Privés de composants, les acteurs de l'IoT français se réinventent

Privés de composants, les acteurs de l'IoT français se réinventent Les délais de livraison s'allongent encore, les prix augmentent… Contre les ruptures de stock, les entreprises de l'IoT ont modifié leurs processus de production, renforcé leurs équipes sourcing et se sont associées.

Ceux qui avaient commandé un masque connecté FiiT de la start-up française R-Pur devront attendre un mois de plus, jusqu'à fin décembre, pour le recevoir. En cause : la pénurie de composants. Mais R-Pur n'est pas le seul dans ce cas, tous les acteurs de l'IoT sont touchés de la même manière. Et la situation s'est aggravée depuis un an. "Au début de la crise fin 2020, il n'y avait que quelques composants à valeur ajoutée qui manquaient, notamment les chipsets et les LCD. Puis ça a été au tour des CPU, des microcontrôleurs, du plastique, etc", constate Anthony Radvansky, directeur des ventes chez MobiIoT, entreprise spécialisée dans la fabrication hardware de terminaux. Les délais de livraison se sont allongés de 16 à 52 semaines en début d'année, jusqu'à 83 semaines actuellement. Le PDG d'Intel a annoncé que cette situation devrait se poursuivre au moins jusqu'en 2023.

En corollaire, les prix se sont envolés. "Les coûts de transport ont triplé, les prix de production ont augmenté de 20%", indique Flavien Hello, CEO et cofondateur de R-Pur, qui a décidé de réduire ses marges pour ne pas pénaliser ses clients. Pour rappel, cette pénurie de composants est due à une série de facteurs qui se sont cumulés (Lire notre fiche sur le semiconducteur).

"Les coûts de transport ont triplé, les prix de production ont augmenté de 20%"

Pour faire face, l'anticipation reste le maître-mot. La recommandation est de passer commande pour les projets à venir plus d'un an à l'avance. La start-up française eLichens a par exemple mis de côté 60 000 capteurs pour ses prochains projets et le spécialiste français des circuits radiofréquence ultra-miniaturisés Insight SIP a déjà passé commande pour 2023. De son côté, l'entreprise française de traceurs GPS Invoxia a sécurisé dès le début de l'année une centaine de références de composants électroniques pour ses produits destinés aux commandes de fin d'année. "Le Black Friday et Noël représentent un moment fort pour nos ventes, nous ne pouvions pas nous permettre de manquer d'approvisionnement", souligne Amélie Caudron, CEO. "Il faut néanmoins que les commandes correspondent aux besoins à venir. Cela ne sert à rien de commander en gros volume pour être prioritaire auprès des fournisseurs : non seulement cela ne fonctionnera pas car ces acteurs ne priorisent en fonction des volumes, mais en plus cela aggraverait encore davantage la pénurie", met en garde Agnès Damette, présidente de Logitrade, qui propose des solutions de services digitaux et humains pour l'approvisionnement.

Etre en veille permanente

Au-delà de cette anticipation, chacun a réorienté sa stratégie pour poursuivre ses activités. "Cette pénurie est une épreuve de performance, il faut continuer à innover", estime Flavien Hello. R-Pur a fait le choix de relocaliser et a investi "plus d'un million d'euros en 2020 dans une nouvelle chaîne de production" en région parisienne, dans le 91. "La durée de la crise nous a prouvé que c'était la bonne décision", certifie Flavien Hello, qui prépare la sortie de deux nouveaux produits en 2022 et a lancé la procédure pour réaliser une levée de fonds ces prochains mois.

D'autres, comme Insight SIP ou eLichens, ont renforcé les moyens de leurs équipes sourcing. "Il faut être en veille permanente pour acheter vite toute offre qui se présente, de manière opportuniste", assure Marc Attia, cofondateur et CMO chez eLichens. Les équipes sourcing téléphonent au quotidien aux fournisseurs, négocient, cherchent des produits équivalents.

Pour surmonter la crise, certains misent sur l'entraide au sein de l'écosystème. Invoxia a ainsi renforcé ses relations avec Withings. "Nous avons toujours eu une entraide forte. Pour cette pénurie, nous appelons les fournisseurs ensemble et nous partageons les offres de brokers que nous recevons pour passer des commandes ensemble", raconte Amélie Caudron, qui a aussi bénéficié de l'aide d'un de ses partenaires, qui lui a laissé de la place dans un entrepôt parisien quand le lieu de stockage d'Invoxia à Mulhouse était bouclé. Marc Attia s'est de son côté rapproché de certains de ses clients pour racheter des capteurs et éviter des ruptures de stock. Contre ces dernières, le fournisseur de services Unabiz a, lui, créé un programme d'investissement dans des entreprises françaises de l'IoT pour les financer et leur faire bénéficier de ses relations en Asie dans l'achat de composants.

"Il faut penser son produit à l'usine, chez le livreur, en entrepôt car il y a un effet domino"

L'ensemble des acteurs s'accordent à dire que désormais, c'est la totalité de la chaîne de valeur qui doit être prise en considération. "Il faut penser son produit à l'usine, chez le livreur, en entrepôt car il y a un effet domino", souligne Rémi Bader, directeur des opérations chez Invoxia. Pour Mehdi Chouiten, cofondateur de Datategy, entreprise française spécialisée dans la data science, l'une des clés pour surmonter cette pénurie réside dans l'intelligence artificielle. "L'IA permet de détecter les signaux faibles sur cette chaîne de valeur et de déterminer par les données comment réussir à réapprovisionner son stock selon ses besoins ou comment se comporte le marché pour prendre de meilleures décisions." A l'approche des fêtes de fin d'année, Datategy collabore étroitement avec les retailers sur les commandes d'électroménager à effectuer au bon moment. L'anticipation est encore et toujours la clé.