier: promouvoir la musique en question, la mettre à disposition du public dans un but commerciale de vendre des titres.
Les producteurs ont souvent déjà un réseau pour promouvoir l’artiste et ses titres. Quand il confie la promotion à une structure spécialisée, il peut donc être plus avantageux de conclure une licence dite ‘light’, excluant la promotion à la charge de l’éditeur phonographique. Le taux de redevance est ainsi généralement augmenté de 15 à 20%. Dans ce cas, seule l’exploitation phonographique est concédée.

Dans certains cas, l’engagement du licencié d’une promotion effective et efficace ne peut pas être précisément négocié, car elle dépend de beaucoup de facteurs. Elle ne peut alors pas être décrite et prévue par le contrat. Mais le plus souvent, le producteur cherche toujours à obtenir du licencié un engagement ferme de budget promotionnel, pour s’assurer des moyens mis en œuvre pour la promotion des enregistrements concédés.
Même si ils sont négociés, obtenir des engagements ferme de budget promotionnel n’est pas toujours une clé de réussite pour la promotion des enregistrements cédés. Il faut focaliser l'attention d'une portion suffisamment importante du public, pour ne pas rester extérieur au cœur du marché. Un déploiement précis et intelligent des instruments marketing en une adaptation permanente avec les réactions du public permettra ainsi beaucoup plus d’accroitre les ventes que de se tenir à un budget prévisionnel, qui ne permettait pas de jauger par avance le succès ou non des enregistrements.

 3. La place du contrat de licence dans le contexte actuel

C’est pour faciliter la mise à disposition de la musique auprès du public que le contrat de licence s’insère donc dans la chaine de commercialisation de la musique, trouvant sa place entre le producteur et le licencié. Il s’agit là d’un modèle qui existe depuis longtemps, et qui est toujours en place, mais qui tend à s’effacer peu à peu. Dans le contexte actuel du monde de la musique, on peut s’interroger sur l’intérêt concret de ce contrat, face à la remise en cause du schéma classique de mise à disposition du public de la musique crée. La maîtrise du support et de la distribution des œuvres, qui était avant réservée aux professionnels de la musique , devient, avec le passage à l'ère numérique, accessible à tous ou presque. Le schéma classique est chamboulé, les rôles des différents maillons de la chaine sont mélangés.
On voit apparaitre toujours plus de modes alternatifs de mise à disposition des enregistrements au public. Il y a actuellement une déstructuration de l’industrie musicale telle que nous la connaissions, cheminant vers une personnalisation de la création, en passant par toujours moins d’intermédiaires.

Avec moins d’intermédiaires, et avec la possibilité de s’autoproduire, le cout de production et de promotion d’une œuvre musicale est beaucoup moins élevé qu’il y a 10 ou 20 ans.
Les gains de l’artiste dans l’économie de la musique se traduisent ainsi dorénavant moins par la vente des enregistrements physiques (type cd), mais plus par des moyens alternatifs, tels que les concerts, les synchronisations publicitaires, ainsi que toutes les exploitations dérivées de l’œuvre.

Un autre élément qui rend aujourd’hui possible cette auto distribution/auto promotion est l’avènement des nouvelles technologies. Une cause de la remise en question du système classique de distribution, et non des moindre, est ainsi due à la restructuration de l’offre commerciale des enregistrements, du fait d’internet et du téléchargement.
Beaucoup d'enregistrements sont maintenant mis à la vente sans support physique. Le travail de distribution et de diffusion auprès du public n’est alors plus du tout le même. Le rôle du licencié dans cette optique est beaucoup moins important, et le label peut parfois lui même se charger de cette tâche.
On voit également se développer considérablement de nouveaux intermédiaires (comme Idol ou encore Believe) qui fournissent aux producteurs, qu’ils ont eux même sélectionné, une distribution entièrement numérique auprès de tout un panel de plateformes de téléchargement en ligne (type itunes) ou de streaming (type Deezer).
C’est pour l'ensemble de ces raisons, et parfois également des raisons de contrôle artistique de leur création, que de nombreux artistes on tenté de ne pas passer par un licencié, et on décidé de s’auto-produire, de s’auto-distribuer afin d’avoir plus de liberté de choix, et d'engranger plus directement des recettes en provenance de modes d'exploitations désormais modifiés. C’est dans ce système qui se développe actuellement de plus en plus, épaulé par de plus petites structures (petits labels, petits distributeurs, managers), que  naissent des moyens alternatifs de mise à disposition de l’enregistrement au public où le contrat de licence tel qu’exposé précédemment n'est plus plebiscité.

Ces nouveaux moyens de produire et distribuer la musique, tendent à amenuiser le rôle du licencié dans la chaine de l’industrie musicale. Signe de l'évolution des usages, la SACEM essaie actuellement un partenariat avec les créateurs des Licences Creatives Commons. Des groupes notables (comme Nine Inch Nails, ou Radiohead par exemple) ont déjà pu s'aventurer dans cette nouvelle direction.

Chronique rédigée par Sébastien Lachaussée, Avocat et François Kraft, stagiaire