Le modèle direct-to-consumer, un enjeu stratégique pour les marques et les distributeurs

Vendre en direct aux consommateurs en contournant les distributeurs est la tendance du moment. Toutefois, il y a peut-être plus à perdre qu’à gagner à emboîter le pas à ces pure players. Contourner les circuits traditionnels de distribution, est-ce réellement la solution?

Le direct to consumer (D2C) prend de l’ampleur auprès des marques historiques sous pression des nouveaux concurrents, les DNVB (digitally native vertical brands) qui s’adressent, nativement, en direct à leurs consommateurs.

Le D2C, une approche pas si nouvelle mais renforcée par le digital...

Le modèle de vente directe aux consommateurs s’est construit autour d’une désintermédiation de la chaîne logistique de distribution traditionnelle : les marques vendent directement aux consommateurs en s’affranchissant des revendeurs et des distributeurs. Elles entendaient ainsi intégrer toute la chaîne de valeur et maîtriser l’ensemble de la relation avec leurs clients. 

Depuis cinq ans, les marques D2C se multiplient, profitant des opportunités offertes par le e-commerce ou le social selling (vente via Instagram ou Facebook). Les premières à avoir attiré les clients en masse sont Warby Parker ou Bonobos aux Etats-Unis, suivis en France par Jimmy Fairly, Le Slip Français ou encore Sézane. Ce succès a peu à peu attiré tous les secteurs de la grande consommation, de l’alimentaire à la mode en passant par l’équipement de la maison… 

Un engouement constaté également dans les grands groupes. Grâce au D2C, Nike a affiché une croissance de 33 % de ses recettes entre 2016 et 2018[1]. Unilever, a, quant à lui, pris cette option par croissance externe avec le rachat d’un concurrent émergent Dollar Shave Club (marque de rasoirs vendus sur abonnement). Tout comme Walmart, qui a fait l’acquisition de pure players comme Bonobos et ModCloth en 2017. 

L’effet de levier est incontestable et l’engouement des nouvelles marques et des industriels pour le modèle de vente directe aux consommateurs met les circuits de distribution sous pression. Et cela devrait s’intensifier puisqu’en 2017, les ventes D2C avaient progressé de 34 % en glissement annuel, représentant 13 % de la totalité des ventes e-commerce[2]. 

Quels atouts du modèle D2C pour les marques / fabricants ?

En vendant directement aux consommateurs, les enseignes D2C, affranchies d’intermédiaires, peuvent gagnent en compétitivité grâce à une meilleure maîtrise des prix et et offrent un parcours client plus fluide. Par ailleurs, les prix peuvent être plus intéressants pour les consommateurs si les coûts de distribution sont inférieurs à ceux demandés par les distributeurs. Enfin, les marques D2C peuvent pérenniser leur relation avec leurs clients en collectant et analysant des données sur leurs comportements, leurs besoins, etc. pour leur proposer des produits et services sur-mesure. Ce procédé, qui pourrait sembler évident pour n’importe quelle enseigne à l’ère digitale, a vraiment fait la différence avec les distributeurs qui s’y sont essayés avec plus ou moins d’efficacité. 

L’exemple le plus marquant de la pression exercée par les marques D2C sur les circuits de distribution traditionnels est celui de Gillette, dont les parts de marché se sont effondrées, passant de 70 % en 2010 à 54 % en 2016, au profit de nouvelles enseignes directes. Dollar Shave Club et Harry’s se sont respectivement arrogé 8 % et 2 % du marché du rasage masculin, valorisé à 2,8 milliards de dollars depuis leur lancement (en 2012 pour Dollar Shave Club, en 2013 pour Harry’s).[3] 

Une stratégie qui ne va pas sans risques...

Si les barrières à l’entrée réduites favorisent le développement des canaux D2C, la croissance et l’optimisation de ces derniers représentent un vrai enjeu, nécessitant des investissements conséquents. En mettant en place leurs propres canaux de vente directe aux consommateurs, les marques ou fabricants doivent en effet développer des expertises, équipes et infrastructures nouvelles et ne peuvent plus s’appuyer ni sur le savoir faire et le réseau en place des distributeurs. 

Par ailleurs, pour ceux qui ne partent pas d’une page blanche, la mise en place de canaux D2C fragilise la relation avec les actuels revendeurs et peut avoir des répercussions négatives à court terme. Vendre aux clients des ses clients crée inévitablement des situations compliquées, voire des conflits d’intérêt. 

Enfin, pour une stratégie D2C gagnante l’expérience doit être supérieure par rapport à des canaux traditionnels qui ont d’autres atouts (choix, surface, mutualisation…). Dans ce cadre, la donnée est clef et la maîtrise du cycle de vie digital absolument nécessaire. Les modèles D2C mettent les distributeurs traditionnels sous pression, mais doivent être vigilant pour ne pas être ré-intermédiés par le digital ! 

Une autre tendance remodèle la chaîne de valeur de distribution : la ré-intermédiation via des plates-formes comparatives intelligentes pilotées par des données et algorithmes avancés. Depuis plusieurs années, ces intermédiaires existent dans le secteur du tourisme (Skyscanner, Google Flights, par exemple) ; ils opèrent une sélection d’offres en ligne d’établissements hôteliers et de compagnies aériennes afin de proposer au client les meilleures offres au meilleur prix en fonction de ses centres d’intérêt. Aujourd’hui, ces plates-formes comparatives existent sur d’autres marchés (mode, alimentation, etc.). Pour en sortir vainqueur et au-delà des investissements en publicité ou visibilité digitales nécessaires, il faut savoir être très compétitif sur les prix... 

La boucle est bouclée..., en se jetant dans le D2C, quel risque pour les marques de s’exposer à une pression sur les marges dont elles auront ont essayé de s’affranchir ? 

[1] Source : Statista [2] Source : https://www.forbes.com/sites/forbesagencycouncil/2018/10/02/how-direct-to-consumer-brands-are-setting-the-standard-for-a-better-retail-experience/#5598b5fb4fa4 [3] Euromonitor