Philip Rosedale (ex-Second Life) "Les mondes virtuels contribueront à rendre notre monde meilleur "

Le fondateur de Second Life s'apprête à lancer un mystérieux nouveau projet autour de la réalité virtuelle. Il livre au JDN sa vision du secteur et les leçons qu'il a tirées de sa première expérience.

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Après avoir fondé SecondLife, Philip Rosedale travaille à nouveau sur un projet lié à la réalité virtuelle. © Michael Sugrue

D'où vous est venue l'idée du monde virtuel SecondLife ?

Etant jeune, j'adorais concevoir de nouvelles choses. Je me suis donc très vite intéressé à l'électronique et à la programmation car je sentais que cela permettrait de créer et de simuler de nouveaux environnements. Passionné de réalité virtuelle depuis le lycée, j'ai eu d'assister à l'arrivée du web et de vivre une évolution technologique rendant possible la création d'un monde virtuel comme SecondLife.

Nous avons ainsi développé la première version de la plateforme entre 1999 et 2001 avec moins d'une quinzaine de personnes dans l'équipe. En 2008, nous comptions près d'un million d'utilisateurs actifs chaque mois dans le monde, dont une grande partie en Europe. Ce chiffre est resté globalement stable jusqu'à aujourd'hui (Philip Rosedale a depuis quitté la société, ndlr).

Avec du recul, comment expliquez-vous que SecondLife ait connu un tel succès médiatique ?

SecondLife n'était pas le premier monde virtuel mais il a été celui dont on a le plus parlé, notamment dans les années 2006/2007. Nous comptions alors chaque jour plusieurs centaines d'articles qui nous étaient consacrés sans avoir pratiquement jamais investi en publicité. La raison principale de cette popularité est selon moi intimement liée à l'idée même de l'existence d'un monde virtuel. Il s'agit d'une question fondamentale liée au développement de l'Humanité.

Pourtant, SecondLife n'a pas connu le même succès  que Facebook ...

Il y a pour moi deux raisons à cela, la première est que le fait de pouvoir communiquer avec autrui dans un monde virtuel n'est pas encore aussi développé et sophistiqué que dans le monde réel. Il est en effet plus difficile d'exprimer ses émotions en temps réel dans un espace virtuel. La seconde raison est que si vous souhaitez interagir, et surtout construire quelque chose dans un univers 3D, comme par exemple une simple maison, la souris ne suffit pas.

Ce problème n'a pas seulement été rencontré par SecondLife mais par beaucoup d'autres sociétés dont le concept était basé sur la construction en 3D et qui ont également cherché à simplifier, sans succès, ce processus de création et à le démocratiser pour le plus grand nombre. Je pense cependant que cela devrait changer dans un futur proche, notamment grâce à l'arrivée de nouveaux appareils qui offrent désormais plus de possibilités qu'un simple ordinateur en termes de création.

Marques, artistes, ambassades, universités, organisations religieuses... Comment expliquez-vous qu'autant de monde soit venu sur SecondLife ?

Selon moi, la principale raison est que nous avons laissé SecondLife se développer grâce à sa communauté. Nous ne voulions pas construire ce monde nous mêmes. Tout ce qui existe dans l'univers de SecondLife a entièrement été conçu par ses membres, et le fait que nous n'avons pas cherché à influencer ou à orienter son contenu a joué un rôle important dans le succès du service.

Des universités ont utilisé la plateforme pour dispenser des cours. Pensez-vous que SecondLife ait été un précurseur pour des services comme Coursera, par exemple ?

Je pense que SecondLife a aidé à démontrer que l'éducation pouvait se faire à distance, et d'ailleurs, beaucoup de sociétés font de belles choses dans ce domaine aujourd'hui. Néanmoins, nous n'avons pas encore vu de services virtuels ayant un véritable impact sur le monde de l'éducation.

Je pense que dans le futur l'enseignement se fera à travers le virtuel. J'entends par là le fait de pouvoir suivre des cours comme dans une véritable salle de classe, avec les interactions et conversations que cela entraîne,  sans simplement  se limiter au fait de pouvoir visualiser des vidéos sur la Toile. Comme je le disais plus tôt, cela arrivera lorsque la communication virtuelle, autrement dit le dialogue entre avatars, s'améliorera.

Un mot sur le business model de SecondLife, comment le service gagne-t-il de l'argent ?

De manière similaire à un service d'hébergement, comme celui d'Amazon par exemple. Le service se rémunère grâce aux données utilisateurs qui sont hébergées dans le monde virtuel. SecondLife a également sa propre monnaie d'échange - le Linden Dollars- ainsi que sa propre marketplace, la plateforme touche une commission sur les transactions et notamment sur les ventes d'objets virtuels qui sont réalisées entre les membres.

Certaines personnes ont a l'époque gagné beaucoup d'argent en vendant leurs création numériques sur Second Life. Est-il toujours possible de gagner de l'argent via la plateforme ?

N'ayant plus de rôle actif au sein de LindenLab, je ne pourrais pas vous donner de chiffres précis sur l'économie qui est aujourd'hui générée sur SecondLife. Mais il me semble que celle-ci est aujourd'hui au même stade que lorsqu'elle était à son meilleur niveau quelques années plus tôt. La réponse est donc oui !

Croyez-vous toujours aux mondes virtuels ? Selon vous, le monde virtuel de SecondLife est-il meilleur que le monde réel ?

J'y crois plus que jamais ! Je pense qu'en effet le monde de SecondLife est meilleur que le monde réel d'abord parce qu'il est plus sûr, les violences physiques n'ont en effet pas leur place dans un monde virtuel. Un autre avantage d'une plateforme comme SecondLife est de permettre à ses membres de rencontrer et d'interagir avec des gens du monde entier sans avoir à se déplacer, et donc beaucoup plus facilement que dans le monde réel.  

Je pense également que, dans le futur, les mondes virtuels seront en mesure de nous proposer un niveau de détails amélioré et une expérience meilleure que celle que nous vivons actuellement dans le monde réel. Prenons l'exemple d'un concert, alors que dans notre monde il est difficile d'organiser un concert géant, un monde virtuel permet à un artiste de jouer de manière presque intime pour des millions de personnes en même temps. Enfin, contrairement à notre monde, la transparence est l'une des vertus des mondes virtuels. De ce point de vue, je pense que les mondes virtuels contribueront à faire de notre monde réel un monde meilleur et nous aideront à nous rapprocher les uns des autres.

Que va changer l'arrivée du mobile pour les mondes virtuels du futur ?

Outre le fait de pouvoir accéder n'importe quand et de n'importe où à son avatar, je pense que le mobile offre surtout de nouvelles possibilités en termes d'amélioration de l'expérience utilisateur. Avec une tablette par exemple, le fait de pouvoir toucher l'écran et manipuler des objets avec ses doigts sont autant d'éléments qui permettent de mieux contrôler et de simplifier l'interaction avec un environnement virtuel. Je pense qu'il s'agit d'un véritable changement qui aura un impact sur les mondes virtuels du futur, en comparaison avec ce que nous avons réussi à bâtir avec une souris et un clavier.

A titre personnel, quels sont vos futurs projets ? Vous avez récemment levé des fonds pour votre projet High Fidelity (lire l'article / "Le fondateur de SecondLife lève des fonds pour sa startup High Fidelity", le 05/04/13), quel est-le concept de votre nouveau projet ?

Je travaille actuellement autour de ce qu'on appelle la réalité virtuelle, en réfléchissant notamment à ce que les nouvelles technologies d'aujourd'hui permettraient de créer de nouveau dans ce domaine. Mais je ne préfère pas en dire plus pour le moment...

En 1995, Philip Rosedale créé FreeVue, un service de conférences vidéo sur le web qui sera racheté en 1996 par RealNetworks. Trois ans plus tard, il quitte son poste de CTO au sein de l'entreprise pour créer Linden Lab. La société sera surtout connue pour être à l'origine du monde virtuel Second Life. Après son départ de l'entreprise, il s'est investi au sein de différents projets dont notamment Coffee&Power et Worklist.net. En 2013, il cofonde High Fidelity Inc, une entreprise dont le but est de développer la prochaine génération de systèmes de réalité virtuelle.