Attention (publicitaire), c'est pas si simple

Attention (publicitaire), c'est pas si simple L'achat média basé sur des critères favorisant l'attention apporte des retours concrets aux annonceurs, mais pas systématiquement, comme le démontrent les premiers tests réalisés par Danone.

Ce n'est pas un hasard si le sujet de l'attention dans la publicité revient sur le devant de la scène : la crise économique, qui s'ajoute à la crise environnementale, exacerbe le besoin de faire mieux avec moins. La promesse de l'achat média basée sur l'attention est de se concentrer sur les impressions publicitaires les plus qualitatives, les plus susceptibles de sortir du lot et d'exercer un impact réel sur l'internaute.

"Le KPI de l'attention nous fait prendre conscience qu'il faut cesser de tout juger essentiellement sur la base du CPM car toutes les impressions visibles ne se valent pas", explique Thibaud Rivals, responsable média et digital chez Danone France. Si, par exemple, le format est petit, la page encombrée et que l'internaute scrolle rapidement, l'impression aura peu de chances d'attirer son attention. "Prenons l'exemple du pavé, qui performe très bien en taux de visibilité et en temps d'affichage et qui de plus ne coûte pas cher. En réalité il ne génère aucune attention car c'est un tout petit format placé dans un coin de l'écran", illustre-t-il.

Juste en mesurant une campagne pour un grand acteur du secteur du voyage, et sans aller jusqu'à l'optimiser, xpln.ai, société de mesure et d'optimisation de l'efficacité média, a constaté que les impressions mesurées comme étant inefficaces correspondaient à 56% des impressions achetées et n'avaient généré effectivement que 5% des conversions. Les impressions mesurées comme étant efficaces ou très efficaces par le score de xpln.ai, correspondaient à 44% des impressions achetées et ont généré quant à elles 95% des conversions. Fabien Magalon, cofondateur de xpln.ai, préfère parler de niveau d'efficacité plutôt que d'attention tout court. "Notre objectif est de comprendre et d'optimiser les caractéristiques de l'impression publicitaire qui génère une conversion", explique-t-il. Pour le faire, xpln.ai tient compte, pour chaque impression, d'une douzaine de critères parmi lesquels le format de la création publicitaire, sa position au sein de la page, le niveau d'encombrement de cette dernière, l'origine du trafic et l'affinité entre la cible et le site visité, le tout pondéré par des panels d'eye tracking.

La promesse de cette approche est donc triple : en finir avec le gaspillage des budgets dépensés pour rien, obtenir de meilleurs retours sur investissement et réduire l'empreinte carbone des campagnes.

Différents niveaux d'attention

Mais cette règle ne marche pas dans tous les cas. Pour des marques fortes, connues des Français, payer plus cher pour des impressions optimisées pour capter plus d'attention peut signifier payer pour rien. Car l'impact sur le niveau de mémorisation publicitaire sera strictement le même. C'est en tout cas ce qu'a constaté Thibaud Rivals chez Danone, à la suite d'une toute première vague d'études post-test réalisées pour la marque Activia sur des campagnes activées avec la plateforme Teads et en se servant de la technologie d'achat d'impressions optimisées pour l'attention de Lumen.

Pour Activia, deux secondes d'attention sont nécessaires au minium

"Amplified Intelligence l'avait déjà démontré : il existe plusieurs niveaux d'attention. En fonction de mon objectif, de la notoriété de ma marque et de la puissance de ses assets distinctifs (DBA), je n'aurai pas besoin du même niveau d'attention", explique Thibaud Rivals. Ce qui est vrai pour Activia ne l'est en revanche pas pour Hipro, marque de Danone comparativement moins connue du grand public. "Du fait de la notoriété encore faible de Hipro, il va surement nous falloir un peu plus de temps d'attention et d'explications." Problème auquel l'achat d'attention répondra sans doute de manière plus pertinente, soutient le spécialiste.

De fait, les résultats de la première vague de tests avec Activia ont démontré que pour que la campagne ait un impact sur la préférence de marque, deux secondes d'attention sont nécessaires au minium, 3 secondes étant un seuil optimal. "On doit encore valider ces premières pistes d'interprétation par de nouvelles vagues de tests j'espère dès l'année prochaine. Mais a priori pour une marque comme Hipro mon objectif sera de chercher en moyenne 3 secondes sur des inventaires plus qualitatifs qui coûtent plus cher avec sans doute un reach plus faible, là où pour Activia je pourrai me contenter d'un inventaire où le niveau d'attention est plus faible, comme sur les plateformes sociales", résume-t-il.

Trading media et attention

L'industrie ne dispose pas encore d'une définition partagée de l'attention. Pourtant certains acteurs commencent à se positionner sur ce créneau en proposant un mode d'achat spécifique. C'est le cas du britannique Lumen (ex-Lumen Research), qui vient d'annoncer son rebranding et l'acquisition du DSP Avocet, dont l'outil de trading optimisera l'achat publicitaire en se basant sur des modèles prédictifs enrichis par la mesure de l'attention faite grâce à l'observation du comportement visuel de panels d'utilisateurs équipés d'eye tracking. C'est aussi le cas du français xpln.ai, dont le script se déclenche pour indiquer à l'acheteur média un score de qualité pour chaque opportunité d'affichage publicitaire.

Des voix se lèvent cependant pour questionner cette tendance. C'est le cas de Romain Bellion, CEO d'Adloox, seul outil français de mesure de la qualité publicitaire accrédité par le MRC, utilisé par des acteurs tels que 366, Gamned!, Weborama et Numberly : "Tous ces indicateurs (temps d'exposition, qualité du contexte et du trafic,  taille de la créa, niveau de l'encombrement, etc.) ont mis une dizaine d'années pour être déployés massivement par l'industrie. On observe une très forte amélioration du travail des agences et des trading desks qui ont appris à se concentrer sur des inventaires qualitatifs. Pousser d'un seul coup tous ces critères associés à des KPI scientifiques d'eye tracking non audités ni accrédités, pose un problème de taille : vous ne trouverez pas assez d'inventaires sur le marché, vous risquerez de faire exploser vos budgets et les objectifs des campagnes ne seront pas atteints." Selon lui, pour parvenir à relever davantage le niveau de qualité, le marché devra continuer à procéder comme il le fait déjà en customisant ces indicateurs, étape par étape, par exemple en améliorant la surface d'exposition de la création publicitaire et le temps d'exposition.

Quant aux panels d'eye tracking plus précisément, s'il les qualifie comme une bonne solution pour aider les éditeurs à optimiser leurs emplacements publicitaires et les annonceurs et agences à étudier l'impact de leurs campagnes en post-test, Romain Bellion considère que les conditions ne sont pas réunies pour qu'ils soient intégrés à l'achat média programmatique : "Nous traquons des centaines de millions d'impressions publicitaires par jour sur tous les devices, OS, applications, navigateurs, sites. Il y a une très grande complexité de cas d'usage et de combinaisons possibles entre ces différents facteurs. Vous ne pouvez par conséquent pas plaquer ce qui est mesuré en laboratoire sur la réalité de ce qui circule sur le marché. Chacune de ces solutions de mesure d'eye tracking a de plus ses propres critères de mesure, dont personne ne connaît les détails. Ces dernières ne sont pas soumises à des standards, guidelines et audits, contrairement aux outils de mesure accrédités auprès du MRC. Enfin, il me semble délicat de déléguer l'achat média à ceux mêmes qui le mesurent."

Si le marché semble loin de la définition d'un standard, la dynamique est déjà en route : "Des initiatives se mettent en place aux Etats-Unis autour de The Attention council et de l'Advertiser research fondation (ARF), qui va conduire plusieurs tests afin de mesurer les acteurs du segment de l'attention", précise Fabien Magalon. "Comme pour la norme MRC de la visibilité, il nous faudra à terme adopter une définition de l'attention qui soit commune à tout le marché pour que l'on puisse évaluer nos partenaires et technologies d'achat média avec les mêmes critères. Mais nous n'en sommes pas encore là", précise Thibaud Rivals.