Peter Gray (NTT) "L'IoT permet d'offrir une expérience digitale à valeur ajoutée au Tour de France"

Pour ce 108e Tour de France, l'application de l'événement s'est enrichie d'une carte du parcours en 3D donnant aux fans des informations sur le terrain, les performances des cyclistes et des estimations d'arrivée en temps réel.

Peter Gray, senior vice president, Advanced Technology Sport chez NTT Ltd.  © NTT

JDN. Vous avez créé avec votre équipe le jumeau numérique du Tour de France. Quel bilan en tirez-vous deux semaines après le début de la course ?

Peter Gray. L'IoT nous permet d'offrir une expérience digitale à valeur ajoutée au Tour de France, qui est le troisième plus grand événement sportif au monde, regardé par environ 3,5 milliards de personnes dans 190 pays. Grâce aux données des capteurs, nous avons réussi à créer une carte géographique de chaque étape, que les fans peuvent visualiser en 3D sur l'application mobile, indiquant de manière dynamique des informations permettant de comprendre les caractéristiques de chaque étape (le dénivelé, la météo, la distance, etc.) et les performances de chaque cycliste en précisant le profil de ceux qui restent dans la course. L'idée de créer un jumeau numérique du Tour de France vient du désir de l'A.S.O, organisateur du Tour, d'améliorer l'expérience des fans où qu'ils soient dans par le numérique. Par exemple, en analysant avec du machine-learning la géolocalisation du peloton fournie par l'IoT, nous pouvons estimer son heure d'arrivée à tel endroit. Toutes les données sont envoyées dans le cloud afin de les utiliser pour différents services. Ainsi, un spectateur sur place peut chercher sur la carte où sont les commerces à proximité de son emplacement.

Combien de capteurs avez-vous déployés ?

On a travaillé avec les équipes de l'A.S.O sur plusieurs types de capteurs. Déjà, il y a 184 capteurs, un pour chaque cycliste, positionnés sous la selle de leur vélo.  Nous en avons également déployé sur les véhicules encadrant le Tour mais aussi à une trentaine d'endroits du parcours. Nous agrégeons aussi les données de stations météo. Nous récupérons 2,7 GB de données en temps réel par étape. Mais quand on parle d'IoT, il n'y a pas que les devices, cela recouvre aussi le réseau de communication, les technologies de transmission, la plateforme d'analyse pour fournir différents services. Le pouvoir de l'IoT réside dans la combinaison de diverses technologies, du capteur à l'utilisateur final. Le projet a ainsi mobilisé une quarantaine de personnes chez NTT depuis février dernier pour définir ces bonnes combinaisons.

Avez-vous dû réaliser des combinaisons pour les réseaux ?

Exactement, le réseau à choisir dans l'IoT dépend de la nature de l'information que l'on veut capter mais il y a parfois des zones blanches sur les terrains que nous traversons. Il faut garantir une bonne transmission des données, que l'on traverse des plaines ou des sommets montagneux. Nous recourons donc à divers réseaux. Les capteurs sous la selle des cyclistes communiquent sur une radiofréquence spéciale en réseau mesh faite pour le multiplex avec les signaux de la télévision. Nous utilisons aussi la 3G, les réseaux cellulaires d'opérateurs et la 0G de Sigfox.

Les données IoT sont utilisées en temps réel pour fournir différents services. © NTT

Quel a été le plus gros challenge de ce projet par rapport aux jumeaux numériques que l'on peut retrouver dans l'industrie ?

Le plus grand défi tient dans le fait que le Tour de France est un environnement dynamique et changeant. Il faut pouvoir tout connecter sur les 3 414,4 km du parcours. Les capteurs développés pour être installés sous la selle des vélos ne pèsent pas plus de cent grammes, leur batterie doit tenir toute l'étape mais surtout, ils doivent être capables de transmettre leurs données à des vitesses comprises entre 1 et 10 km/h pour envoyer leur position GPS chaque seconde. Les données de chaque coureur sont analysées en edge computing à partir des véhicules. L'avantage de l'IoT est d'offrir une bonne image de la situation réelle, même si celle-ci évolue en permanence.

Est-ce que le projet IoT du Tour de France peut tout de même être adapté à d'autres besoins professionnels ?

La solution déployée peut l'être rapidement dans différentes conditions, elle est portable. Nous travaillons par exemple avec la police au Royaume-Uni pour suivre leurs véhicules lors d'interventions. Ce projet se base sur les mêmes technologies. NTT mène aussi de nombreux projets pour les smart cities, qui peuvent là encore s'appuyer sur ce projet IoT pour des besoins différents, d'autant que les briques technologiques sont désormais abordables pour tout type d'acteurs.

Est-ce que les technologies utilisées ont également été adaptées pour répondre aux mesures liées à la crise sanitaire ?

Nous utilisons la computer vision pour identifier des zones de congestion. NTT dispose d'une plateforme qui indique à partir de l'analyse d'images combien de personnes sont regroupées, pour éviter la foule. Cette technologie est déployée pour la première fois sur le Tour de France. 

Quelle est la prochaine étape pour votre équipe ?

Nous avons une roadmap pour ces prochaines années, avec les fonctionnalités que nous voulons apporter. Nous sommes partenaires de l'A.S.O depuis 2015. Nous avons commencé à utiliser l'IoT pour tracer les cyclistes, mais l'objectif est désormais d'aller plus loin d'année en année en réfléchissant comment les technologies peuvent apporter de la valeur. Par la suite, la 5G ouvrira la porte à de nouvelles possibilités, notamment pour créer un réseau privé. Améliorer l'expérience des fans est un travail continu.

Peter Gray est senior vice president, Advanced Technology Sport chez NTT Ltd. Il dirige l'équipe technologique de NTT sur le terrain pour le Tour de France depuis 2015 et a supervisé la mise en œuvre du suivi en direct, des analyses en temps réel, de l'apprentissage automatique, des graphiques de diffusion améliorés et des nouvelles plateformes numériques et de médias sociaux, tous conçus pour révolutionner l'expérience des fans du Tour de France. Son équipe conceptualise, conçoit et réalise par ailleurs d'autres projets d'innovation stratégique dans l'industrie du sport, pour des associations, des clubs, des diffuseurs et des magasins d'articles de sport.