Position squatting : l'annonceur est le seul contrefacteur

L'utilisation abusive de mots-clés réservés par des tiers, notamment à titre de marque, a conduit les tribunaux à retenir la responsabilité des outils de recherche dans le cadre de la contrefaçon. Mais cette solution ne tient pas compte du principe de spécialité.

Le "position squatting" consiste pour un annonceur à "acheter" comme mot-clé, sur un outil de recherche, le nom commercial ou la marque exploitée par un de ses concurrents dans le but d'afficher ses propres annonces. Cette pratique sévit à grande échelle puisqu'en 2002, une étude de la société de référencement CVFM indiquait que 60 % des entreprises du CAC 40 en étaient victimes.

Un certain nombre d'actions en justice ont donc été engagées à l'encontre des "annonceurs squatters" et des outils de recherche. Toutes posent une question unique. Le titulaire d'une marque ou d'un nom commercial peut-il s'opposer à ce qu'un tiers fasse usage de ce signe, comme mot-clé, dans le cadre de publicité par liens promotionnels ?

Responsabilité classique des outils de recherche
Les tribunaux ont consacré le principe de la responsabilité pour contrefaçon du fournisseur de liens sponsorisés ayant permis la réservation d'un mot-clé objet d'un droit de propriété intellectuelle et l'affichage corrélatif d'une annonce publicitaire contenant un lien hypertexte renvoyant vers un site Web ayant une activité identique ou similaire à celle couverte par ce droit.

Il résulte en effet de l'article L. 713-2 du CPI que sont interdits sauf autorisation, la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, même avec l'adjonction de mots tels que "formule, façon, système, imitation, genre, méthode" , ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement. Le strict usage d'un signe identique à celui réservé à titre de marque constitue une contrefaçon par usage, sans qu'il soit nécessaire de rechercher l'existence d'un risque de confusion. La Cour de justice des Communautés européennes indique en effet que "l'article 5 paragraphe 1) a) de la directive (correspondant aux dispositions de l'article L. 713-2 CPI) n'exige pas la preuve d'un risque de confusion pour accorder une protection absolue en cas d'identité du signe et de la marque ainsi que des produits ou des services" (CJCE, 20 mars 2003, Arthur et Félicie, PIBD, n°771, III, p. 441 et s.).

Pour retenir la responsabilité des prestataires de positionnement payant sur le fondement de cet article, la jurisprudence s'attache à rechercher l'existence d'un acte positif de contrefaçon, qui consiste le plus souvent dans la suggestion des mots clefs, peu importe le mode de contrôle des annonces.

Mais cette solution, désormais classique (Affaire Eurochallenges, Vuitton, BDV, Méridien...) apparaît, au regard du principe de spécialité, dénuée de fondement juridique sûr.

Irrespect du principe de spécialité
En vertu du principe de spécialité, l'usage non autorisé d'une marque par un tiers, n'est constitutive d'un acte de contrefaçon qu'à la condition qu'elle concerne une activité couverte par l'acte de dépôt du signe. Or, si l'on peut reprocher valablement aux prestataires de positionnement payant de faire un usage non autorisé de marques appartenant à des tiers, la similarité des produits ou services visés est quant à elle plus délicate à démontrer.

En effet, lorsqu'un prestataire utilise une marque pour afficher des annonces commerciales de tiers contrefacteurs, cela s'effectue dans le cadre d'un service publicitaire qui, sauf exception, n'est pas compris dans le champ de protection de la marque. La marque est utilisée pour afficher des annonces, et non pour proposer des produits ou services similaires à ceux visés dans son acte de dépôt. De façon concrète, dans l'affaire Luteciel par exemple, Google faisait usage de la marque "bourse des voyages" non pour vendre des voyages, mais pour afficher des publicités. Elle ne pouvait donc en être considérée comme le contrefacteur direct. Les juges en ont pourtant décidé autrement, dans cette affaire comme dans la quasi totalité des espèces qui ont suivi.

Cet argument fut notamment soulevé comme moyen de défense par la société Google dans le litige l'opposant à la société CNRRH. Selon Google, la contrefaçon de marque ne pouvait être retenue à son égard puisque l'utilisation de la marque ne concernait pas une activité couverte par le signe. Pour rejeter l'argumentation, le tribunal, après avoir rappelé que "la contrefaçon est constituée par toute atteinte au droit sur la marque dans le cadre de la spécialité" , poursuit en posant que "la société Google n'est pas un concurrent de la société CNRRH. (...) Cependant, elle a reproduit la marque Eurochallenges dans sa liste de mots-clés afin de la proposer à ses clients annonceurs exerçant notamment la même activité que les services désignés par la marque". Ainsi conclut-elle, "même si son activité n'est pas identique ou similaire à celle protégée par la marque Eurochallenges, il n'est pas contestable que son activité consiste à proposer ou à vendre des espaces publicitaires constitués par des liens commerciaux de clients qui ont, eux, une activité identique ou similaire avec la marque". Le tribunal procède donc sciemment à une extension du principe de spécialité. La marque est ainsi protégée contre ceux qui s'en serviraient à des fins concurrentes mais aussi contre ceux qui participeraient à la promotion de cet usage.

Pour justifier cette extension, l'on a pu lire que si la rigueur du principe de spécialité n'était pas respectée quant au prestataire, elle l'était en considération de la finalité du mot-clé, car celui-ci est utilisé pour permettre à des concurrents d'être identifiés comme des équivalents sur le marché concerné (P. TREFIGNY, Référencement publicitaire et moteurs de recherche Internet : mauvais mariage ..., à propos de TGI Nanterre, 2e ch., 14 déc. 2004, Prop. Ind., avril 2005, p. 23.). Cette finalité placerait l'usage de la marque effectuée par le moteur de recherche, dans le même secteur d'activité que son titulaire.

Une telle interprétation constitue tout à la fois une extension et un raccourci. Une extension tout d'abord du principe de spécialité à la promotion d'activités identiques ou similaires, que la rigueur de l'analyse juridique doit conduire à combattre comme le fit le Tribunal de grande instance de Paris dans l'affaire Kertel. Un raccourci ensuite, en terme de responsabilité. En effet en matière de publicité traditionnelle, lorsque le travail d'une agence conduit à l'utilisation par un de ses clients annonceurs d'une marque, seul ce dernier est classiquement déclaré contrefacteur. Il a alors la possibilité de se retourner contre l'agence, en garantie des indemnités mises à sa charge en raison de sa faute, sous réserve de sa bonne foi. Or dans les espèces en ligne visées, les tribunaux ont condamné de façon autonome le prestataire de positionnement, dans son activité de conseil en publicité alors que "seuls les annonceurs qui distribuent des produits concurrents sont contrefacteurs au regard du principe de spécialité" (E. TARDIEU GUIGUES, L'utilisation des marques par les moteurs de recherche comme mots de références est-elle toujours une contrefaçon ?, Prop. Ind., oct. 2005, p. 19.).

Ce double mouvement s'inscrit dans une tendance jurisprudentielle qui condamne sur le même fondement que la contrefaçon elle-même, l'aide à sa réalisation. Ce manque de rigueur est à déplorer, d'autant que l'article L. 713-5 CPI permet de condamner, sur le fondement de la contrefaçon, les prestataires ayant exploité de façon injustifée une marque renommée et que la responsabilité du prestataire de positionnement par lien hypertexte peut être recherchée via de nombreuses autres dispositions légales.

Responsabilité nouvelle des annonceurs
En France, alors que l'ensemble des conditions d'application de l'article L. 713-2 du CPI n'étaient remplies qu'à l'égard des annonceurs et non des prestataires, il a fallu attendre l'affaire Kertel, pour que les juges, le 8 décembre 2005, condamnent enfin pour contrefaçon le seul annonceur utilisant la marque d'un concurrent pour afficher ses annonces par liens sponsorisés. En l'absence d'autorisation préalable, l'acheteur d'un mot-clé reproduisant une marque déposée par un concurrent, pour des produits ou services similaires, dans le cadre de la promotion d'un site Internet par positionnement payant, doit donc désormais être qualifié de contrefacteur, au sens de l'article L. 713-2 Code de la propriété intellectuelle. Il devrait par ailleurs être le seul à voir sa responsabilité retenue sur ce fondement.

La marque est protégée comme titre de propriété industrielle par le livre VII du Code de la propriété intellectuelle dès lors qu'elle a fait l'objet d'une procédure d'enregistrement. Pour être protégée elle doit faire l'objet d'un dépôt, à l'INPI ou au Greffe du Tribunal de commerce, mentionnant notamment les produits ou services pour lesquels elle est déposée. L'article L. 713-1 du Code de la propriété intellectuelle indique que "l'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits et service qu'il a désignés". Le signe peut donc être utilisé librement dans d'autres branches commerciales si les produits et services qui y sont attachés sont différents.

Il ne faut pas par ailleurs confondre les produits et services figurant à l'acte de dépôt avec ceux figurant dans les classes administratives des produits et services, qui, elles, ne déterminent pas l'étendue de la protection. En effet "la référence faite par un acte de dépôt à une classe déterminée n'a qu'une valeur administrative sans portée juridique : le fait qu'un dépôt se réfère à telle ou telle classe n'implique pas qu'il couvre automatiquement et nécessairement tous les produits de cette classe" (TGI Paris, 3e ch., 13 novembre 1998). Une similitude de produits peut exister entre des produits et services figurant dans des classes différentes. Il en résulte que les seuls produits et services à prendre en considération sont rigoureusement ceux énoncés dans l'acte de dépôt de la marque.

Les marques sont donc régies par une logique rigoureuse. Un site proposant des produits ou services différents de ceux pour lesquels la marque a été déposée, peut librement se positionner sur le mot-clé correspondant à la dite marque. Ceci dans la limite d'agissements parasitaires, c'est à dire dans l'hypothèse d'un site n'ayant aucun rapport avec le mot réservé, et pour la promotion duquel le propriétaire a procédé à la réservation, dans le but de profiter du travail d'autrui sans bourse délier.

Ainsi, en vertu du principe de spécialité, malgré un courant jurisprudentiel majoritaire contraire, seul l'annonceur d'une part, pour des produits ou services similaires d'autre part, devrait être condamné pour contrefaçon de marque dans le cadre du position squatting.

S'agissant toutefois de la seconde partie de la proposition, le cas des marques notoires fait exception. L'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que "l'emploi d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur s'il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière".