Commission Lescure : la montagne a-t-elle accouché d'une grosse souris ?
La Commission présidée par Pierre Lescure a remis lundi 13 mai 2013 son rapport très attendu, intitulé "Acte 2 de l'exception culturelle". Ce pavé de 500 pages contient environ 80 propositions "clé en main", qui pourraient, selon Pierre Lescure, trouver une concrétisation rapide en droit positif si le gouvernement le souhaitait.
Parmi ces nombreuses propositions et au gré des analyses et constats de la Commission, d'aucuns pourront regretter l'absence de mesure révolutionnaire. Alors que la personnalité atypique et le profil d'ex-soixante-huitard de son Président laissaient augurer des préconisations "choc", dans le droit fil du "choc de moralisation" et du "choc de compétitivité" chers au Président Hollande, la Commission Lescure décevra une partie des attentes en refusant notamment de prôner la légalisation des échanges non marchands, trop difficile à mettre en œuvre, selon elle, au vu des engagements internationaux de la France.
Quant à la suppression de la
HADOPI, largement anticipée au vu des déclarations de Pierre Lescure dans les
médias, elle n'est elle-même qu'une demi-mesure puisque la "riposte graduée" ne serait pas fondamentalement remise
en cause : en cas de non sécurisation de l'accès à internet, seule la sanction
visant à la coupure de l'abonnement serait abandonnée et le plafond des amendes
abaissé (de 1.500 à 60 euros), tandis que les attributions de la Haute Autorité
tendant en particulier à la mise en œuvre de mesures pédagogiques seraient
confiées au Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui attend depuis des années
que son emprise sur la télévision s'étende à l'Internet.
La Commission renonce même à
renforcer l'arsenal législatif à l'encontre des acteurs du piratage commercial.
Sur ce point, il est exact que le Code de la propriété intellectuelle contient
d'ores et déjà des outils répressifs d'ailleurs rarement mis en œuvre. Il n'est
donc pas besoin de légiférer de nouveau.
Mais alors que la révision du
régime légal de responsabilité des hébergeurs et la mise en place d'un régime
de responsabilité des moteurs de recherche étaient très attendues, la
Commission Lescure prône un status quo,
en comptant sur la seule bonne volonté des intermédiaires techniques. Elle vise
en effet à dynamiser l'autorégulation des intermédiaires techniques, au moyen
de chartes de bonnes pratiques.
En d'autres termes, la Commission
Lescure a ressorti les bonnes vieilles marmites, puisque plusieurs chartes en
la matière ont déjà été signées il y a quelques années, notamment celle conclue
en 2007 entre Microsoft, NBC Universal, MySpace, Dailymotion, CBS et Fox, afin
de mettre en place des mesures de filtrage. On sait que ce genre d'initiative
produit généralement assez peu d'effets en pratique.
Dans ce contexte peu audacieux,
la mesure qui retiendra l'attention et suscitera la controverse sera
certainement la proposition visant à créer une nouvelle taxe portant sur les
terminaux d'accès à internet (ordinateurs, smartphones, tablettes). L'idée
consiste à compenser le préjudice des ayants-droit résultant des actes de
piratage par un nouveau prélèvement, qui rappelle fortement la rémunération
pour copie privée, sur laquelle il serait d'ailleurs adossé. Il est très peu
probable, contrairement à ce qu'imagine le rapport, que les fabricants de ces
terminaux prennent cette rémunération à leur charge. Les tablettes et
smartphones, déjà plus chers en France qu'ailleurs, risquent donc de devenir de
moins en moins accessibles.
Pour les juristes, certaines
mesures prônées par la Commission créeront le débat, comme la modernisation des
exceptions au droit d'auteur, dont le but consisterait notamment à favoriser la
création d'œuvres dérivées sous la notion d'"œuvres
transformatives" (sic). En somme, si cette nouvelle exception devait être adoptée, il ne serait plus nécessaire de solliciter l'autorisation des
différents ayants-droit pour pouvoir créer des remixes ou des mash-ups,
ce qui risque de faire grincer des dents si cette exception n'est pas
strictement limitée à des fins non commerciales.
Par ailleurs, des propositions
qui seront moins commentées mais non dénuées d'intérêt portent sur les droits
des photographes en ligne, malheureusement limitées à l'adoption d'un code de
bonne conduite (encore) pour restreindre l'usage de la mention "DR" ("Droits réservés")
et la création d'un statut de producteur de spectacles vivants qui
bénéficierait du droit d'autoriser la captation des spectacles et jouirait
parallèlement d'un droit à rémunération spécifique. Sur le même plan, la
Commission soulève à nouveau l'idée d'une gestion collective de la musique en
ligne, déjà envisagée dans le rapport Création & Internet de 2010 à la suite des travaux de la Commission Zelnik.
Pour le reste, le rapport prône
de manière très attendue le renforcement de l'offre légale, une nouvelle
réduction de la chronologie des médias, un alignement de la TVA sur les œuvres
culturelles numériques sur le taux réduit applicable aux œuvres culturelles classiques,
ainsi qu'une refonte de la rémunération pour copie privée afin de l'adapter aux
nouveaux usages.
En conclusion, si le travail de la Commission Lescure a visiblement été monumental, comme en témoigne la taille du rapport, on peut regretter que les propositions se limitent – pour l'essentiel – à de vieilles recettes : taxer davantage pour permettre le financement de l'industrie culturelle, prôner l'autorégulation, encourager la réflexion. Tout ça pour ça.