Protection d'un concept publicitaire : la Cour de cassation n'a pas perdu la vue

La protection du simple concept publicitaire reste très aléatoire si l'on en croit un arrêt de la Cour de cassation du 25 novembre 2014, qui refuse d'accorder un monopole à Grand Optical sur l'idée d'une réduction de prix en fonction de l'âge du client.

La propriété intellectuelle, de manière générale, et le droit des marques, en particulier, sont bien évidemment un moyen de limiter la concurrence en s'arrogeant un monopole sur un signe que son titulaire pourra seul exploiter afin de commercialiser certains produits ou services. Certains opérateurs peuvent toutefois tenter de détourner le droit des marques de cet objectif, d'une manière que la Cour de cassation ne goûte pas toujours.
En témoigne cette affaire opposant deux réseaux d'opticiens. L'un des deux réseaux, Grand Optical pour ne pas le nommer, est titulaire de plusieurs marques dont "VOTRE AGE C'EST VOTRE AVANTAGE" et "VOTRE AGE = VOTRE %", qui désignent notamment les lunettes et les services d'opticiens. Ces marques sont exploitées dans le cadre d'une campagne commerciale par laquelle les clients se voient offrir une réduction sur leur paire de lunettes en fonction de leur âge (ce qui est toujours plus acceptable qu'un prix à la tête du client...).
Grand Optical se plaignait de l'utilisation par un concurrent d'une formule "VOTRE AGE VOUS FAIT UN CADEAU", utilisée pour qualifier une opération promotionnelle très similaire, voire identique, à la précédente. Grand Optical avait donc tenté de se plaindre d'actes de contrefaçon de marques et d'actes de concurrence déloyale.
Ici, le droit des marques avait donc pour but d'empêcher un concurrent de proposer la même forme d'opération commerciale à sa propre clientèle. En tentant de s'opposer à l'utiliser de l'expression "VOTRE AGE VOUS FAIT UN CADEAU", Grand Optical essayait surtout de s'arroger un monopole sur une idée commerciale, un concept publicitaire. Or les idées et la propriété intellectuelle ne font pas bon ménage, ce que la concurrence déloyale ne permet pas toujours de pallier.

En l'occurrence, les demandes de Grand Optical sur le fondement du droit des marques n'ont pas trouvé d'écho ni devant la Cour d'appel, ni devant la Cour de cassation.
Les juges ont en effet appliqué le raisonnement traditionnel en la matière, qui consiste à comparer les signes en présence de manière globale, en tenant compte de tous les éléments distinctifs. Et, en l'occurrence, "VOTRE AGE VOUS FAIT UN CADEAU" pouvait difficilement apparaître comme l'imitation de "VOTRE AGE C'EST VOTRE AVANTAGE" et "VOTRE AGE = VOTRE %", notamment en raison des différences substantielles sur les plans visuel et sonore.
C'est d'ailleurs ce qu'a retenu la Cour de cassation dans son arrêt du 25 novembre 2014, selon lequel les signes ne sont pas construits de façon identique, ne se prononcent pas de la même manière et, en synthèse, produisent une impression d'ensemble différente sur le consommateur, "même s'ils font appel à un concept identique, celui d'une réduction de prix en fonction de l'âge du client". En somme, les seules ressemblances sur le plan conceptuel sont insuffisantes à caractériser le risque de confusion dans l'esprit du public.
Le droit des marques était donc clairement inadapté en l'espèce. Seule la concurrence déloyale aurait dû permettre à Grand Optical de se plaindre de la reprise par son concurrent de cette idée commerciale ingénieuse. Cependant, la Cour de cassation a également approuvé la Cour d'appel d'avoir rejeté ses demandes au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme.

En l'espèce, les juges ont considéré à nouveau que les slogans en question n'étaient pas suffisamment similaires pour établir un risque de confusion dans l'esprit du public. Par ailleurs, au-delà de l'idée d'imitation des slogans, la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d'avoir considéré que le concurrent ne s'était pas placé dans le sillage de Grand Optical.
La motivation de l'arrêt de la Cour de cassation est ici assez lapidaire et ne répond pas directement au pourvoi, qui reposait pourtant sur l'idée de reprise d'un concept publicitaire. La Cour d'appel avait, pour sa part, considéré, comme en témoigne le pourvoi, que cette idée ne constituait pas une valeur économique individualisée.
En conclusion de cette intéressante décision, on retiendra que le concept publicitaire reste difficilement protégeable : c'est bien la forme de l'idée qui est protégée. Les juristes s'étonneront pour leur part de la référence au fait que les idées sont de "libre parcours", expression normalement réservée au droit d'auteur et non à la concurrence déloyale…