Les magistrats font de Google le juge de la loyauté des adwords
Toute publicité, sous quelques formes que ce soit doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée.
Le
service Adwords. La société Google
Inc. propose un service de liens publicitaires dénommé Google Adwords qui permet aux entreprises
disposant d’un site internet d'effectuer une publicité en achetant des mots
clés.
Concrètement, les Adwords de Google sont des liens internet de publicité qui
s’affichent soit dans les premières lignes des résultats après requête sur le
moteur de recherche Google, soit en marge, sur la colonne de droite, sous forme
de lien promotionnel rémunéré renvoyant directement à un site.
De nombreuses entreprises se sont emparé de
ce service pour lancer des campagnes de publicité en ligne, parmi lesquelles
certaines qui y ont vu l'opportunité d'attirer à elles les clients de leurs
concurrents. Ces dernières choisissent des mots clés
relevant de l’activité, de la stratégie de communication, de la dénomination
sociale, (…) de leurs concurrents. Dès qu’un internaute tape ces mots clés, la
page de résultats qui s’affiche fait apparaître en premier les publicités de
l’entreprise concurrente acheteuse des Adwords.
Le
litige.
Deux sociétés de e-commerce exercent la même activité de vente au détail de
produits audio-vidéo et Hi-fi. L’une d’elles a lancé une campagne Adwords renvoyant vers son site lors de
la recherche du mot-clé reprenant à l’identique la dénomination de son
concurrent.
La société lésée par la campagne Adwords de
sa concurrente a assigné cette dernière ainsi que Google afin de voir réparer
le préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale, mais aussi de
publicité trompeuse.
Des
actes de concurrence déloyale sanctionnés.
La
condamnation du concurrent. La
Cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 11 mai 2011, rappelle la définition du
parasitisme : « Le parasitisme économique doit s’entendre comme l’ensemble
des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage
d’un autre afin de tirer parti, sans rien dépenser, de ses efforts et de son
savoir-faire » et en a déduit que « l’apparition de ce lien commercial
avait nécessairement généré une confusion dans l’esprit de la clientèle
potentielle et provoqué, de ce seul fait, un détournement déloyal de clientèle
ainsi qu’une utilisation parasitaire de l’investissement effectué par (…) au
travers de son site et de l’organisation de ses campagnes publicitaires ».
Les juges ont donc
considéré que le seul emploi de la dénomination commerciale d'un concurrent crée un
risque de confusion.
La condamnation de Google. A première vue seule la société
lésée était concernée, Google invoquait d'ailleurs pour sa défense le régime de
responsabilité limitée des hébergeurs dont elle bénéficie en application de la
LCEN du 21 juin 2004.
Or, la Cour a estimé que
« la société Google Inc a également contribué techniquement à la
confusion dans l'esprit du public intéressé ». La faute de Google, au sens de l’article 1382 du Code civil, est d’avoir
proposé le mot clé litigieux créant ainsi le risque de confusion.
On en conclut qu’il incombe
donc désormais à Google d'effectuer un contrôle de l'absence de caractère
déloyal du mot clé Adwords sollicité.
Des
pratiques commerciales trompeuses sanctionnées.
La Cour poursuit en
soulignant que l'article L 121-1 du code de la consommation définit comme
trompeuse une pratique commerciale notamment « lorsqu’elle crée une
confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un
autre signe distinctif d'un concurrent ».
En l'espèce, elle a estimé
que « l’internaute, client potentiel, ne peut qu’être porté à croire à
l’existence d’un lien commercial particulier entre (les deux sites des sociétés concurrentes) (…) au travers, entre
autres, d’une possible identité des produits offerts à la vente ; que le lien
litigieux présentant le site concerné de la société (condamnée) (…) et
contenant la formule ‘‘pourquoi payer plus cher” est aussi, eu égard à la
terminologie employée, susceptible d’induire en erreur l’internaute en prenant
connaissance et d’entraîner un détournement de la clientèle considérée ».
La
Cour ajoute que selon l’article
20 de la loi du 21 juin 2004 relative à certains aspects juridiques des
services de la société de l’information : “Toute publicité, sous quelques formes
que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne,
doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre
clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de
laquelle elle est réalisée. L‘alinéa précédent s‘applique sans préjudice des
dispositions réprimant la publicité trompeuse, prévues à l’article L 12-1 du
code de la consommation“.
La Cour d'appel de Paris, a
donc condamné in solidum Google Inc
et la société ayant réservé la dénomination de son concurrent à réparer le
préjudice subi à hauteur de 100 000 €.
Une position « différente » de la CJUE. Il est
intéressant de souligner que la CJUE avait eu l'occasion en mars 2010 de se
prononcer sur la même problématique mais au regard de la législation sur la
contrefaçon de marques (CJUE, 23 mars 2010, affaires jointes C-236/08 à
C-238/08). La CJUE a refusé de sanctionner Google Inc., mais a condamné les
entreprises contrefaisant la marque de leurs concurrents.
Selon la CJUE, le
référencement de mots clefs, par Google, société exploitant un moteur de
recherche, ne fait pas partie des actes que le titulaire d’une marque peut
interdire. En revanche, Google devra à tout le moins agir promptement dès qu’il
aura connaissance que des Adwords
sont utilisés dans le cadre de publicités contrefaisant des marques de tiers.
Notons que la Cour n’a pas
tranché catégoriquement la question de savoir si Google pouvait bénéficier
d’une exonération totale de responsabilité au titre de sa qualité d’hébergeur,
telle que prévue par la Directive Commerce Électronique. La question est donc
reportée à la compétence des juridictions nationales.
Les annonceurs sont, quant
à eux, responsables pour contrefaçon de marque en achetant les marques des
tiers à titre de mots clefs si une confusion sur l’origine des produits est
susceptible d’en résulter pour l’internaute.
A retenir.
La jurisprudence de
la CJUE oblige les titulaires de marques à agir à
l’encontre de chacun des annonceurs ce qui a un coût certain (veille, mise en
demeure, contentieux judicaire).
En revanche on peut raisonnablement penser que la jurisprudence de la
Cour d’appel va permettre de limiter les litiges.
En effet,
en condamnant Google, la Cour d’appel va l’obliger à mettre en place un système
d’alertes à l’instar des modérateurs existants sur les forums ou sur des sites
de partage de vidéos, de musique etc.
Cependant deux limites demeurent :
La première concerne l’appréciation par Google de la déloyauté. En mettant en place une telle procédure, Google va supporter l’obligation de contrôler la titularité du signe. Ce contrôle se fait de façon quasi automatique par consultation de la base de données de l’Inpi. Il n’implique aucune appréciation. En revanche, en l’absence de droits de propriété intellectuelle, comment demander à Google de contrôler la loyauté d’un mot-clé…
Dès lors, l’intervention du législateur pour encadrer la procédure d’alerte semble s’imposer.
Ici, apparaît
une seconde limite consécutive à la jurisprudence Dailymotion (Cass. Civ. 1, 17
février 2011) qui a érigé le respect du formalisme de la procédure de signalement
de contrefaçon d’œuvres comme un prérequis obligatoire. Dans les faits, Google
pourrait s’abriter derrière ce dispositif pour s’exonérer de sa
« nouvelle » responsabilité face à une entreprise qui n’aurait pas ou
mal utilisé le dispositif mis en place.
Finalement,
l’entreprise n’aura d’autre choix que de saisir le juge sur le fondement de la
concurrence déloyale, de la publicité trompeuse ou bien encore de la
contrefaçon... mais à ses frais.