Vers une révolution des usages juridiques grâce à la blockchain ?

Le système juridique peut être utilisé comme un véritable levier pour permettre à l’économie de tirer efficacement partie de la blockchain aussi révolutionnaire que l’apparition de l’Internet dans les années 90.

La blockchain est encore peu connue du grand public. Pourtant, elle promet d’apporter une profonde mutation des pratiques de la finance et de l’économie pour autant que le droit soit intelligemment ajusté. 

 
Un constat sur l’état actuel des pratiques contractuelles en France
 

Il existe dans le système juridique deux type de transactions : les transactions consensuelles, d’une part, que le législateur laisse les parties libres de formaliser et conserver comme elles l’entendent, à charge pour elles d’apporter la preuve de leur existence, et les transaction formelles ou encadrée, d’autre part, auxquelles la réglementation impose un certain formalisme dans la réalisation, la conservation ou l’institutionnalisation, car elles sont structurellement importantes pour la sécurité et le bon fonctionnement notre société (transactions immobilières, création de sociétés, transactions portant sur des titres financiers, etc.).

 

La formalisation de ces transactions, qu’elle réponde aux pratiques de marchés (pour celles qui ne sont pas juridiquement encadrées) ou qu’elle se conforme aux normes d’encadrement, est aujourd’hui extrêmement protéiforme : il existe autant de pratiques que de type de transactions. L’entrepreneur qui souhaite immatriculer une société devra déposer ses actes au greffe du Tribunal de commerce qui en assurera la conservation. S’il souhaite protéger sa marque, il devra effectuer des formalités auprès de l’INPI. S’il conclut un contrat important et souhaite lui donner une date certaine, il devra l’enregistrer à la recette des impôts. S’il souhaite acheter des locaux, il devra passer un acte authentique devant notaire, etc. Cette multiplication des démarches et des intermédiaires "agréés" a non seulement un coût mais est source d’une déperdition considérable d’énergie pour les entreprises, qui ont tendance à déléguer ces tâches auprès de professionnels dont les tarifs sont souvent élevés. Le particulier n’est pas mieux loti lorsqu’il veut effectuer une transaction importante telle que l’achat d’un véhicule ou d’un logement.

 

Tant les particuliers que les entrepreneurs se perdent aujourd’hui dans les méandres d’un système juridico-administratif non harmonisé, souvent intermédié et consommateur de temps et d’argent.

 

Ce constat en entraîne un autre : la situation actuelle des pratiques transactionnelles (ou l’absence d’une seule pratique transactionnelle harmonisée) est source d’une grande déperdition d’énergie, restreignant la fluidité des échanges et des transactions.

 
Le concept de la blockchain vu sous l’angle de ses vertus juridiques
 

Le concept de blockchain, pourtant simple, est de prime abord assez abstrait : il s’agit d’"une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle" (définition de Blockchain France). Déjà utilisée pour la cryptomonnaie (tels que les bitcoins) ou dans le cadre de chaînes logistiques au sein de grandes entreprises, son emploi dans le système juridique et, par voie de conséquence, à des fins d’amélioration de la sécurité et du fonctionnement des systèmes économiques et financiers, commence à peine à être envisagé. En ce sens, une consultation publique sur le projet de réformes législative et réglementaire relatif à blockchain a été lancée le 24 mars 2017 par Bercy, sue la base de la Loi Sapin II, invitant notamment les acteurs de la place à s’exprimer sur l’introduction ou non du dispositif d’enregistrement électronique partagé (blockchain) dans la réglementation pour la sécurisation des transactions portant sur les titres financiers non cotés.

 

Mettons l’accent sur certaines caractéristiques essentielles de la blockchain : il s’agit d’une base de données décentralisées et sans intermédiaire, permettant d’automatiser une transaction, de l’authentifier, de certifier sa date et l’identité des parties concernées, de stocker les données de cette transaction de manière pérenne et inaltérable et d’en assurer la quasi-inviolabilité tout en octroyant leur libre accès par les personnes intéressées. Il est également envisageable si nécessaire d’assurer la confidentialité de ces données par un système de cryptage. Nous avons ici volontairement teinté cette description d’éléments de langage juridique afin de pointer l’incroyable potentiel de cette technologie du point de vue de la pratique du droit : la blockchain est l’infrastructure idéale du contrat et, par-là, de toute transaction entre deux parties dans notre système économico-financier, nécessitant d’être contractualisée (tels qu’un achat ou une vente, une location, un contrat de prestations ou une transaction plus complexe), attestée vis-à-vis des tiers, institutionnalisée ou conservée de manière pérenne (tels que le dépôt d’actes constitutifs d’une société, un titre de propriété foncière ou la propriété d’actions).

 
Les formidables implications concrètes de l’usage de la blockchain dans le système juridique
 

Une fois qu’on comprend les vertus juridiques de la blockchain, il ne reste plus qu’à sonder son imagination pour entre-apercevoir la vaste étendue des applications concrètes que cette technologie peut apporter à notre société : d’un achat sur internet à la vente d’un véhicule, de la vente d’un bien immobilier à une opération complexe de cessions de titres financiers, de l’enregistrement d’un bail commercial à l’immatriculation d’une société : l’utilisation de la blockchain peut considérablement simplifier et harmoniser les processus juridiques et administratifs de notre société.

 

La tendance des gouvernements depuis plus de dix ans est à la simplification et à la réduction des coûts et honoraires des intermédiaires mais, malgré les efforts en ce sens, beaucoup de choses restent à faire. Toutes les démarches juridico-administratives sont le fruit d’une lente construction juridique dont l’objet était, légitimement, d’apporter de la sécurité aux transactions.

Aujourd’hui, la technologie de la blockchain apporte une réponse unique à ces problématiques et considérablement plus efficace en termes de fluidité, rapidité, fiabilité et sécurité.

 
Vers une vaste réforme du système juridico-administratif permettant d’intégrer la blockchain ?
 

Concrètement, il est très probable que pour l’ensemble des transactions dites "consensuelles" et non soumises à un formalisme juridique ou administratif légal imposé (de l’achat d’un bien de consommation sur Internet à la conclusion d’une transaction commerciale complexe entre deux sociétés), l’emploi de la technologie des blockchains viendra peu à peu remplacer les usages actuels. Il serait dès lors paradoxal que pour ces transactions, que le législateur n’a pas jugé utile de protéger par un formalisme légal particulier, la pratique garantisse plus de fiabilité et de sécurité que pour l’ensemble des démarches juridico-administratives légalement encadrées, où les supports papiers conservés dans des salles d’archives, ainsi que des pratiques d’un autre temps, continueront à être imposés. Nous savons que le Président Macron est sensible au développement des nouvelles technologies en France et il a même manifesté son intérêt pour les blockchains en proposant de les intégrer, dans un cadre d’expérimentation, pour le financement des PME.

 

Nous ne pouvons que plaider ici en faveur de l’amorçage d’une vaste réflexion visant à intégrer ces technologies, de manière officielle, dans le cadre juridico-administratif français, à travers une grande réforme où la France, en plus de libérer considérablement les énergies par la simplification des procédures, montrerait la voie aux autres pays en intégrant les nouvelles technologies les plus avancées dans son système juridique.

 

Plusieurs pistes sont ici à envisager pour lancer une telle réflexion, mais l’intelligence législative devrait pousser à l’harmonisation des nombreuses procédures par l’instauration d’un grand registre unique et dématérialisé, tout en tirant partie du savoir-faire et des compétences des nombreux intermédiaires et dépositaires de registres divers existants (greffe, cadastre, INPI, etc.) qu’il n’est pas question de remplacer. Expliquons-nous : un notaire, par exemple, sera toujours utile pour rédiger ou s’assurer du bon contenu d’une transaction immobilière, de la même manière que l’intervention d’un greffier pour vérifier le dossier d’immatriculation d’une société demeurera nécessaire. En revanche, la technologie des blockchains pourrait intelligemment venir se superposer à la compétence de ces intermédiaires de confiance et unifier l’ensemble des processus de réalisation et d’authentification des transactions, puis de conservation sécurisée et intègre de leurs données, voire même d’assistance efficace à l’exécution de ces transactions par ce qu’on appelle les "smart contracts" (qui sont des contrats dont certaines étapes d’exécution peuvent être automatisés par la technologie sur la base d’instruction infalsifiables du fait de l’utilisation des blockchains).

 

Le champ des possibles apparaît extrêmement vaste et gageons que la présidence Macron créera les conditions nécessaires à l’expérimentation puis à la généralisation de ces technologies.