Samsung peut-il mettre Apple et Google hors-jeu avec Tizen ?

Samsung peut-il mettre Apple et Google hors-jeu avec Tizen ? Après l'échec Bada, Samsung s'essaie à nouveau au développement d'un OS mais cible cette fois plus que le seul marché des smartphones.

Depuis déjà plusieurs mois, Samsung pilote dans un relatif secret le développement d'un nouvel OS open-source, Tizen... Jusqu'à cette annonce il y a quelques semaines, à l'occasion du Mobile World Congress de Barcelone, de l'arrivée de nouveaux modèles de montres connectées, la Gear 2 et la Gear 2 Neo, équipées de Tizen. Depuis, beaucoup s'interrogent sur les motivations et les ambitions du Sud-Coréen. Compte-t-il se débarrasser de son partenaire historique Android ? Veut-il contester l'hégémonie d'Apple sur le marché des Smartphones ? Ou cherche-t-il tout simplement à attaquer le marché des objets connectés ? 

Quoi qu'il en soit, ce nouveau projet met un coup de griffe au contrat moral qui lie Samsung à Google. "Les 26% de parts du marché des smartphones de Samsung proviennent d'Android", rappelle Vincent Pillet, directeur associé chez UserAdgents. Un rapport de force qui laisse forcément planer un gros risque financier du côté de Samsung, exposé au moindre revirement stratégique de Google. Un risque que le fabricant a tout intérêt à diluer en diversifiant le portefeuille d'OS qui opèrent ses smartphones. C'était d'ailleurs ce qui avait présidé au lancement de son précédent OS, Bada... Avant son abandon l'année dernière.

S'affranchir de la dépendance à Google et améliorer sa marge

"La réussite du projet réside dans la capacité de Samsung à créer un écosystème pérenne, en attirant des développeurs d'applications en masse, ce qu'il n'avait pas su faire avec Bada", analyse Vincent Pillet. Et pour convaincre la centaine de milliers de développeurs Android et iOS de lancer une application native, le Sud-Coréen pourrait s'appuyer une enveloppe de près de 4 milliards de dollars, soit un budget marketing 4 fois plus important que celui d'Apple. Un moindre mal pour celui qui, en faisant basculer son parc de clients d'Android à Tizen, ferait une belle affaire financière. Car si Android est gratuit et open-source (Google se finançant essentiellement par les retombées publicitaires), beaucoup de fabricants n'utilisent pas la version de base de l'OS, ce qui leur coûte donc de l'argent.  Ces licences de fonctionnalités souvent indispensables au bon fonctionnement du smartphone peuvent en effet peser jusqu'à 10% du prix du smartphone.

Autre bascule financière potentielle, les revenus générés par la publicité présente sur certaines applications Google ou les commissions prélevées par ce dernier sur chaque transaction effectuée sur Google Play... Autant de sources de revenus à côté desquelles Samsung passe pour le moment. Et quoi de mieux pour augmenter ses revenus que de faire grossir son propre gâteau ? Pour , Samsung, l'heure est venue d'élargir sa chaîne de valeur, comme l'illustre d'ailleurs sa volonté de lancer une technologie d'analyse comportementale sur mobile

Difficile de convertir ses 26% de parts de marché 

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Ecran d'accueil d'un smartphone Tizen. © S. de P. Samsung

Le pari est-il jouable ? Vincent Pillet reste sceptique. "Certes, la plateforme est aboutie et le système léger, interopérable avec tout l'écosystème Samsung... Mais ça reste au mieux une copie d'Android qui ne justifie pas forcément de changer d'OS". A l'heure où la personnalisation du smartphone est un vrai sujet (garder ses contacts, ses notes, sa musique, ses images dans le cloud...), la bataille fait rage entre les OS. Et tous peuvent se targuer d'avoir de forts taux de rétention client.

Dans cette quête de croissance de son parc d'utilisateurs, le Sud-Coréen ne pourra même pas miser sur celle des ventes de smartphones. Attendue à 19,3% en 2014 selon le cabinet d'études IDC, elle va chuter à 6,2% en 2018. Difficile dans de telles conditions d'atteindre la barre symbolique des 10% à partir de laquelle un OS commence à exister aux yeux des annonceurs. Microsoft lui-même a mis près de 2 ans pour l'atteindre, en capitalisant sur le rachat de Nokia.

Samsung aura clairement du mal à convertir l'intégralité de sa communauté à Tizen comme l'ambitionne pourtant son co-PDG. Vincent Pillet doute d'ailleurs que Samsung délaissera totalement Android. Une décision qui lui parait "dangereuse". Il voit plutôt dans l'arrivée de Tizen "un moyen d'exciter les marchés avec de la nouveauté" et table plutôt sur des lancements Galaxy à la fois sur Android et Tizen. Reste qu'à force de ménager la chèvre et le chou et en ne misant pas entièrement sur Tizen, Samsung pourrait reproduire le fiasco Bada. A moins que le Sud-Coréen ne voit tout simplement plus loin que le marché des smartphones et ambitionne en réalité de préempter celui des objets connectés. "Aujourd'hui, si nous devions réfléchir au développement d'un objet connecté, nous ne disposons pas vraiment d'alternative à Android Wear", commente Vincent Pillet.

Et si Samsung visait le marché de 80 milliards d'objets connectés annoncés en 2020 ?

Et c'est ici que Samsung pourrait avoir sa carte à jouer. Montres, bracelets, lunettes, voitures ou encore réfrigérateurs...  En 2020, on pourrait compter dans le monde jusqu'à 80 milliards d'objets connectés, selon l'Idate. Les perspectives de croissance sont, de ce point de vue, énormes. A condition toutefois de proposer quelque chose qui apporte quelque chose de vraiment nouveau du côté de l'expérience utilisateur. "C'est vraiment par la valeur de l'objet qu'il va mettre sur le marché que Samsung pourra prétendre à ce rôle. Ce n'est évidemment pas encore gagné, surtout au vue de la déception Gear 2, mais cela reste beaucoup plus facile d'être disruptif sur les "wereable technologies" que sur le marché des smartphones",  analyse Vincent Pillet. Dans ces conditions, on peut se demander si la blague potache lancée par Samsung le 1er avril dernier, annonçant l'arrivée d'un "gant connecté" qui permet d'appeler un ami en un claquement de doigt ou de transformer sa main en appli, en restera une bien longtemps. 

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Le "gant connecté" de Samsung.  © Samsung