La SNCF instille la réalité augmentée dans sa maintenance

La SNCF instille la réalité augmentée dans sa maintenance Après trois ans d'études, les premiers projets sont déployés dans les ateliers pour simplifier les interventions des opérateurs sur les équipements.

Pour effectuer la maintenance des sièges des trains, les techniciens de la SNCF n'ont plus besoin de sortir leur trentaine de fiches d'instruction pour réaliser leurs opérations. Les informations peuvent être affichées par réalité augmentée (AR) grâce à des casques dédiés. Il s'agit de l'un des premiers usages déployés en exploitation par la compagnie ferroviaire française. La réalité augmentée sert à la transformation des rames TGV duplex, avec de nouveaux sièges intégrant de l'électronique, du pneumatique et des mécanismes complexes.

Julien Henry, responsable bureau d'étude à la direction de l'ingénierie du matériel chez SNCF Matériel, s'intéresse au sujet depuis 2017. Après avoir installé les outils nécessaires et produit un premier démonstrateur en 2018 pour l'ingénierie de maintenance, il a réalisé des expériences industrielles en 2020 et a finalisé l'usage pour les sièges en mars dernier. "Déployer la réalité augmentée est un travail de longue haleine. Il est très long de parvenir à un cas d'utilisation car la technologie est compliquée, chère car ce n'est pas évident d'équiper une flotte d'opérateurs avec des casques à 3 500 euros, et son ROI n'est pas évident immédiatement, d'autant que ce n'est pas encore une demande forte des utilisateurs", indique-t-il.

67% des industriels utilisent encore des manuels de procédure sous format papier

Environ 67% des industriels dans le monde utilisent encore des manuels de procédure sous format papier pour les opérations d'inspection, constate-t-on chez PTC, fournisseur de technologies dédiées à l'IoT et à la réalité augmentée. "Ces versions papier de modes opératoires sont souvent truffées d'erreurs, difficiles à interpréter et deviennent finalement des obstacles dans une approche d'amélioration continue", estime Michael Campbell, executive vice president and general manager AR chez PTC.

La réalité augmentée est un sujet stratégique pour la SNCF : une démarche sur la technologie a été engagée au niveau national avec la création d'un fab AR/VR dirigé par Frank Doute, qui a pris en main la supervision des différents projets initiés au sein des différentes entités de l'entreprise pour apporter une expertise digitale. Plus de 560 personnes effectuent une veille sur la réalité augmentée et partagent leurs retours dans un canal de communication interne. Une manière de faire que promeut PTC de son côté : "Les entreprises ont besoin de définir dès maintenant une stratégie AR pour maîtriser la technologie", a affirmé Jim Heppelmann, PDG de l'entreprise lors de son événement LiveWorx, qui a la certitude de l'explosion de la technologie ces prochaines années.

Vérifier la faisabilité sur le terrain

Pour bien démarrer un projet, Frank Doute conseille avant tout de convaincre les utilisateurs de l'intérêt de l'AR et de bien travailler sur les illustrations. "Il faut réfléchir en amont à la scénarisation et comment proposer l'information au bon format, au bon moment au bon collaborateur." Pour les trente modes opératoires de la maintenance des sièges citée précédemment, l'équipe de Julien Henry a dû en récupérer les maquettes numériques afin de présenter, par exemple, comment changer un vérin sous forme d'une animation. "Il ne faut surtout pas se lancer sans avoir les données, ni vouloir trop en intégrer, ou encore voir l'AR comme une fin en soi", conseille-t-il. Un socle de données à jour a été constitué chez la SNCF à partir des solutions PLM ou BIM. "Pour commencer dans l'AR, il faut une bonne compréhension de la 3D", confirme Jim Heppelmann.

Les 30 fiches sur les modes opératoires pour la maintenance des sièges sont disponibles par réalité augmentée, un des outils à disposition des opérateurs. © SNCF Matériel

Autre point d'attention : vérifier que les appareils sont bien enregistrés dans le système d'information et "la faisabilité sur le terrain, en particulier en termes de connectivité", souligne de son côté Marc Prempain, cofondateur et CEO de Viibe, qui propose une application web de vidéo assistance. "C'est une succession d'étapes mais quand on a la méthode et les bons outils logiciels, cela ne prend que quelques heures pour projeter un résultat car l'on se sert de l'environnement réel. La plus-value est une meilleure formation des opérateurs", estime Julien Henry.

Tout en s'appuyant sur les partenaires du groupe dont fait partie PTC, Julien Henry développe les compétences AR en interne. "Pour s'assurer d'obtenir un ROI, il est nécessaire de multiplier les usages pour rentabiliser l'investissement car il s'agit de coûts fixes", confie-t-il. Julien Henry prévoit ainsi d'appliquer dans les semaines à venir la réalité augmentée aux opérations industrielles pour l'aide au montage. Par exemple, les chaudrons de motrice TGV doivent être équipés de systèmes complexes comprenant des câblages. Avant de les disposer sur l'engin, ils seront affichés par AR, ce qui permettra de vérifier si la conception est correcte dans le cheminement des câbles, d'aider les opérateurs à se représenter le mécanisme final et d'éviter toute erreur d'installation.

La prochaine étape sera d'appliquer la réalité augmentée sur les engins en dehors des ateliers. Par la suite, Julien Henry aimerait coupler davantage les solutions de réalité augmentée avec l'IoT. "Pour les électriciens par exemple, on pourrait afficher en temps réel par réalité augmentée les mesures de tension relevées par IoT lors des interventions." Julien Henry ne s'est pas fixé de roadmap, il reste selon lui encore du temps avant que la technologie soit plus accessible. "La réalité augmentée est une application lourde et, même si elle est déployée via le web, elle ne va pas être supportée par tous les smartphones. Les entreprises font donc l'impasse par manque de scalabilité", explique Marc Prempain, qui a ainsi rendu sa technologie agnostique par rapport aux appareils utilisés. De son côté, Frank Doute attend les résultats du mariage entre l'AR et la 5G.