Rémy Sansaloni (TNS Sofres) "Je souhaite l'émergence d'un internaute consommateur et citoyen"

Sociologue et philosophe de formation, le directeur d'études du département Planning stratégique de TNS Sofres explique pourquoi il attend beaucoup de l'instauration d'un droit à l'oubli numérique.

JDN. Qu'attendez-vous pour l'Internet en 2010 ? 

Rémy Sansaloni. Beaucoup de choses. Ce qui me préoccupe le plus actuellement, c'est la montée en puissance d'une société de surveillance généralisée sur le Net. J'attends beaucoup de la mise en place d'un droit à l'oubli numérique, que défend la secrétaire d'Etat à l'Economie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet. Plusieurs propositions de loi ont été déposées pour encadrer ce droit, ce qui est une bonne chose. La question de la temporalisation de la sauvegarde des données personnelles des internautes pose aujourd'hui un vrai problème. J'ai hâte de voir ce qui ressortira de ces débats. La question de la préservation de la vie privée en ligne est fondamentale. Internet est à la fois un énorme vecteur de démocratie, et une source de divulgation de la vie privée, une sorte de jeu de massacre de l'intimité dans une société de surveillance. 

Ce sont pourtant les internautes eux-mêmes qui fournissent les informations les concernant? 

C'est vrai, ce sont eux qui alimentent leur propre aliénation. Cette volonté de rendre publique sa vie privée est notamment forte chez les jeunes générations. Internet a profondément bouleversé les limites entre sphères privée et publique. Notre rapport au réel et notre façon de nous penser en tant qu'individu est en train de changer profondément. Nous ne sommes finalement pas si loin d'un monde orwellien. Et certaines entreprises, comme Google ou Facebook ressemblent de plus en plus à Big Brother. Il faut ajouter à cela que certaines entreprises nuisent d'une certaine façon à la neutralité économique d'Internet. La position quasi-monopolistique de certains acteurs et leurs velléités globalisantes m'inquiète. Cela me gêne par exemple de voir que Google détient environ 80% du marché mondial des moteurs de recherche. Sur ce point, j'attends de voir si l'arrivée de Bing parviendra un peu à bousculer la situation. 

La régulation par la loi est-elle la bonne solution ? 

Je ne crois pas en la seule régulation par l'Etat, car elle arrive sourvent trop tard et est généralement trop restrictive. Je ne crois pas non plus à l'auto-régulation par les acteurs du secteur. Cela peut paraître idéaliste, mais j'attends beaucoup plus sur ce point des internautes eux-mêmes, qui ont le pouvoir de choisir les services qu'ils utilisent et de sélectionner les informations qu'ils consentent à communiquer. Il y a un travail d'éducation à faire pour que chacun comprenne que ses habitudes de surf s'intègrent dans une mécanique globale. Un acte de consommation, aussi banal soit-il est déjà un geste politique, au sens noble du terme. Il s'agit d'une attitude citoyenne qui consiste à ne pas laisser certains acteurs devenir tentaculaires. L'émergence d'un internaute consommateur et citoyen, c'est mon utopie, mais plutôt pour 2015, voir pour 2020.