Transformation digitale : la grande illusion

Faites-vous partie de ces entreprises qui jouent à cache-cache avec la transformation digitale ? Analyse de la transformation des entreprises grâce à l’étude portée par George Westerman, chercheur au MIT, qui nous aide à y voir plus clair en la matière.

L’étude de la transformation des entreprises, ou plus exactement de leur capacité à se transformer, est particulièrement passionnante. D’autant plus lorsque l’on sait que Forrester estime que 60% de celles qui ont tenté l’expérience ont subi un échec…

Une étude révélatrice 

George Westerman, chercheur au MIT, a longuement étudié les entreprises qui cherchent à se transformer. Dans le cadre d’une étude réalisée en collaboration avec Cap Gemini, il avait ainsi abouti à qualifier la maturité digitale des entreprises selon 2 axes : leur capacité à mettre en œuvre des technologies digitales et la capacité de leur management à conduire la transformation, segmentant ainsi les entreprises en 4 catégories.  

Les « Maîtres du Digital » sont les entreprises qui ont radicalement pris le virage. Elles ont démontré leur aptitude à, à la fois, déployer les nouvelles technologies et adapter ou transformer leur business model tout aussi bien que leurs organisations. Elles affichent selon l’étude la meilleure rentabilité. Leur proportion varie très fortement d’une industrie à une autre : de 7% (industrie pharmaceutique) à 38 % (Haute Technologie). Autrement dit, 62 à 93% des entreprises, selon les secteurs d’activité, n’avaient pas réussi à concilier les 2 dimensions complémentaires et indissociables au moment de son étude… 

Pas grand-chose à dire sur ces entreprises qui n’ont entamé ni leur transformation ni la mise en œuvre des technologies digitales, sinon qu’elles sont certainement vouées à disparaître si elles ne réagissent pas au plus vite. Les « Beginners », comme les nomme George Westerman, n’ont pas pris la mesure des bouleversements en cours ou ne veulent pas les voir.  

Les entreprises qui seraient en mesure de se transformer mais qui n’ont pas encore tirer parti des nouvelles technologies digitales sont qualifiées de « Conservatrices » par le chercheur dans la mesure où leur transformation est menée hors potentiel offert par le Digital. Au final leur business model évolue peu. Les « Maîtres du Digital » ont pris une longueur d’avance par rapport à elles et les parts de marché qu’ils ont captées seront difficiles à reprendre au moment où les « Conservatrices » décideront enfin de se digitaliser. Encore faut-il qu’elles en aient la capacité financière dans la mesure où elles continuent à investir… dans la mauvaise direction… Et le plus souvent pour sauvegarder des parts de marché qui baissent irrémédiablement. 

La catégorie la plus fascinante est certainement la 4ème. Il s’agit d’entreprises qui ont une forte capacité à déployer des technologies digitales mais qui n’ont pas la capacité à se transformer réellement. L’étude les nomme les « Fashionistas », pointant du doigt le fait qu’elles semblent se transformer mais que cela n’est qu’en façade, en apparence. Les « Canada Dry » de la transformation digitale en quelque sorte… Telle ou telle technologie digitale est à la mode ? Elles la déploient. Un nouveau besoin apparait ? Elles recherchent un outil pour y répondre avant même d’avoir précisé stratégie ou tactique pour adresser ledit besoin. Elles pensent être sur le point de devenir des « Maitres du Digital », ou se considèrent comme tels, mais il n’en est rien. Elles parlent parfaitement le Digital. Elles ont investi dans les nouvelles technologies. Mais, dans les faits, leur business model n’a pas plus évolué que les entreprises conservatrices. Ce qui est le plus intéressant est que l’étude relève qu’elles sont les entreprises qui affichent les plus mauvais résultats financiers… CQFD ! Elles gaspillent en fait leur capacité d’investissement dans des « moulins à vent » à force de ne pas mener la « véritable » transformation. 

La grande illusion 

Comment les « Conservatrices » et les « Fashionistas » en sont-elles arrivées là ? Que leur manque-t-il donc pour parvenir à mener leur transformation digitale ? 

Une étude menée par Publicis Sapient et Fortune en 2018 auprès de 550 C-Levels et dirigeants révèle que le 1erfrein à la transformation cité spontanément est le manque de vision du Top Management. S’ils ont bien pris la mesure des opportunités ouvertes par le Digital, ils en voient plus facilement les impacts sur l’existant que les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. La vision de la cible n’est pas suffisante. Ce qui fait la différence c’est la vision du « comment ». Le « HOW » qui est justement au cœur du positionnement de Publicis Sapient et de son accompagnement.  

La roadmap à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs intègre le plus souvent un repositionnement voire une évolution plus ou moins forte du business model de l’entreprise et de son organisation. Pour opérer de tels changements il faut nécessairement que le Top management soit en capacité de prendre un tel risque. Je me souviens de ce grand chef d’entreprise qui, écoutant les conclusions d’une étude d’un an qu’ils nous avaient confiée, finit par nous féliciter et se dire persuadé que c’est la bonne et unique voie à suivre. Mais nous n’avons pas eu le temps de savourer l’instant car il conclût immédiatement qu’il ne la mettrait pas en œuvre car les recommandations impliquaient des bouleversements qu’il ne se sentait pas en mesure de conduire et qu’il laisserait le soin à son successeur de lancer les chantiers. Rideau ! 

Un autre écueil à propos du « comment » est la mauvaise appréciation de la nature des évolutions à planifier pour tirer parti du Digital. Le réflexe traditionnel consiste à considérer qu’il faut avant tout corriger les « Pain points » que l’analyse de l’existant n’aura pas manquer de mettre en exergue. Or, la bonne question à se poser à cette étape est plutôt de savoir s’il faut améliorer l’existant ou plutôt inventer le futur. La correction des « Pain points » est-elle suffisante pour engendrer l’innovation rendue impérative ? Dans la majorité des cas la réponse est négative. En matière d’innovation on ne se transforme pas en s’améliorant mais on s’améliore en se transformant ! D’autant plus lorsque l’on vit des fractures nettes sur son marché en termes de concurrence, de nouveaux usages, de nouvelles opportunités de contact ou encore de nouvelles solutions pour rendre son offre accessible au plus grand nombre.

Dans ces contextes qui bouleversent les fondamentaux de son marché il est essentiel de considérer que l’approche par la proposition d’une nouvelle expérience Client est la voie royale. Beaucoup considèreront a priori qu’il s’agit avant tout d’optimiser l’organisation et les processus métier. C’est un raccourci dangereux. C’est bien en analysant les impacts des bouleversements en termes de paysage concurrentiel, de valeur ajoutée perçue par le client, d’attitudes et de comportements de recherche et d’achat, et de nouvelle attentes ou besoins qu’il faut entamer la résolution de la problématique. 

Enfin, imaginant que l’ensemble des écueils ci-dessus ait été adressé, il reste à mettre sous contrôle le 2èmemotif d’échec de la transformation digitale révélé par l’étude réalisée par Publicis Sapient sur le sujet : la résistance au changement, qui peut prendre une forme plus radicale au travers d’un refus pur et simple du changement. Toute évolution, et a fortiori toute transformation, induit systématiquement une forme de résistance. Il est essentiel d’en analyser les racines profondes. Elles sont potentiellement nombreuses : transformation jugée immotivée ou inadaptée, peur de l’inconnu, mise en lumière des limites de compétence, nouvelles connaissances à acquérir, mise à mal des intérêts individuels, nouvelle répartition potentielle du pouvoir, remise en cause d’une certaine forme de confort, ou encore illégitimité des personnes en charge de mener la transformation … On a toujours une bonne raison à ne pas se transformer. La préparation de la transformation et la communication en amont sont, parmi d’autres, des facteurs clés de succès. 

Prendre le taureau par les cornes 

En conclusion, il est impératif d’adresser simultanément les 3 piliers de la transformation digitale lorsque l’on veut réellement tirer parti des opportunités qu’elle offre ou contrecarrer les menaces qu’elle induit : la stratégie, la technologie et la culture de l’entreprise. C’est du « tout ou rien » et du « en même temps ». La transformation digitale ne s’improvise pas. Si l’on ne veut pas jouer à cache-cache avec elle il faut regarder les choses en face, être prêt à accepter la remise en cause du modèle établi et la prise de risque associée. Il est alors indispensable de se faire accompagner par un expert de la chose qui jouera un rôle de révélateur, de guide et de catalyseur. Encore devra-t-il être crédible aux yeux des collaborateurs compte tenu de ses expériences et de sa réputation. Il faudra également le légitimer en le mandatant sans ambiguïté sur cette mission. Il ne pourra pas être considéré comme un « prestataire ». Il doit être présenté et il doit se comporter comme un « partenaire ».