A propos de l'efficacité à court et long terme de la publicité et du digital

Quelques rappels et fondamentaux sur le fonctionnement et les effets du digital et de la publicité en général. Tour d'horizon.

Efficacité à Court Terme ou Long Terme ?

Avant même l’avènement du digital, le fonctionnement de la publicité et la mesure de ses effets à plus ou moins long terme sur les ventes ont toujours été au centre de l’attention des spécialistes du marketing de praticiens et de chercheurs, tels Leonard Lodish, J.P. Jones ou encore Simon Broadband dont les études s'appuient alors sur la fameuse “single source” qui permet de suivre les ventes de produits vendus en supermarché en contrôlant les principaux stimuli de l’action marketing (GRPS publicitaires, promotion, concurrence, etc.). 

Des effets de court et long terme

La popularité des modèles économétriques d’efficacité publicitaire sur les ventes datent donc de cette époque, fin des années 80 aux Etats Unis, début des années 90 en France. Ces modèles s'intéressent généralement aux effets incrémentaux sur les ventes des variables du mix, à savoir publicité, promotion, prix, etc. Ils sont donc par nature très court termistes, renvoyant la prise en compte des effets à plus long terme à la disponibilité d'historiques de données importants et aux partisans de mesures de type “branding” ou “santé de la marque” telles la société Millward Brown en fut pionnière (aujourd’hui intégrée au groupe Kantar). 

Un article de recherche remarquable de 2010 [1], fut le premier à montrer l’intérêt d’intégrer à la fois des mesures explicatives quantitatives telles l'investissement média, les promotions, le prix, etc. à d’autres variables telle la notoriété, la considération, etc. pour expliquer les ventes et ainsi mieux prendre en compte les effets court terme et long terme de la publicité. 

Les auteurs associent en particulier aux mesures dites de “consumer mind metrics” un caractère prédictif plus important d’un éventuel déclin des ventes dans le moyen long terme. Les seules variables dites quantitatives étant de fait plus adaptées à une évaluation court termiste des effets incrémentaux sur les ventes de la publicité.

Au delà des effets courts et longs terme, comprendre la dynamique des achats

Un autre courant de recherche moins connu en France mais très important se concentre sur les effets de la publicité non pas sur les effets court ou long terme mais plutôt sur la compréhension de la structure des achats répétés sur les marchés de grande consommation, c'est celui mis en oeuvre par Andrew Ehrenberg dès 1959[2]. Ce dernier montre que sur la plupart des marchés de grande consommation, la publicité impacte avant tout les acheteurs d’une marque, et pas vraiment les non acheteurs de la catégorie de produits. 

Les marques leaders se différencient des petites simplement par leur nombre d’acheteurs plus important. Rares sont les non acheteurs d’une catégorie de produits qui achètent. Dès lors, puisque peu d’acheteurs fréquents concentrent une grande partie des achats, plutôt que de cibler uniquement les acheteurs fréquents, la publicité a aussi un effet fort sur les acheteurs occasionnels d’une marque. De fait, la modélisation (via le modèle de Dirichlet) stipule que le seul ciblage des gros acheteurs est une erreur, et ne produira pas les effets escomptés, mais que dans tous les cas, la publicité aurait un effet plutôt court termiste. 

Plus récemment, les adeptes de l’approche d'Ehrenberg se nomment Byron Sharp ou encore Pete Fader, ce dernier introduisant l’importance de la valeur du client à long terme (Consumer Life Time Value, CLTV).

Réconcilier les effets de court et long terme

Ces deux courants de recherche ne s'opposent pas bien sûr mais ont plutôt tendance à montrer qu’il ne faut pas opposer effets à court terme et effets à long terme, qu’au contraire les deux ne sont pas antinomiques et fonctionnent conjointement pour les marques à la croissance profitable et durable. J'explique le tout ici et fournis les bases d'une mesure des effets du digital à court et long terme. 

En effet, il semble intuitif de considérer que pour grossir, une marque a besoin d'investissements et de support marketing constants dans le temps pour nourrir les effets à court terme, rendre les acheteurs plus fidèles en particulier ceux pour lesquels la marque n’est qu’une des alternatives possibles (ils l’ont déjà achetée mais ce n’est pas forcément leur marque habituelle). 

Cette dernière hypothèse de fonctionnement semble validée par les travaux récents de Joel Rubinson[3] aux Etats Unis (2021 et 2022). Reprenant les travaux initiateurs proposés par le modèle Dirichlet, l'auteur propose d’allouer une partie de l’effort média non pas sur l’ensemble des acheteurs d’une marque mais de prioriser une partie de l’investissement média sur les “Movable Middles”. Ces acheteurs qui achètent la marque (elle fait partie des deux ou trois marques qu’ils achètent sans qu’elle soit leur préférée) et qui ont une probabilité de conversion plus forte que les non acheteurs ou les “low response buyers”.

Pour un marketing (digital) plus efficace

Cette approche a de nombreux atouts pour permettre nous l’espérons un marketing digital plus efficace. En effet, elle est solide d’un point de vue méthodologique, et favorise le développement d’un marketing plus “instruit”, nourri de données de type first party data, qui doit devenir la pierre angulaire d’un marketing plus efficace mais aussi plus éthique. 

Le ciblage via une approche de type "look alike" targeting des “Movable Middles” permettrait une activation plus optimale des acheteurs d’une marque qui font partie par exemple de ses réseaux de followers sur Facebook, Twitter, Instagram, etc. autant de données de type first party data que la marque pourrait mieux utiliser pour une activation marketing plus pertinente. Je parle du tout, bientôt dans un prochain article.

Références

[1] Pour retrouver l'article de Srinivasan, Vanhuele, Pauwels : Consumer Mindset Metrics In Market Response Models: An Integrative Approach”, Journal of Marketing Research, August, 2010.

[2] The Pattren of Consumer Purchases, Journal of the Royal Statistical Society. Series C (Applied Statistics, Vol. 8, No. 1 (Mar., 1959), pp. 26-41 (16 pages). - The Dirichlet: A comprehensive model of buying behaviour – Gerald J Goodhardt, Andrew S.C. Ehrenberg and Christopher Chatfield, 2006

[3] Outcome Based-Marketing : Profitable Growth by Targeting Consumers in the Movable Middle.