Pourquoi le Floc 2.0 de Google va décevoir les annonceurs

Pourquoi le Floc 2.0 de Google va décevoir les annonceurs Parce qu'il réalise qu'il n'est pas possible d'offrir un ciblage très granulaire sans s'exposer aux risques d'identifier un utilisateur via le fingerprinting, Google est contraint de revoir sa méthode de ciblage dans un monde post cookies tiers.

Si on a beaucoup commenté le report de la disparition des cookies tiers de Chrome, désormais prévue à l'horizon 2023, une autre annonce de Google, elle aussi relative à l'avenir de la publicité digitale, est passée sous le radar de la presse professionnelle. Google a officialisé cet été la fin de la première version de Floc - pour Federated Learning of Cohort, comme l'a noté Paul Bannister, chief strategy officer de Cafe Media. Pour rappel, la méthode Floc est une méthode de ciblage mise au point par Google, qui consiste à regrouper les internautes partageant les mêmes centres d'intérêt au sein de segments d'audience suffisamment gros pour empêcher tout risque d'identification one-to-one. Des segments d'audience qui seront versés dans la Privacy Sandbox, son alternative aux cookies tiers.

Aujourd'hui, Google veut repenser la manière avec laquelle il réalise ces Floc. La raison ? La granularité de ces cohortes, à peine quelques centaines d'utilisateurs, ne permettait pas de se prémunir contre le risque de fingerprinting, cette approche probabiliste permettant de recréer l'empreinte digitale d'un utilisateur et donc de l'identifier. "Face à ce risque, Google préfère réduire les ambitions de son module en l'orientant vers un mode de ciblage beaucoup plus large", explique Edouard Letort, le DG d'Alliance Gravity. Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un œil à cette présentation donnée par Josh Karlin, l'un des tech lead manager de l'équipe Privacy Sandbox chez Chrome. La prise de parole, qui se tenait à l'occasion d'un événement tech en juillet dernier, permet d'en savoir plus sur les grandes lignes de Floc 2.0.

On y apprend notamment que Google veut remplacer le concept de cohortes par celui de topics. Les premières sont des suites alpha-numériques qui ne permettent pas aux annonceurs de savoir vraiment ce qu'elles représentent, les secondes (sport, chaussures…) sont explicites quant au centre d'intérêt du segment d'audience. C'est aussi bénéfique pour l'internaute lambda qui peut comprendre à quel segment il est assigné et, s'il ne le trouve pas pertinent, peut demander à en sortir. C'est plus ou moins ce que proposent déjà des plateformes comme Apple ou Facebook en leur sein.

"Cette offre prémâchée sur étagère nous faire perdre énormément en flexibilité. On ne peut plus procéder à des AB testings, tests d'incrémentalité ou autres modélisations d'attribution"

Sur le papier, une bonne nouvelle pour tout le monde. Dans la réalité, une nouvelle épine dans le pied des acheteurs. Ces derniers pouvaient plus facilement trouver des corrélations entre différentes cohortes pour en construire de nouvelles qu'ils pouvaient combiner avec d'autres types de données (contexte d'une page, région…) pour bâtir des modèles plus sophistiqués. C'est, à en croire Paul Bannister, impossible à mettre en place dans une approche topic based. "Cette offre prémâchée sur étagère nous faire perdre énormément en flexibilité. On ne peut plus procéder à des AB testings, tests d'incrémentalité ou autres modélisations d'attribution", déplore lui aussi Edouard Letort.

"On passe de 16 bits de données à 8 bits. Dit autrement, Google ne proposera plus que 256 possibilités de segments là où il en proposait 32 000 dans la V1"

Plus problématique encore, l'intervention de Josh Karlin nous apprend aussi que Google compte réduire le nombre de segments proposés au sein de la Privacy Sandbox. "On passe de 16 bits de données à 8 bits. Dit autrement, Google ne proposera plus que 256 possibilités de segments là où il en proposait 32 000 dans la V1", relève Paul Bannister. Une réduction significative que l'on peut mettre en perspective avec la taxonomie mise sur pied par l'IAB et composée de… 1 700 segments. On perd considérablement en granularité et on peut imaginer que, dans ces conditions, les 13 sous segments de la catégorie "Intentionniste achat de vêtements et accessoires" de l'IAB devraient être réunis dans un même segment. On y trouve pourtant des typologies de consommateurs qui n'ont rien à voir : "robe de mariée", "vêtements de maternité", "vêtements de sports" ou encore "lunettes de soleil". Difficile de croire qu'un annonceur comme Petit Bateau acceptera de payer pour afficher la publicité de ses derniers modèles de bodys bébés auprès d'un intentionniste achat vêtements de sports.

Les sites verticalisés vont-ils opt-in Privacy Sandbox ?

Il aurait d'autant plus de raison que la catégorisation des segments d'audience dans la version 2.0 pose question. Avec toujours à l'esprit de protéger la vie privée des utilisateurs, Floc 2.0 ne s'appuierait que sur l'analyse du nom de domaine du site fréquenté pour constituer ses segments d'audience. Si vous visitez un site bien verticalisé type "chaussuresdesport.fr", cela ne pose pas de problème. Le nom de domaine exprime bien la catégorie que vous visitez. Si vous allez sur le site d'un retailer plus généraliste comme Décathlon, difficile de savoir si vous cherchez un vélo, des chaussures de sport ou un ballon de foot, en se contentant du nom de domaine "Decathlon.fr". Impossible pour Floc, dans ces conditions, de tirer des enseignements pertinents.

D'autant que les sites verticalisés, clairement désavantagés par le nouveau modus operandi, pourraient décider de l'empêcher de crawler leurs pages. "Dans ce système, ce sont les petits sites très verticalisés, dont le nom de domaine révèle l'intérêt de l'internaute, qui contribuent le plus à la segmentation des audiences, observe Edouard Letort." Les grandes plateformes qui, comme Facebook ou Youtube, ont beaucoup plus d'inventaire et de données, ne contribueraient elles quasiment pas à la qualification des audiences. Ce alors qu'elles captent près de 80% des investissements publicitaires…

Peut-on s'attendre à un rejet massif de la part des petits sites ? C'est d'autant plus probable que Google a pris la décision de passer Privacy Sandbox d'un mode "opt out" à un mode "opt in". C'est, d'un point de vue privacy, plutôt vertueux. On ne pourra plus lui reprocher d'imposer ses méthodes de ciblage. Mais c'est prendre le risque d'un manque d'adhésion et, avec lui, d'un manque de reach qui scellerait sans doute le sort de Floc 2.0. Contacté, Google s'est contenté de répondre au JDN que Chrome explorait un certain nombre d'améliorations à FLoC mais que rien n'avait encore été décidé. "Lorsque Chrome aura plus à partager, nous exposerons les idées publiquement et attendrons avec impatience une discussion productive avec la communauté Web", explique un porte-parole de Google.

C'est un point que l'on ne peut pas enlever à Google. Depuis l'annonce du lancement de Privacy Sandbox, le géant de la publicité fait, son possible pour fédérer l'adtech autour de son projet. "C'est un projet hyper complexe et il faut reconnaître que Google prend bonne note des points qui lui sont remontés au fil de l'eau", admet Edouard Letort. Suffisant pour l'inciter à faire marche arrière sur cette V2 qui ne contenterait personne ? Premiers éléments de réponse au début du premier trimestre 2022, date annoncée du retour des nouveaux tests.