Nick Leeder (Google) "Je suis dubitatif vis-à-vis du format App-install de Facebook, Twitter et les autres"

Abus de position dominante, optimisation fiscale, taxe sur le droit d'auteur... Le patron de Google France revient sur les polémiques récentes qui ont touché le moteur de recherche.

JDN. Le Parlement européen vient de se prononcer en faveur d'une scission de Google : d'un côté le moteur de recherche, de l'autre les activités commerciales. Que vous inspire cette décision (avant tout symbolique) ?

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Nick Leeder, Google France. © S. de P. Google

Nick Leeder. Cette décision m'inspire plusieurs réflexions. Elle procède tout d'abord d'un manque de connaissance vis-à-vis du mode d'organisation de Google où les équipes qui travaillent sur l'algorithme du moteur de recherche et celles qui s'occupent de sa commercialisation sont vraiment cloisonnées et ne communiquent absolument pas.

Je pense que ces fantasmes vis-à-vis d'un éventuel abus de position dominante procèdent d'abord de la complexité de notre cœur de métier, en témoigne les changements fréquents du fonctionnement de notre algorithme qui fait l'objet d'optimisation deux fois par jour, soit mille fois par an. Pour autant, sur l'organique, nous n'avons jamais dévié de notre mission originelle qui est de connecter les utilisateurs avec ce qu'ils recherchent, de la manière la plus fine et la plus précise possible. Ce serait une erreur de vouloir réguler une activité aussi jeune que ne l'est celle des moteurs de recherche. Des comportements d'utilisation qui étaient communs il y a deux ans ont aujourd'hui disparu. D'autres sont au contraire apparus. Les usages évoluent en permanence.

Prenez l'exemple des comparateurs de prix qui sont parmi nos plus farouches opposants. Aujourd'hui, un utilisateur qui arrive sur Google et fait une recherche sur un produit en particulier veut atterrir le plus rapidement possible sur la page afférente à ce produit. D'où notre volonté de pousser plutôt en faveur de l'e-commerçant que du comparateur de prix.

Chose que vous faites avec Google Shopping, service qui vous rapporte de l'argent... Et l'on rejoint un grief récurrent : abuser de votre position dominante dans la recherche pour pousser vos propres services commerciaux...

On dit que nous sommes en position dominante mais je ne suis pas d'accord là-dessus. Regardez ce qui se passe aux Etats-Unis où le nombre de requêtes "produits" sur Amazon est le double de celles de Google. Les usages changent, le mobile redistribue les cartes, nous obligeant à nous challenger et nous réinventer en permanence pour garder une longueur d'avance sur nos concurrents. Le déploiement de Google Shopping procède de cette volonté de donner à l'utilisateur  un accès direct à l'e-commerçant. Accès qu'autrement il ira chercher sur Amazon.

En ce qui concerne le reproche concernant la mise en avant des services de Google, nous avons formulé des propositions à la Commission européenne en début d'année qui témoignent de notre volonté de trouver une solution pour  redonner l'équivalent de l'espace que l'on a pris à ces autres acteurs. Ces propositions semblaient satisfaire la commission Almunia mais on dirait que le dossier soit de nouveau à l'étude. Nous restons donc à disposition de la Commission le temps qu'elle pousse plus loin son analyse.  

Autre sujet : la taxe sur les droits d'auteur exploités par Google. Les Espagnols et les Italiens veulent suivre l'exemple des Allemands. On parle d'une taxe sur les moteurs de recherche au niveau européen. Craignez-vous que le débat refasse surface en France ?

La situation en France est assez différente de ce que l'on voit dans les autres pays dans la mesure où l'on a investi, en bonne entente avec les éditeurs, dans un fonds d'innovation pour les aider dans leur mutation numérique. Initiative aujourd'hui pilotée en toute indépendance vis-à-vis de Google et qui, au vue des récents projets amorcés par la presse, semble bien fonctionner.

Nous ne gagnons pas d'argent avec Google News !

Au-delà de ça, je dois avouer que je ne comprends pas cette polémique Google News. Rappelons une nouvelle fois qu'il s'agit d'un service pour nos utilisateurs sur lequel nous ne gagnons pas d'argent et qui, au contraire, apporte énormément de trafics (et donc d'argent) aux éditeurs de presse. C'est du win-win, pour l'internaute et le media. D'autant que les médias sont libres, s'ils le désirent, de protéger "ce droit d'auteur" et de ne pas apparaître dans les résultats. Mais je pense que le revirement récent d'Axel Springer sur la question, en Allemagne, prouve bien à quel point un retrait de Google News est loin d'être indolore économiquement.

L'ancien rapporteur de la loi Google en Allemagne estime d'ailleurs que la décision de Google de rayer les services qui font valoir leur droit revient à un abus de position dominante. Qu'en pensez-vous ?

Je suis en désaccord complet et je m'en remets d'ailleurs au président de l'autorité de la concurrence en Allemagne qui a lui estimé qu'il n'était pas illégitime pour Google de demander aux éditeurs de faire un "opt-in" pour Google News et de renoncer à lui réclamer de l'argent. Encore une fois, la décision finale revient à l'éditeur.  

Le Royaume-Uni veut instaurer une taxe de 25% sur les profits générés par les multinationales qui sont transférés artificiellement dans un autre pays. Cette décision vous inquiète-t-elle ?

La position de Google sur le sujet a toujours été claire et respectueuse des lois en vigueur. Nous pensons, quoi qu'il en soit, que la priorité est d'arriver à une cohérence au niveau de l'Europe. Plutôt que des initiatives individuelles, la question doit se régler entre gouvernements. Et nous nous plierons ensuite à ce qui sera décidé.

Vous seriez donc prêt à publier vos bénéfices dans chaque pays européen si la loi était votée ?

Il faut bien évidemment que le sujet soit réglé avec le gouvernement américain dans la mesure où une telle loi aurait fatalement des effets secondaires. Elle est d'ailleurs symptomatique d'une réalité : le sujet du numérique touche aujourd'hui l'ensemble des secteurs et n'est plus circonscrit aux seuls GAFA. Les règles doivent donc s'appliquer à l'ensemble de l'économie.      

Vous êtes arrivé à la tête de Google France il y a de ça un an et demi. Quel regard portez-vous sur le marché français ?

Le marché français est radicalement différent des pays anglo-saxons que j'ai jusque-là fréquentés. On observe notamment un gros écart entre les usages des consommateurs et les investissements des entreprises. Seules 43% des PME françaises ont un site Internet actif (contre 60% au Royaume-Uni). Même constat pour l'e-commerce qui pèse 6% des ventes au total (contre 11% au Royaume-Uni). Le chemin à parcourir reste donc important. Et c'est d'autant plus vital de rattraper ce retard que les utilisateurs, eux, continueront de plus en plus à chercher et acheter en ligne. Et à défaut de trouver leur bonheur sur des sites français, ils s'orienteront vers des sites anglo-saxons. Une perte sèche donc pour l'économie française dont le déficit de la balance commerciale numérique continuera à se creuser.

Au cœur de cette transformation, on observe un basculement des usages du Web fixe où Google est roi vers le mobile où Facebook monte en puissance. Est-ce un danger pour vous ?

Je vois le mobile comme une opportunité de remplir au mieux notre promesse à destination de l'utilisateur : le connecter au mieux à ce qu'il rechercher. Le mobile va faire le pont entre les mondes virtuels et réels. 30% des requêtes mobiles ont une intention locale. Le drive-to-store devient stratégique. Et le mobile est d'autant plus précieux qu'il permet d'appeler directement le point de vente. Un contact beaucoup plus valorisant qu'une visite sur site Web. A nous d'aider les entreprises à développer une stratégie intéressante vis à vis de ça.

95% des applications installées ne sont jamais utilisées

En ce qui concerne le développement de Facebook, Twitter et consorts sur mobile, je dois avouer que je suis plutôt dubitatif vis-à-vis du format "app install" qui a fait leur succès. Un chiffre pour étayer mes doutes : 95% des applications qui sont installées ne sont en fait jamais utilisées. Lancer une application est pertinent pour les marques type Uber, Meetic ou Le Monde qui ont un contact quotidien avec les utilisateurs... Autrement dit à peine 10% des annonceurs avec lesquels nous travaillons.

Nous pensons qu'il est plus pertinent d'axer sa stratégie mobile autour d'un m-site et réfléchir à ce que l'on veut faire autour et quel écosystème mettre en place, depuis le réseau offline jusqu'au réseau online.

Nick Leeder, 44, ans, a pris la tête de Google France le 1er avril 2013. Francophone, diplômé de l'INSEAD (Institut européen d'administration des affaires) et de l'Université de Sydney (Licence en mathématiques), il était depuis mars 2011, directeur général de Google Australie et Nouvelle-Zélande. Avant de rejoindre Google, Nick avait exercé des responsabilités au sein de Mc Kinsey, FairFax  et News Limited.