Benoît Corbin (Mobile Marketing Association France) "La publicité sur mobile pourrait dépasser le cinéma dans deux ans"

Le président de la Mobile Marketing Association France estime que les dépenses des annonceurs sur le mobile pourraient dépasser celles du cinéma dans les années à venir.

JDN. Vous êtes le président de la Mobile Marketing Association France depuis un an et demi. Quel chemin cette structure a-t-elle parcouru depuis le début de votre mandat ? 

Benoît Corbin. L'association a presque doublé le nombre de ses adhérents. Nous approchons aujourd'hui des 70 membres. Mais ce chiffre est en constante évolution : nous accueillons en moyenne un nouveau membre par semaine. 

La prise de conscience par les annonceurs de l'importance du marketing mobile est-elle responsable de cette augmentation ? 

En grande partie. En 2008, les acteurs positionnés sur l'Internet mobile étaient prêts à travailler avec n'importe qui tellement il était difficile de convaincre les annonceurs. Aujourd'hui, la plupart de nos membres ont du travail et refusent des appels d'offres. Ils ont d'ailleurs davantage de difficultés pour trouver des salariés que pour décrocher des clients. Beaucoup d'agences de marketing mobile s'offrent le luxe de choisir les clients avec lesquels elles veulent travailler. C'est une revanche intéressante. 

Comment a évolué la perception du mobile par les annonceurs ? 

Il est aujourd'hui beaucoup plus facile qu'avant de leur parler marketing mobile. Pour la plupart d'entre eux, il ne s'agit plus d'un média "paillettes" sur lequel on se positionne pour l'image. Le mobile devient une vraie problématique de business. De plus en plus d'annonceurs arrivent avec des budgets en centaines de milliers d'euros pour le mobile, ce qui n'existait pas en 2007 ou en 2008. Certains n'ont pas encore pris la mesure de l'importance du phénomène et continuent à travailler avec des budgets les plus faibles possibles. Un fossé est en train de se creuser entre les annonceurs qui y mettent des moyens et ceux qui y consacrent des queues de budgets. 

"Le SMS représente la moitié du marché du marketing mobile"

Depuis la création de la MMA France en 2003, comment avez-vous vu évoluer le marché du marketing mobile en France ? 

La principale évolution a été le décollage du secteur, non pas en 2007 avec le lancement de l'iPhone lui-même, mais avec celui de l'App Store en 2008. Les applications mobiles ont constitué une véritable rupture sur notre marché. Les SMS très en vogue au début des années 2009 ont aujourd'hui une image un peu has been. Mais il ne faut cependant pas en déduire que le SMS est mort. 

Pourquoi ? 

Ce segment du marketing mobile ne connaît plus de croissances à trois chiffres. Mais il connaît encore une forte progression à deux chiffres et représente toujours une bonne moitié des dépenses globales des annonceurs en marketing mobile. 

Comment expliquez-vous cette part importante du SMS alors que l'attention du marché se porte sur les applications ? 

Le SMS reste un outil pertinent de marketing direct sur mobile. Il offre toujours des taux de lecture et de réactivité bien supérieurs à l'e-mail, qui reste moins consulté sur mobile. La notification en push via une application, souvent présentée comme une technologie alternative, n'offre pas tous les avantages du SMS, comme le fait de pouvoir être gardé en mémoire par exemple. Sur iPhone, Apple interdit par ailleurs aux marques depuis le mois d'avril d'utiliser les push notifications comme support de marketing direct. Nous avons d'ailleurs été chagrinés par cette décision d'Apple. Mais elle souligne le fait que le SMS a encore de beaux jours devant lui. 

Que représente aujourd'hui le marché global du marketing mobile en France ? 

Difficile à dire, car il n'existe pas d'observatoire précis. Le marché global tourne aux environs de 100 millions d'euros. En plus d'une moitié encore trustée par les SMS, l'autre moitié se répartit en deux tiers d'applications et un tiers de sites mobiles. Ce n'est évidemment pas énorme en comparaison des investissements publicitaires sur Internet. 

"Sites et applications mobiles vont s'équilibrer en 2011"

A quelle échéance les investissements des annonceurs sur mobile deviendront comparables à ceux d'autres médias ? 

Probablement d'ici deux à trois ans. Le mobile pourrait alors se rapprocher du cinéma, voire le dépasser, comme l'a fait Internet il y a quelques années. Aux Etats-Unis, certains networks comme CNN ou ESPN estiment que leur audience sur le mobile est déjà plus forte que celle du Web fixe pendant les week-ends. Selon eux, leur audience mobile pourrait dépasser leur audience Web d'ici 13 ou 14 mois. Cela signifie que nous assisterons à l'horizon de quelques mois soit à l'émergence de budgets publicitaires additionnels pour le mobile, soit à des transferts de budgets publicitaires au profit du mobile. 

Quelles tendances anticipez-vous pour 2011 ? 

La grosse discussion pour 2011 va être celle de la place des sites Internet mobiles dans la stratégie des annonceurs. Je pense que nous sommes arrivés aujourd'hui à une apogée des applications mobiles. Elles ont gagné la bataille en 2010 mais je pense que le marché va se rééquilibrer en 2011 au profit des sites mobiles, grâce au possibilités techniques offertes par HTML 5 notamment. 

L'industrie du mobile est par ailleurs en train de bâtir une économie des applications. Il existe un vrai besoin de reconstruire sur le mobile tout un pan des outils qui existent aujourd'hui sur Internet. Il reste encore à trouver un équivalent du SEO (référencement naturel, ndlr) pour les applications, des offres de "store optimization" permettant d'accompagner les annonceurs à mieux distribuer leur application de façon payante ou gratuite à l'intérieur des stores. C'est notamment pour travailler sur ces questions que nous avons créé une commission dédiée aux applications mobiles, présidée par le PDG de Nemo Agency, Bertrand Jonquois. 

Quels sont les principaux chantiers de la MMA France ? 

Nous travaillons sur deux dossiers importants. Le premier concerne la standardisation des formats publicitaires. La MMA, qui est une association mondiale, a été très active dans la définition les standards publicitaires sur ce média. Mais il s'agit d'une tâche compliquée car le mobile évolue très vite et de nouveaux formats apparaissent tous les jours. 

L'autre enjeu du moment porte sur la publicité géolocalisée. Je travaille dans la téléphonie mobile depuis 18 ans et c'est probablement le sujet le plus compliqué sur lequel j'ai été amené à réfléchir. La réglementation n'est au mieux pas claire et au pire, inexistante. Les peurs psychologiques des uns et des autres sont très présentes, parfois exagérées. Pourtant, par rapport aux Etats-Unis, la géolocalisation publicitaire sur mobile est encore rare. Il n'existe pas encore d'offre de display géolocalisé aujourd'hui en France et seul SFR Régie propose une offre de push SMS géolocalisée. C'est donc maintenant que nous devons définir les bonnes pratiques entre professionnels. Nous y travaillons activement, via un groupe de travail spécifique. 

Quel est l'objectif de ce groupe de travail ? 

La rédaction d'un livre blanc sur le sujet dans un premier temps. Il devrait donner naissance à une charte qui sera elle-même traduite dans le code déontologique de la MMA France sous la forme d'un avenant, sur lequel chacun de nos membres devra s'engager. C'est une façon de montrer au législateur que les professionnels se sont organisés de manière active sur ces problématiques. Si les professionnels ne s'entendent pas pour définir de bonnes pratiques, nous risquons de nous retrouver dans un schéma réglementaire trop contraignant. 

Envisagez-vous d'en faire un label de confiance pour le grand public ? 

Non. Notre rôle est de définir une charte, pas d'être un organisme de contrôle ou de normalisation. Nos travaux pourront en revanche être repris par d'autres organismes comme base de travail pour une réelle certification. L'Agence française de normalisation s'intéresse notamment à ces travaux. Nous pensons que l'étape de normalisation sera un jour ou l'autre nécessaire.

Diplômé de l'ENST, Benoît Corbin a débuté sa carrière en 1992 au sein du groupe France Télécom en tant que consultant stratégie et marketing sur le mobile puis l'Internet. Après avoir été consultant chez PA Consulting Group puis AT Kearney, il crée l'agence de marketing mobile Ocito en mai 2002, qui sera rachetée en mai 2008 par le groupe 1000mercis. Ocito est aujourd'hui la division mobile du groupe, que dirige toujours Benoît Corbin. Il est par ailleurs membre actif de la Mobile Marketing Association France depuis janvier 2003 et administrateur depuis 2004. Il en est le président depuis mai 2009.