Loi pour une République numérique : ce qui va changer

La version finale du projet de loi pour une République numérique a été décidée le 29 juin. Quels en seront les impacts concrets pour les entreprises ? Réponses croisées de l'homme d’affaires et président de l'Acsel Cyril Zimmermann et de l'avocat Eric Barbry.

Eric Barbry : Adoptée en commission mixte paritaire, la loi pour une République numérique sera bientôt une réalité.

Que l’on soit partisan ou détracteur du texte, il faut reconnaître que son titre est un symbole : il devrait faire entrer la République dans l’ère du numérique. Le mode de co-construction du projet de loi grâce à une participation-e-citoyenne est une considérable avancée démocratique.

Economie de la donnée, protection des droits dans la société numérique accès au numérique : pour faire entrer notre République dans l’ère du numérique, la loi fixe trois piliers, qui vont avoir des conséquences concrètes sur les entreprises. 

Economie de la donnée 

Cette loi vise à favoriser l’accès à la donnée et à donner un véritable statut à l’open data. Au programme, un accès encore plus facile aux documents administratifs (ce qui était déjà assuré par la loi dite CADA depuis près de 40 ans) ou encore un échange quasi imposé et gratuit de données entre les administrations.

Autre avancée notable : l’obligation légale de participer à ce que l’on appelle l’open data (données publiques). Les conditions d’accès auxdites données sont également abordées avec une liste de licences de référence. L’administration qui souhaitera sortir de cette liste devra préalablement faire homologuer sa licence par l’Etat.

L’article 9ter fixe une règle d’indépendance technologique des systèmes d’information de l’Etat. Il encourage notamment l’utilisation de logiciels libres, de formats ouverts lors de développements, mais aussi de l’achat de tout ou partie d’un système d’information. En ordonnant une date au 1er janvier 2018, il encourage fortement une migration vers le protocole réseau IPV6.

Cette obligation d’ouverture des données est également imposée à un certain nombre d’acteurs privés notamment les concessionnaires, certains bénéficiaires de subventions publiques, les gestionnaires du domaine public routier, ceux des réseaux publics de distribution d’électricité ou de gaz naturel.

Le texte prévoit par ailleurs le lancement d’une réflexion sur la nécessité ou non de créer un commissariat à la souveraineté numérique qui serait chargé de préserver la souveraineté nationale et les droits et libertés individuelles et collectives dans le "cyberespace" (sic).

Dans le domaine scientifique le texte propose une avancée significative avec un véritable droit d’accès aux écrits et travaux scientifiques et renforce le droit à la dispensation de l’enseignement supérieur par voie numérique.

Cyril Zimmermann : Sur ce point l’Acsel s’est félicitée de ces dispositions tout en regrettant que la notion même de données ou de data reste floue notamment entre les données brutes et les données enrichies. L’Acsel regrette également qu’en miroir de l’open data, le droit pour une entreprise à protéger son patrimoine immatériel n’ait pas été renforcé comme ce fut un temps proposé dans le projet de loi Macron 1.

Protection des droits dans la société de l’information 

Eric Barbry : On aurait pu penser qu’entre les dispositions de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, la loi Hamon et la loi Macron 1, la protection (notamment des consommateurs) dans la société de l’information était largement assurée. Il faut croire que non puisque la loi prévoit une série de nouvelles obligations dont : la neutralité, la portabilité et la loyauté.

La neutralité est un chantier à part entière sur lequel nombre d’acteurs sont intervenus au plan européen comme au plan national (singulièrement le Conseil National du Numérique). Ajouter au rang des obligations juridiques, la neutralité de l’Internet, c’est-à-dire garantir l’accès à l’Internet ouvert, est toutefois un résultat bien limité au regard des travaux réalisés qui avaient surtout pour ambition d’interdire toute forme d’abus de dépendance technologique, concept défendu par l’Acsel. Car le risque aujourd’hui est celui d’une privatisation du net et demain de celle de l’IoT.

La portabilité et le droit à récupération des données consistent, eux, à permettre à un consommateur (exit donc le BtoB, comme les termes l’indiquent) de récupérer et de porter vers un autre opérateurs une série de données.

Le code de la consommation comportera dorénavant une nouvelle obligation à la charge des "fournisseurs d’un service de communication au public" (disons un service en ligne) de proposer gratuitement une fonctionnalité permettant de récupérer tous les fichiers mis en ligne par le consommateur et toutes les données résultant de l’utilisation d’un compte utilisateur et consultable en ligne par celui-ci.

Cyril Zimmermann : L’Acsel a beaucoup œuvrée sur ce point en estimant que si la pertinence d’un droit de portabilité et d’un droit à la récupération n’était pas discutable il fallait manier le concept avec prudence notamment sur les données enrichies par les éditeurs de service en ligne.

Il est donc heureux de voir exclues de cette obligation les données qui ont fait l’objet d’un "enrichissement significatif" même si cette notion floue donnera sans doute de quoi alimenter les débats des juristes. De même l’Acsel se félicite de la prise en compte de notions telles que "l’importance économique des services rendus" ou "l’intensité de la concurrence entre les fournisseurs".

L’Acsel examinera avec la plus grande attention l’ensemble des décrets à intervenir sur ce point.

Eric Barbry : Enfin la loi renforce la notion de "loyauté" des plateformes en ligne. Elle commence par définir la notion même de plateforme, dont il faut comprendre qu’il s’agit de site de classement ou de référencement de contenus, biens ou services d’une part et des services de mise en relation de "parties" (et non d’ailleurs de consommateurs) en vue de la vente, la fourniture de produits ou services, l’échange ou le partage… Bref, 100% des nouveaux acteurs ou presque !

Le terme même de "loyauté" est complexe car il est constitué d’une information loyale (ce qui est une tautologie) mais aussi claire et transparente sur trois éléments : les fameuses conditions générales d'utilisation pour l’intermédiation et les conditions de référencement et de classement pour les autres ; l’existence ou non de liens contractuels, capitalistiques ou de rémunération sur le classement et le référencement ; et enfin les droits et obligations des parties en matière civile et fiscale.

La loi impose à un certain nombre d’acteurs identifiés par voie de décret d'élaborer et de diffuser de bonnes pratiques aux consommateurs.

La loi ambitionne également de traiter le cas des avis et impose là aussi loyauté, clarté et transparence notamment sur les modalités de contrôle, de traitement et de publication de ces avis.

Elle impose également une limitation en matière de localisation des logements constituant une résidence principale avec un seuil maximum de 120 jours par an.

Cyril Zimmermann : On ne peut pas être contre le renforcement des obligations en termes de neutralité ou de loyauté et la volonté par ailleurs de défendre la souveraineté numérique. Cependant l’Acsel estime que les outils pour défendre ces valeurs existent déjà pour la plupart dans le droit européen et français (droit de la consommation, droit de la concurrence, fiscalité...). Dès lors, il est discutable de vouloir créer de nouvelles notions juridiques aux contours plus ou moins précis. Il semble préférable de se doter des outils nécessaires pour faire appliquer les lois existantes et d’envisager certaines de ces notions sous l’angle politique et diplomatique plutôt que de faire voter de nouvelles dispositions législatives nationales, qui risquent fort de contraindre à de nouvelles obligations les seules entreprises françaises. Par ailleurs l’Acsel regrette fortement que la création d’une nouvelle catégorie d’acteur, les plateformes, ne se soit pas accompagnée d’une clarification sur leur statut juridique d’intermédiaire et donc a priori d’hébergeur au sens de l’article 6 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique. Une précision formelle sur ce point eut évité bien des contentieux à venir.L’Acsel examinera avec la plus grande attention l’ensemble des décrets à intervenir sur ce point.

Eric Barbry : Enfin, la loi ne se limite pas à la seule problématique du numérique puisqu’elle aborde également celui des données à caractère personnel en procédant à quelques ajustements de la loi de 1978 en attendant l’application du Règlement européen sur les données personnelles (RGPD). L’évolution la plus notable étant le droit d’effacement des données saisies par une personne lorsqu’elle était mineure, ce qui équivaut à une forme de protection contre les "erreurs numériques de jeunesse". Il en est de même des dispositions sur ce que l’on nomme maintenant la vie numérique après la mort et le sort des contenus concernant le défunt.

Dernier élément notable : tout service en ligne qui propose à ses utilisateurs d’échanger entre eux des correspondances doivent les considérer comme protégées par le secret des correspondances et ne peuvent donc en prendre connaissance.

Cyril Zimmermann : Là encore l’Acsel identifie un risque de discrimination négative des seules entreprises de la French Tech. Sur le point particulier du secret des correspondances intra-services en ligne entre utilisateurs, l’Acsel souscrit à cette nouvelle obligation mais rappelle que dans nombre de litiges il est demandé auxdites plateformes de communiquer le contenu de ces échanges pour départager les utilisateurs en cas de contentieux. Or ce point n’a pas été pris en compte.

Accès au numérique 

Eric Barbry : Cette dernière partie de la loi mériterait à elle seule un (ou plusieurs articles) tant elle est riche et tant elle a évolué au fil des travaux parlementaires. Au-delà des principes d’accès à Internet et de l’accessibilité des personnes qualifiées de "public fragiles", ce sont des pans entiers de l’économie numérique ou de l’économie traditionnelle qui sont touchés par le texte.

Au rang des acteurs numériques, le texte traite par exemple du statut des coffres-forts électroniques, des recommandés électroniques, de la fourniture de services de paiement et du rôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ou encore des jeux en ligne et des compétitions de jeux vidéo.

Côté économie traditionnelle, ce sont les secteurs de l’immobilier et de la banque-assurance qui sont directement impactés par la loi autorisant le gouvernement à définir par ordonnance dans un délai d’un an les conditions de nature à favoriser la dématérialisation (envoi de documents, signatures ou recommandés électroniques).

Cyril Zimmermann : L’Acsel a toujours soutenu, soutient et soutiendra toutes les initiatives allant dans le sens d’une plus grande numérisation de l’économie française et de ses acteurs. Mais elle est réservée quant au renvoi à une date ultérieure de mesures concrètes et sectorielles.

Quoi qu’il en soit, l'association examinera avec soin les ordonnances à intervenir pour que précisément, selon la loi, la dématérialisation soit effectivement favorisée et non entravée.

Pour en savoir plus, l'Acsel organise le 28 septembre 2016 une grande matinée dédiée au décryptage de la loi pour une République numérique.Cyril Zimmermann, président de l'Acsel (association pour l'économie numérique), PDG de HiMedia, de Citybird et fondateur de HiPayEric Barbry, avocat directeur du pôle droit numérique chez Lexing Alain Bensoussan , président de la Commission juridique de l'Acsel et co-rapporteur de ses travaux sur le projet de loi pour une république numérique