Taboola absorbe Outbrain… et inquiète les éditeurs

Taboola absorbe Outbrain… et inquiète les éditeurs La guerre des acteurs de la recommandation de contenu est terminée. Comme la rente dont profitaient les plus belles marques médias ?

Il ne devait en rester qu'un… et ce sera finalement Taboola. Quelques mois après la fusion entre Ligatus et Outbrain, c'est au tour de Taboola de faire grandir la famille. Le géant de la recommandation de contenus vient d'officialiser un accord en vue d'acquérir son éternel rival. Les actionnaires d'Outbrain récupéreront 30% du nouvel ensemble plus 250 millions de dollars en cash. Le fondateur et PDG de Taboola, Adam Singolda, restera à la barre, alors que le cofondateur et co-CEO d'Outbrain, Yaron Galai, a annoncé qu'il resterait encore au moins un an, une fois l'opération avalisée par l'autorité de la concurrence.

Ce rapprochement donnera naissance à un ensemble qui cumule plus de 2 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2018, 2 000 collaborateurs dans le monde et près de 20 000 clients. Un géant qui veut se faire une place aux côtés du duopole Facebook-Google en offrant, lui aussi, un reach significatif aux annonceurs. Taboola et Outbrain revendiquent chacun toucher plus d'un milliard d'internautes mensuels via une myriade de sites prestigieux. Dans le monde : CNBC, NBC News, USA Today, Bild, Sankei, Huffington Post, Microsoft, Business Insider, The Independent, El Mundo, Le Figaro, CNN, BBC, The Washington Post, The Guardian, Spiegel Online, El País ou encore Sky News. "Nous espérons que cette opération permettra aux petits et gros annonceurs d'avoir plus de choix quant à la destination de leurs investissements pubs online", a déclaré Adam Singolda. Tout en assurant que les éditeurs en profiteront pour voir "croître leurs revenus".

Entre 7 et 10 millions d'euros par an  de minimum garanti pour Le Monde et Le Figaro

Ces derniers sont pourtant loin d'avoir accueilli la nouvelle avec le sourire. Les éditeurs ont, en effet, beaucoup profité de la guerre que se livraient les acteurs de la recommandation de contenus pour sécuriser les emplacements de bas de page de leurs articles. Fini l'époque où il suffisait de menacer d'aller voir Taboola pour renégocier à la hausse un contrat avec Outbrain. Et vice et versa. Les deux sociétés étaient d'autant plus généreuses qu'elles avaient chacune levé plus de 150 millions de dollars. Cette émulation a rapporté gros aux plus belles marques médias, avec des revenus qui atteignent plusieurs millions d'euros par an et plus de 10% de leur chiffre d'affaires pub online. "Les spécialistes de la recommandation de contenus paient très chers pour quelques têtes de gondoles dont la présence rassure les annonceurs qui investissent sur leur réseau", explique un éditeur. Ligatus et Taboola ont dû mettre le prix pour piquer Le Monde et Le Figaro à Outbrain en 2018. Entre 7 et 10 millions d'euros par an selon nos informations. "Ils compensent toutefois ces deals à perte avec ce qu'ils gagnent sur le reste de l'inventaire qu'ils monétisent", précise un connaisseur du marché.

Les minimums garantis offerts par Taboola et Outbrain représentent aujourd'hui une manne providentielle pour des éditeurs dont les revenus display classiques fondent comme neige au soleil. Les emplacements alloués au duo ont d'ailleurs pris de plus en plus de place. "Avant, ils se battaient pour 10 à 20% de la page Web. Avec l'arrivée de leur feed, on est passé de 6 petits blocs à une vingtaine voire parfois plus", constate notre connaisseur du marché. "C'est de l'argent facile, on branche la solution et on sait que l'on touchera l'argent promis quoi qu'il arrive. C'est une vraie bouffée d'oxygène dans un marché pub de plus en plus fluctuant", justifie un client d'Outbrain. Mais jusqu'à quand ?

"Qu'est ce qui empêchera Taboola d'abandonner le système du minimum garanti maintenant qu'il est seul  ?"

Les éditeurs craignent en effet que ces conditions ultra avantageuses ne soient plus maintenues, une fois que le rapport de force sera inversé. "La fin de cette concurrence me fait perdre mon principal levier de négociation, confie un client d'Outbrain. Il m'assure aujourd'hui un minimum garanti de plusieurs millions d'euros chaque année. Qu'est ce qui empêchera Taboola d'abandonner ce modèle, lors de la renégociation du contrat, maintenant qu'il est seul ?" L'inquiétude est légitime selon un connaisseur des deux adtech israéliennes. "Taboola et Outbrain mettent l'accent sur la naissance d'une alternative à Google et Facebook mais il ne faut pas se leurrer, ce rapprochement a surtout pour objectif de mettre fin à ce système de minimum garanti qui empoisonnait les finances des deux sociétés." L'expert est catégorique : "Ça va être très compliqué pour les éditeurs qui renégocient en ce moment même leur contrat de préserver cet acquis. Taboola voudra basculer sur un modèle de partage de revenus et abandonner ceux qui ne joueront pas le jeu."

"Ça va être compliqué pour un éditeur d'égaler les revenus que lui ramènerait Taboola"

Quelles options pour les éditeurs français ? Les trois ou quatre plus belles marques médias de la place ne devraient pas avoir trop de soucis à se faire. "Taboola aura toujours besoin de leurs logos sur sa plaquette commerciale, même s'il est seul sur ce marché, estime un concurrent. A elles de négocier en conséquence." Et les autres ? Ils devront peut-être réfléchir à prendre leur indépendance. Certains y pensent déjà. "Près de 80% du business que m'apporte Ligatus vient du programmatique, révèle l'un d'entre eux. Rien ne m'empêche de vendre moi-même cet emplacement de bas de page aux enchères ouvertes si je pense que je peux faire mieux que ce que Taboola me proposera."

Et cela n'a rien d'impossible. Ainsi, cet éditeur vend déjà du natif au cœur de ses articles en programmatique à des acteurs qui s'intéressent aussi au bas de page, comme Adyoulike, Invibes ou TripleLift. Un expert du programmatique natif interrogé par le JDN reste toutefois sceptique. "C'est en théorie possible mais dans la réalité, ça va être compliqué d'égaler les revenus de Taboola." Et de citer l'exemple du Monde et du Figaro qui, "avec Skyline, n'ont pas encore réussi à retrouver le niveau de revenus qu'ils réalisaient avec Teads." Du côté d'Outbrain, contacté par le JDN, on joue l'apaisement et on assure qu'avec "des investissements accrus dans la technologie et un reach élargi, la nouvelle plateforme permettra aux éditeurs d'augmenter leurs revenus et de générer plus d'engagement."