Ouriel Ohayon (Appsfire) "Les téléchargements récompensés dans les apps sont le spam des applications"

Apple rejette désormais les applications proposant de substituer à l'achat 'in app' le téléchargement d'autres applications. Le co-fondateur d'Appsfire réagit à cette initiative.

JDN. Depuis plusieurs semaines, Apple refuse systématiquement les applications proposant à leurs utilisateurs d'obtenir gratuitement des services payants sous la forme d'achats intégrés dans une application en échange du téléchargement d'une autre application. Comment analysez-vous cette réaction ?

Ouriel Ohayon. Apple a toujours indiqué dans ses conditions générales de vente qu'il est interdit de biaiser les résultats de ses classements ou les avis d'utilisateurs, ce que font justement ces services. Mais jusqu'à présent, il ne faisait pas respecter cette interdiction. Le téléchargement récompensé n'est pas un système très vertueux car les utilisateurs ne sont pas intéressés par les applications qu'ils téléchargent mais par ce qu'ils obtiennent à travers ce téléchargement (points, crédits, biens virtuels, déblocage de fonctionnalités supplémentaires, etc., ndlr).

Surtout, cette pratique pose deux problèmes : d'une part, les applications qui figurent en haut des classements ne sont plus celles qui sont réellement plébiscitées par les internautes mais celles qui dégagent des budgets marketing suffisants pour exister grâce à cette pratique. Certaines apps vivent uniquement sous perfusion des téléchargements sponsorisés et meurent dès qu'elles cessent cette pratique. D'autre part, cela crée une distorsion de concurrence entre les éditeurs qui proposent des achats intégrés et peuvent ainsi baser la croissance de leurs revenus sur ces incitations au téléchargement et ceux qui n'en proposent pas. Apple est conscient de ce déséquilibre qui est néfaste à la fois aux éditeurs et aux utilisateurs. Le groupe a d'ailleurs modifié son algorithme de classement des applications pour mieux prendre en compte l'engagement réel entre les utilisateurs et les applications. A ce titre, l'initiative d'Apple est salutaire, car elle élimine ainsi la "fausse donne" induite par cette pratique.

La réaction d'Apple remet-elle en cause le modèle du paiement à l'installation (PPI) qui constitue un mode important de rémunération de services de recommandation d'applications comme le vôtre ?

Le paiement à l'installation et les téléchargements récompensés sont deux choses différentes. Le PPI est un modèle de rémunération intéressant qui permet aux éditeurs et développeurs de maîtriser leur budget marketing. Nous le proposons d'ailleurs nous-mêmes aux éditeurs parmi d'autres modes de rémunération. Le problème, c'est que certains abusent de ce modèle en l'utilisant dans le cadre de téléchargements récompensés. D'une certaine manière, les téléchargements récompensés sont un peu aux applications ce que le spam est à l'e-mailing. Quand nous avons lancé Appsfire, nous avons considéré la question des téléchargements récompensés, mais avons refusé d'en faire. Notre objectif premier n'est pas nécessairement de propulser les applications au sommet des classements des stores, mais de les faire connaître aux utilisateurs qu'elles sont les plus susceptibles d'intéresser.

Cette initiative préfigure-t-elle le lancement par Apple de son propre mécanisme de promotion d'applications ?

Apple dispose déjà d'un tel levier hors de l'App Store au travers de sa plate-forme publicitaire iAd et je ne pense pas que le groupe souhaite mettre en place un système de promotion payant dans l'App Store. Les budgets investis dans les téléchargements sponsorisés échappent certes à Apple mais représentent finalement une goutte d'eau par rapport aux revenus du groupe. J'espère en revanche que cette initiative ne présage pas une intention plus large de la part d'Apple d'éliminer toute mécanique de promotion des applications. Le développement de ces téléchargements incités est justement dû à l'absence de canal de promotion dans l'App Store en dehors des classements d'applications les plus téléchargées. Or on ne peut pas reprocher aux développeurs de vouloir monétiser leur application ou la faire progresser dans les classements. Apple dispose du monopole du téléchargement des applications, mais pas de leur recommandation. Toutefois, iOS reste sa plate-forme : elle y fera ce qu'elle veut.

Ouriel Ohayon, diplômé d'HEC Paris, débute sa carrière chez Reckitt Benckiser puis chez Danone. En 2000, il lance sa première société, Ludopia Interactive, qu'il revend trois ans plus tard, avant d'intégrer AOL en 2004 pour s'occuper du business development d'ICQ en Europe de l'Ouest, Russie et Asie. En 2006, il lance l'édition française du blog "Techcrunch" et prend en parallèle la direction du fonds franco-israélien LightSpeed Gemini Internet Lab. Il lance en 2010 Appsfire avec Yann Lechelle. Ouriel Ohayon est par ailleurs membre du board de Wikio et co-fondateur du fonds Isai aux côtés de Pierre Kosciusko-Morizet, Jean-David Chamboredon, Geoffroy Roux de Bézieux ou Stéphane Treppoz.