Le quatrième opérateur mobile : l’Arlésienne bientôt vache à lait ?

Début février commencera le débat parlementaire sur l'appel à candidatures pour les fréquences 3G. L'impact concurrentiel, social, économique de ce bouleversement futur de l'écosystème reste à imaginer. Mais on peut d'ores et déjà observer que les conditions et critères de sélection ne seront pas neutres pour l'avenir du secteur.

Des analystes proches des opérateurs mobiles estiment que l'arrivée d'Iliad sur le marché des opérateurs mobiles français via la quatrième licence 3G aurait un impact négatif sur l'industrie des télécoms. L'argument est la destruction de valeur (via des forfaits "ultra low-cost"), qui pourrait conduire à des licenciements massifs chez les opérateurs de réseaux mobiles.
 
Ce scénario est néanmoins assez peu crédible à l'échelle de l'écosystème. On peut imaginer que, pour conserver des taux de marges très significatifs, les trois opérateurs actuels procèdent à quelques licenciements. Mais ces licenciements ne pourraient qu'être largement compensés par les embauches du futur Free Mobile, avec la duplication de toutes les fonctions supports, le renforcement des forces commerciales et de gestion de la relation client, etc. C'est un scénario symétrique de ce que l'on constate quand un opérateur procède à une acquisition et réduit sa masse salariale pour bénéficier d'économies d'échelle.
 
D'autre part, il faut distinguer revenu et marge : on sait que pour de nombreuses raisons (notamment des économies sur l'acquisition et la fidélisation client), les produits à plus faible ARPU (revenu moyen par utilisateur) sont aussi ceux à plus fort taux de marge : il en est ainsi des services prépayés, bien plus rentables que les forfaits.

Alors, pourquoi l'arrivée de services "ultra low-cost" ne s'accompagnerait-elle pas d'un accroissement de la marge de l'opérateur ? Elle permettrait notamment de générer une marge importante sur la (faible) part du marché qui reste encore à acquérir aujourd'hui. Cette part de marché peut d'ailleurs être constituée pour partie de secondes lignes à bas prix. L'exemple du Bic Phone, chez Orange, semble aller dans ce sens : gageons que l'opérateur a pris soin de vérifier qu'il ne génèrerait ni cannibalisation de ses forfaits, ni dégradation de ses marges.
 
Néanmoins la question demeure : faut-il vraiment créer de toutes pièces un quatrième réseau ?
 
Début janvier, le Premier Ministre annonçait un appel à candidatures prochain sur la base de trois lots de fréquence à 5 MHz, dont un obligatoirement réservé à un nouvel entrant. Le débat parlementaire devrait commencer début février. Or, ce compromis entre les intérêts des opérateurs en place et la volonté affichée des nouveaux entrants de pénétrer le marché des opérateurs de réseau pourrait être le pire des scénarios.

En effet, si un nouvel entrant ne peut disposer que d'un unique lot de 5 MHz, cela semble faible pour proposer des services très consommateurs de bande passante comme l'Internet mobile. Et il faudra donc que le marché supporte tout le coût économique et écologique d'un nouveau réseau, pour une offre de services qui sera de toute façon limitée faute d'une bande passante suffisante. En revanche, si les critères d'attribution sont tels qu'un nouvel entrant pourra prendre pour lui au moins deux lots de 5 MHz, cela peut avoir plus de sens économique : le coût fixe du réseau pourrait être, à terme, réparti sur plus d'abonnés ou une offre plus large.
 
Il y aurait malgré tout un intérêt pour les finances publiques en cette période morose : au moins un milliard d'euros sur les premières années, entre le coût de la licence et la fiscalité. Mais du point de vue de l'investisseur aussi bien que des consommateurs (qui paieront toujours in fine), le déploiement d'un nouveau réseau n'est pas nécessairement, aujourd'hui, l'usage le plus judicieux que l'on puisse faire de quelques milliards d'euros.

A cet égard, un raisonnement en terme de coût d'opportunité (et prenant en compte aussi bien le retour sur investissement que les enjeux de positionnement stratégique) se doit d'envisager quelques idées alternatives : une autre technologie (pourquoi investir dans une technologie déjà mature et dont les concurrents ont depuis plusieurs années un réseau et des abonnés ?), voire pléthore d'autres secteurs connexes à l'industrie des télécoms : contenus, jeux et paris en ligne, services à la personne (e-santé par exemple), services bancaires, échanges dématérialisés, etc, qui peuvent parfaitement être portés par un MVNO.
 
Parce qu'en même temps, l'avenir des MVNO commence à sembler moins sombre qu'avant. Bouygues Telecom ouvre ses conditions d'hébergement en autorisant aux MVNO l'exploitation d'une plateforme IN (permettant de gagner en flexibilité sur les services proposés), la collecte de terminaison d'appel (source de revenus essentielle pour un opérateur de petite taille) et une tarification cost plus plutôt que retail minus[1].

C'est un premier pas vers une vraie concurrence par les services, qui passera par un renforcement du pouvoir de négociation des MVNO. Dans un futur pas si éloigné, cela pourrait se traduire par des MVNO dont la valeur ajoutée, outre celle d'opérateur de services mobiles, consisterait à optimiser en permanence leurs achats de prestations techniques auprès de deux ou trois opérateurs de réseaux concurrents. Utopie ? C'est à l'issue des renégociations de contrats de MVNO actuellement en cours que nous en saurons plus...

[1]  Source avis n° 08-A-16 du 30 juillet 2008 du Conseil de la Concurrence.