Yves Gassot (Idate) "Le débat sur la neutralité du Net traversera tout le DigiWorld Summit en filigrane"

L'Idate organise les 17 et 18 novembre le DigiWorld Summit 2010, conférence internationale dans le domaine des télécoms et d'Internet, dont le JDN est partenaire. Son DG détaille les thématiques qui y seront abordées et les prestigieux intervenants qui partageront leur vision.

JDN. En quoi consiste le DigiWorld Summit, que vous organisez les 17 et 18 novembre prochains ?

Yves Gassot. Comme tous les ans, l'Idate organise à Montpellier cette conférence internationale, qui a pour vocation de faire le point sur les évolutions notables intervenues ces 12 derniers mois et l'avenir qui se profile à 3 ans dans le secteur des télécoms, d'Internet et de la télévision. Pour cette édition, nous avons retenu le thème transversal "qui finance l'Internet du futur ?", afin d'intervenir sur le débat de la répartition de la chaîne de valeur d'Internet.

Vous recevrez à cette occasion des grands noms du secteur...

Parmi les intervenants, nous compterons le président de l'Arcep, Jean-Ludovic Silicani, le PDG de France Télécom, Stéphane Richard, le CEO de Vodafone Europe, Michel Combes, la directrice de la recherche de Yahoo Israël, Yoelle Maarek, le patron d'IBM France, Alain Benichou, ou encore le patron des services mobiles de Facebook, Henri Moissinac. C'est d'ailleurs ce dernier qui ouvrira les débats par la première "keynote". Le récent article "Le Web est mort" de Chris Anderson dans Wired expliquait que l'idée que le Web 2.0 et Java finiraient par dominer Internet est battue en brèche par la progression d'autres pratiques. Le protocole HTML est de moins en moins utilisé, au profit de l'App Store, des flux RSS, du peer-to-peer... Les réseaux sociaux ont un poids très important dans cette évolution. Ce sera l'objet du discours introductif.

La première session du DigiWorld Summit abordera la question de l'augmentation du trafic sur Internet...

On cherchera à répondre à des questions comme celles-ci : comment l'infrastructure supporte un accroissement de 50 % du trafic tous les ans ? Comment fait-on pour gérer les contraintes propres aux services vidéo qui constituent la part la plus dynamique de ce trafic ? Quelle est l'économie des acteurs du backbone ? Quel est le rôle des acteurs spécialisés tels les CDN (content delivery network, ndlr) ? Pourquoi les fournisseurs d'accès à l'Internet se plaignent-ils de la répartition inégale des charges et refusent les accords de peering (sans échange monétaire) en mettant en avant l'asymétrie des flux vidéo ? Cette session est très importante dans la mesure où il s'agit de fonctionnements assez peu connus et complexes. Leur compréhension permet de comprendre certaines tensions entre les acteurs, mais aussi les évolutions futures de l'infrastructure du Net et du Cloud. Le débat sur la neutralité du net traversera tout le sommet en filigrane.

"Du côté des abonnés, la tarification pratiquée par les FAI est amenée à évoluer"

Quelle est votre position sur ce sujet de la neutralité du net ?

On regroupe plusieurs débats sous cette expression. Une assez large convergence s'exprime pour dire que les offres faites aux internautes comme aux agrégateurs de contenus et d'applications peuvent être différenciées mais ne doivent pas induire des discriminations. De la même façon, il parait normal de permettre aux opérateurs de mettre en oeuvre des pratiques de management de trafic afin d'éviter des congestions. Mais il faut que cela soit clairement justifié et fait dans la plus grande transparence.

Il reste trois sujets. Le premier a trait aux accords d'interconnexion entre les FAI et les agrégateurs de contenus ou leurs prestataires. Les premiers ont tendance à dire que les fournisseurs d'applications sont des "passagers clandestins". Ce n'est pas tout à fait vrai. Ils paient la bande passante mise en oeuvre pour raccorder les serveurs qui les hébergent au Net. Simplement, ce ne sont généralement pas les FAI qui assurent cette prestation. Et si c'est un accord de peering qui gère l'interconnexion au point de livraison du FAI, ce dernier ne perçoit aucune rémunération, alors qu'il va devoir acheminer beaucoup plus de trafic descendant qu'il ne va transmettre de trafic remontant à son pair - l'agrégateur de contenus ou son prestataire -, ceci du fait de l'asymétrie des flux des services vidéo. De leur côté, les grands acteurs du Net mettent en avant le fait que les FAI ne paient pas pour avoir accès aux applications qui donnent toute leur valeur aux accès Internet...

Les économistes y voient les caractéristiques d'un marché bi-face dans lequel la tarification trouve sa cohérence globalement et non dans une répartition en fonction des coûts constatés sur chaque face. Une option élégante serait par exemple que les FAI prennent en compte les exigences particulière de qualité de certains type d'applications et puissent valoriser une "offre premium".
 

Que pensez-vous de l'idée de proposer des forfaits tarifés différemment en fonction de l'usage de l'abonné ?

Du côté des abonnés, la tarification pratiquée par les FAI est aussi amenée à évoluer. On devrait dans le mobile, mais aussi dans le fixe, voir un début de segmentation qui peut jouer sur les volumes consommées, la qualité et le débit, mais aussi sur des bundles associant aux offres de connectivité des applications.

Quelles formes ces différentes offres pourraient-elles prendre ?

Sur le principe, elles pourraient se rapprocher de l'offre d'Orange qui inclut un accès illimité au streaming sur Deezer, indépendamment du nombre d'octets reçus. Ou bien de services managés de bout en bout - hors de l'Internet "ouvert" - à l'instar de l'IPTV, ou d'un services de visoconférence du type de celui que Cisco a présenté récemment. Il faut naturellement que ces services managés ne s'accompagnent pas d'une dégadation de l'accès à "l'Internet ouvert". C'est d'ailleurs le principe retenu par la contribution commune de Google et Verizon sur la Net Neutralité.
 

"On peut s'attendre à une refonte de l'offre de services de la fibre, pour la rendre attractive par rapport au triple play"

Quelles autres thématiques seront abordées lors de cette première journée ?

Yoelle Maarek, chez Yahoo, évoquera le rôle des utilisateurs dans le développement des moteurs de recherche. Un enjeu important depuis le rapprochement de Yahoo avec Bing de Microsoft.

Alain Benichou, chez IBM, s'intéressera pour sa part à "l'Internet des choses". Quand toute la population du monde sera connectée à Internet, on passera aux objets. On entre dans un monde infini, dont Alain Benichou nous donnera un aperçu.

Suivront une série de séminaires se déroulant en parallèle, où toutes ces thématiques seront approfondies, de l'e-santé à la télévision connectée en passant par l'innovation dans les villes connectées.

La deuxième journée sera lancée sur le thème du financement des infrastructures, à commencer par la fibre optique...

Nous nous demanderons en quoi l'Internet du futur nous engage à revoir différemment la fibre optique et le Long term evolution (LTE) et quel business models associés mettre en place. Lors de la première session plénière, consacrée au financement du déploiement de la fibre, Deutsche Telekom sera bien sûr présent, ainsi que le leader du câble en Europe, Liberty Global. La table sera présidée par le directeur général délégué de Bouygues Telecom, Emmanuel Forest, ce qui montre l'intérêt de cet opérateur pour les réseaux fixes.

Sur le fond, nous sommes encore dans la définition des modalités du financement. Les 2 milliards d'euros du grand emprunt qui y seront consacrés ont surtout vocation à aider les collectivités locales, ainsi que les opérateurs qui voudraient sortir des grandes agglomérations. Le premier ministre a demandé un rapport au sénateur Hervé Maurey, qui propose d'instituer une taxe sur les factures fixes et mobiles. Mais on vient déjà de relever à 19,6 % la TVA sur le triple-play : on commence à entendre râler les opérateurs télécom...

Pourquoi l'Europe est-elle si en retard par rapport aux grands marchés d'Asie et aux Etats-Unis, sur le déploiement de la fibre ?

D'abord, nous avons en Europe un réseau ADSL bien meilleur qu'aux Etats-Unis, où le déploiement de la fibre était donc plus urgent. En Asie, l'habitat est très vertical. Relier une population très concentrée coûte moins cher qu'au Royaume-Uni par exemple, où règne la maison individuelle. Aux Etats-Unis, les opérateurs s'appuient beaucoup sur un modèle de TV payante, pour lequel le budget moyen est de 100 dollars par mois par foyer. En Europe, quand un opérateur déploie de la fibre, il peut demander 5 ou 10 euros de plus par mois à l'abonné, ce n'est donc pas le même budget du tout. Par ailleurs, pour investir dans la fibre, Verizon revend son réseau téléphonique de cuivre dans les zones de faible densité. On n'imagine pas France Télécom revendre ses réseaux cuivrés dans le Cantal et en Lozère...

Je pense néanmoins que les choses vont commencer à se matérialiser. Les opérateurs vont devoir faire un effort commercial. On peut d'ailleurs s'attendre à une refonte des services offerts. Sinon, l'offre fibre ne sera pas intéressante aux yeux du consommateur, par rapport au triple play. En l'occurrence, il faut sans doute donner plus de matérialité au très haut débit. Diminuer la peur des octets téléchargés, offrir des services de télévision, de visioconférence personnelle, de téléphonie de haute qualité... Les opérateurs auront plus de chances ainsi de mobiliser leurs clients.

"Il est normal que les innovations coûteuses et risquées se mettent en place d'abord dans les grandes agglomérations"

La France et l'Europe ont-elles selon vous la bonne approche ?

En France et en Europe, on veut promouvoir le déploiement de la fibre en même temps dans les zones de haute et de basse densité, pour ne pas créer un nouveau fossé numérique qu'il sera ensuite très compliqué de combler, ou encore se précipiter vers un monopole public et revenir à la case départ des PTT... En même temps, il est normal que les innovations coûteuses et risquées se mettent en place d'abord dans les grandes agglomérations.

A ce sujet, la Commission européenne débat actuellement du service universel. Aujourd'hui, il concerne la téléphonie fixe et les cabines, ce qui est un peu "ringard" à l'heure où tout le monde possède un téléphone mobile et où de plus en plus, la téléphonie fixe est une application Internet. Comme aux Etats-Unis, on pourrait transférer les fonds et les mécanismes dédiés au service universel du téléphone fixe à Internet, avec un débit minimum sur tout le territoire qui augmenterait tous les deux ou trois ans.

La table-ronde suivante abordera le financement du haut débit mobile, le LTE...

Comme la fibre, le déploiement du LTE s'inscrit dans une stratégie globale de haut débit et de très haut débit. Par exemple, le LTE pourrait opportunément se substituer à la fibre pour apporter le très haut débit dans les zones peu denses. Sur ces questions, nous échangerons avec Erik Hallberg, le vice-président services mobiles de l'opérateur suédois TeliaSonera, le premier à avoir déployé le LTE, à Stockholm, ainsi qu'avec Douglas Gilstrap, le patron de la stratégie d'Ericsson, numéro un mondial dans le déploiement de réseaux LTE.

L'un des derniers thèmes abordés sera la relation entre la télévision, la vidéo et Internet. Quelles problématiques traiterez-vous ?

La TV connectée sera-t-elle un succès ? Google va-t-il rafler la mise, devant les opérateurs TV britanniques, français et allemands ? Le point clé n'est-il pas en fait le moteur de recherche, ce qui serait très bon pour Google ? Car en réalité, Google TV n'a pas besoin de proposer des programmes de Hollywood, si 90 % des gens utilisent son moteur et font fonctionner ses AdWords. Il est vrai que Youtube a montré que le chiffre d'affaires publicitaire ne venait qu'avec des contenus premium et se situe par conséquent dans une démarche de négociation classique avec les détenteurs de droits. Au contraire, Google-Android ne veut pas de droits de diffusion mais des droits de référencement, comme pour Google News. Le débat devient alors juridique.

Sur quelles problématiques cette deuxième journée se terminera-t-elle ?

Le dernier après-midi sera l'occasion de dresser la synthèse des deux jours de conférence. Stéphane Richard, PDG de France Télécom, exposera sa vision des télécoms de demain. J'interviendrai ensuite sur les problématiques post "Net neutrality". Notre président Francis Lorentz exposera la position de l'Idate sur les thématiques évoquées pendant le sommet, avant une discussion finale entre Google, Telefonica et Verizon sur les scénarios gagnants pour les acteurs européens du secteur des télécoms et de l'Internet.