Les Anges ont-ils des ailes de pigeon voyageur ?

Comment donner envie d'investir dans la creation d'entreprise en période de crise : changeons le projet de loi de finance.

Mai 2001, l’arrière-salle du bistrot de la rue Turbigo est enfumée. Le conseil d’administration de PriceMinister s’est réuni en urgence autour d’une merguez frite. Un board de « business angels » digne du CAC 40 : des grands patrons mi-joueurs / mi-mentors se sont penchés sur notre nid avec leur grandes ailes d’ange. Pierre, Pierre, Justin et moi avons les traits tirés.

C’est la crise.

La bourse s’est effondrée sur elle-même, on nous parle de bulle mais PriceMinister.com est en ligne !... Depuis 4 mois seulement.

Cependant, nous courons déjà à la catastrophe : notre « tréso » s’épuise, la croissance est bonne mais nous accusons du retard sur notre business plan… Comment allons-nous payer les prochains loyers et les salaires de nos 10 premiers employés ? Nous devons mettre la pression sur nos investisseurs… La loi de finance vient de tomber, froide, sans nuance. L’imposition des plus values va être alignée sur celle des salaires. Désormais, ce sera 60.5% (45% sur la dernière tranche, plus les prélèvements sociaux à hauteur de 15.5%).

Bien sûr nous jouons le jeu, le « roadshow »,  les claquettes : « C’est un modèle de distribution révolutionnaire qui va modifier en profondeur les comportements de consommation ! ». Mais un à un, ils se retirent. « C’est la crise, et le gouvernement nous met des bâtons dans les roues, maintenant on doit se couvrir les gars : vous êtes jeunes vous pouvez rebondir, laissez tomber, installez vous en Belgique… » Je refais mes calculs, je viens d’acheter mon appartement, j’ai un crédit sur le dos, je viens de me marier aussi… Ils ont raison, il ne me restera jamais assez… Est-ce que je dois abandonner ? Je viens de diviser mon salaire par deux, est-ce que je peux demander encore plus de sacrifices à ma femme ?

Nous prenons la décision tous ensemble, raisonnablement : Juin 2001, PriceMinister est liquidé et les fondateurs se remettent sur le marché du travail « normal ». La fin d’un rêve…

(…)

Lundi matin 1er octobre 2012, c’est la crise… mince j’ai déjà vécu cela ? C’était un cauchemar ? Je me réveille au milieu d’un vacarme d’ailes de pigeons. Je suis cadre d’un  grand groupe Japonais depuis 2 ans, nous avons revendu PriceMinister après 10 ans d’indépendance et de développement. Notre société compte désormais 250 employés, notre taux de croissance galope à 2 chiffres. J’ai voté socialiste, comme d’habitude. Je lis beaucoup trop d’idéologies dans la presse sur un difficile projet de loi de finance dans un contexte économique pénible. J’entends les mots « anti-capitaliste », « anti start-up » d’un côté. « Complot UMP », « récupération  par l’opposition » de l’autre. Des idéaux libéraux qui affrontent des idéaux de redistribution. Il faut faire un effort, tout le monde est-il d’accord ?

Il me faut réaffirmer ici, simplement, la difficulté pour un entrepreneur (n.m. : de droite ou de gauche, quelqu’un qui lance une entreprise pour créer de la valeur à court ou long terme) de financer son projet. Un entrepreneur, on l’a bien lu ces derniers jours, prend des risques.

Ses investisseurs aussi.

La relation entre l’entrepreneur et ses « angels » (et ses fonds d’investissement) est un facteur clé de la création de valeur. Le fondateur donne, en échange de financement, ce qu’il a de plus précieux : une part de son capital. Pour en arriver là, une relation réciproque de confiance forte et durable est nécessaire. Il faut que l’entrepreneur se sente soutenu dans la tourmente. Dans 99% des cas, on observe des retards sur les business plans, c’est dans ces durs moments qu’on éprouve la relation de confiance.

Il faut donc un rêve en contrepartie.

Investir du temps et de l’argent dans la création d’une entreprise, c’est, admettons-le, une forme volontaire de redistribution de la richesse. Cela n’est possible que si le gouvernement, de droite ou de gauche, parvient à créer un environnement fiscal :

-          Stable : on ne bâtit rien sur les sables mouvants, l’histoire des dernières années est un casse-tête bureaucratique.

-          Incitatif : que le risque psychologique et réel soit compensé par des mesures motivantes. Angels mais pas angéliques !

-          Nuancé : tous les investissements ne sont pas équivalents, boursicoter n’a rien à voir avec la création d’entreprise.

L’imagerie « fast money » associée aux entrepreneurs et à leurs investisseurs aujourd’hui ressemble à s’y méprendre à celles des day-traders qui nous font froid dans le dos depuis 2008 (ou peut être depuis Gordon Gekko ?).

Mais la réalité d’une entreprise n’est pratiquement jamais d’être revendue très vite (pour PriceMinister, après 10 ans, je doute qu’on puisse qualifier les premiers angels de « spéculateurs court-termistes » ?). Et en général quand une entreprise est revendue, c’est pour mieux rebondir, pour accélérer son développement.

Une de mes fiertés depuis 2 ans est d’avoir investi dans 18 dossiers différents qui représentent déjà près de 200 emplois. Aucune de ces jeunes pousses n’a encore déposé le bilan. La plupart d’entre elles sont en retard sur leur business plan malgré leur forte croissance. Maintenant arrive pour eux le temps de lever des fonds pour un 2ème ou un 3ème tour.

Ils vont avoir besoin de moi, de nous. Mais est ce que je serai là ?

Est-ce que je ne peux rêver qu’à hauteur de [100 - 60.5 = 39.5%] ? Un chiffre qui se rapproche dangereusement de la température d’un organisme malade...

Toute entreprise a été petite un jour… Un idéal de gauche est qu’il faudrait encourager les petits…

Et pour autant j’approuve l’idée de Monsieur Peillon de recruter 40 000 professeurs. Je pense que l’on ne peut pas brader notre système éducatif, mais franchement, j’ai d'autres idées pour diminuer les coûts de structure de nos services publics, je pense que le gouvernement les a aussi. Courage, prenons des décisions difficiles : ne dressons pas les uns contre les autres, créons de la valeur ensemble, ici, en France.

Alors ? Pigeons Voyageurs ou Aigle Royal ?

Rêvons ensemble, ne coupons pas les ailes des anges.