Fusion Orange - Bouygues Telecom : qui va récupérer les restes ?

Fusion Orange - Bouygues Telecom : qui va récupérer les restes ? L'opérateur historique va devoir trouver des repreneurs pour la quasi-totalité des actifs de Bouygues. SFR, Free Mobile et Coriolis sont à l'affût.

Le projet de rachat de Bouygues Telecom par Orange pour dix milliards d'euros ira-t-il à son terme, selon quelles modalités et avec quelles conséquences pour le marché ? Poser la question, c'est inévitablement rentrer dans une équation complexe.

Profondément chamboulé depuis l'arrivée d'un quatrième opérateur mobile en janvier 2012, le marché est à la peine avec des prix en chute libre et des investissements conséquents à effectuer dans le très haut débit fixe (avec un objectif de 50% de la population desservie fin 2017) ainsi que dans le déploiement de la 4G. D'où l'idée d'une inévitable consolidation du marché afin de redonner des marges de manœuvre aux différents protagonistes. Parmi les schémas successivement envisagés, celui d'un rachat de SFR par Bouygues Telecom au printemps 2014 a fait long feu. Un an plus tard, le même SFR effectuait une offre, non sollicitée, sur Bouygues Telecom. Une offre à dix milliard d'euros sèchement écartée Martin Bouygues.

Orange est leader partout : le fixe, le mobile et le B2B

Aujourd'hui, c'est au tour d'Orange de se positionner comme acquéreur potentiel de Bouygues Telecom. Une manœuvre sans précédent qui aboutirait, de fait, à un démantèlement en règle de Bouygues Telecom en échange d'une participation (au moins 10%, estime Martin Bougues) du groupe Bouygues au capital d'Orange. Avec un obstacle majeur : faire en sorte qu'Orange ne se retrouve pas en position dominante, ce qu'il est déjà peu ou prou. Une situation qui n'a pas échappé au président de l'Arcep qui assurait à la mi-janvier dans Les Echos : "Il ne faut pas que cette transaction, si elle se fait, résulte en un renforcement de la position d'Orange, particulièrement sur les marchés où il est leader". Or, l'opérateur historique est leader partout, le fixe, le mobile et le B2B !

Partant de là, pas évident de passer sous les fourches caudines de l'Autorité de la concurrence. Que le leader du marché (près de 40%, aussi bien dans le fixe que dans le mobile) rachète le numéro trois dans le mobile et numéro quatre dans le fixe, cela ne s'est jamais vu. L'opération amènerait Orange à une part de marché cumulée de près de 49,5% dans le haut et le très haut débit fixe et de 54,3% dans le mobile (MVNO compris) (1). L'occasion de se souvenir du message de Thierry Breton, alors PDG de France Télécom, à ses troupes : "évitez de dépasser les 50% de parts de marché afin de ne pas être ennuyé par le Conseil de la concurrence". D'où la nécessité de répartir dès maintenant les actifs de Bouygues Telecom entre différents acteurs.

A SFR les clients B&You et Bbox ?

Pour contourner l'obstacle, les fameux "remèdes" dans le jargon du droit de la concurrence, Orange aurait conçu un détourage assez précis de Bouygues Telecom. Selon un montage révélé par le Figaro, Orange rétrocèderait à SFR les 2,5 millions de clients de B&You (et éventuellement une partie de Sosh, les forfaits bon marché d'Orange) ainsi que les 2,7 millions de clients Bbox (ADSL et fibre optique) de Bouygues Telecom. Une transaction de l'ordre de 2,5 milliards d'euros.

A Free la bande de 800 MHz et 50 boutiques ?

Un schéma dans lequel, Free Mobile récupérerait une partie du réseau cellulaire, des sites d'émission et des fréquences, notamment celles dans la bande des 800 MHz, de Bouygues Telecom pour un montant de l'ordre de 1,8 milliard d'euros, ainsi qu'une cinquantaine de boutiques sur les 550 que compte Bouygues Telecom (dont la moitié en propre). Ce qui pose incidemment la question des 500 boutiques restantes et 2 500 collaborateurs du réseau de distribution. "C'est le point le plus sensible des négociations" assure une source bien informée. Quant au reste de la base clients de Bouygues Telecom (un peu plus de sept millions dans le mobile), elle se ventilerait vraisemblablement entre Orange et Free Mobile selon une clé de répartition qui reste à définir.

A Coriolis la partie Bouygues Telecom Entreprises ?

Autre activité dont Orange devra nécessairement se séparer pour des raisons de concurrence évidentes, Bouygues Telecom Entreprises (900 collaborateurs et près de 700 millions d'euros de chiffre d'affaires). Evaluée à 500 millions d'euros, cette activité représente 1,1 million d'abonnés cellulaires et 140 000 lignes fixes. Après avoir envisagé de la céder à SFR qui montrerait peu d'empressement (sa branche entreprise vient elle-même d'être profondément réorganisée), Orange pourrait se tourner vers Coriolis, un MVNO spécialisé dans les PME et qui compte près de 400 000 abonnés.

Cette issue arrangerait beaucoup de monde et permettrait accessoirement l'émergence d'un troisième pôle B2B face au duopole Orange Business Services/SFR Business. Reste à savoir si Coriolis (300 millions d'euros de chiffre d'affaires dont la moitié dans la distribution et la relation-client) aurait les reins assez solides, ce qui ne fait pas l'unanimité.

Son président Pierre Bontemps a d'ailleurs récemment créé la surprise en déclarant à Paris Match qu'il était également intéressé par l'activité fixe grand public (2,7 millions de clients ADSL et fibre optique) de Bouygues Télécom. Ce qui aboutirait peu ou prou à maintenir un quatrième acteur – scénario auquel les pouvoirs publics seraient assez favorables – dans le paysage. A condition que Coriolis parvienne à mettre entre 1,5 et 2 milliards d'euros sur la table. Sollicité par le JDN afin d'obtenir des éclaircissements, Pierre Bontemps n'a pas donné suite. Autre point à éclaircir, le sort de l'activité très haut-débit (environ 400 000 abonnés) de Bouygues Telecom, dont la plupart utilisent le réseau de Numéricâble, désormais adossé à SFR.

Mutualisation : Orange pris au piège ? 

Autre épine du dossier, la mutualisation en cours d'une partie des réseaux mobiles de SFR et de Bouygues Telecom. Une opération importante avec 11.500 sites mutualisés à terme, soit 80% du territoire métropolitain. Que se passera-t-il si Orange prend le contrôle de Bouygues Telecom ? SFR sera-t-il amené à cohabiter avec l'opérateur historique au sein de ce réseau mutualisé ? "La situation est très claire" assure-t-on chez SFR pour qui "l'accord n'est absolument pas remis en cause". Et SFR de préciser que " le cas d'un changement d'actionnaire est explicitement prévu ". Autrement dit, Orange serait contraint d'honorer cet accord et de poursuivre la mutualisation, qui doit s'achever fin 2017 (les premiers sites mutualisés sont opérationnels depuis fin 2015). Un volet qui ne manque pas de saveur, Orange ayant porté plainte au sujet de cet accord devant l'Autorité de la concurrence puis la Cour d'appel de Paris, plaintes au sujet desquelles l'opérateur a été débouté.

Des licences en trop ?

Autre volet, l'informatique avec le basculement envisagé de plusieurs millions de clients d'un opérateur à l'autre. Souvent plus facile à dire qu'à faire, notamment au regard de l'informatique de SFR en plein chambardement et où l'opérateur s'efforce de tailler dans les coûts. Ce qui pose incidemment la question du sort des centaines d'informaticiens de Bouygues Telecom. Difficile de formuler un pronostic sur leur destination alors que Stéphane Richard, le PDG d'Orange, veut une opération "socialement irréprochable". Pas évident de leur garantir un avenir, pas plus qu'à l'ensemble des 7 500 collaborateurs de Bouygues Telecom.

Reste la question des fréquences. Autant Free Mobile fait figure d'acquéreur légitime pour la bande 800 MHz - où il ne possède pas de fréquences – de Bouygues Telecom, autant les autres bandes (900 MHz, 1800 MHz, 2100 MHz, 2600 MHz) semblent moins convoitées. Un contexte dans lequel l'Arcep entend se montrer particulièrement vigilante. Pas question pour le régulateur de fermer les yeux et de laisser un opérateur se constituer une sorte de réserve spectrale. "Si des fréquences ne sont pas utilisées, nous pourrions les remettre sur le marché", avertit discrètement l'Autorité.

Un deal de connivence ou un réel enjeu business ?

A la fois acquéreur mais aussi un peu banquier d'affaire dans cette histoire, Stéphane Richard assure qu'il ne fera pas l'opération à n'importe quel prix et qu'elle pourrait tout aussi bien échouer. En fait, rien n'est joué, d'autant que les risques d'exécution, que ce soit au plan social, industriel, juridique ou politique - avec l'épineuse question du niveau de participation de l'Etat (principal actionnaire avec 23,05 % du capital) et du groupe Bouygues - , sont nombreux. "C'est sans doute la dernière fenêtre d'opportunité pour passer de quatre à trois opérateurs", relève un familier du dossier.

"L'opération est loin d'être pertinente pour l'opérateur historique"

"Même si cela ressemble à une partie de billard, il y a une volonté forte d'aboutir. Ne perdons pas de vue que la plupart des protagonistes sont dans une logique patrimoniale", ajoute-t-il. Attention toutefois à ne pas faire la fine bouche. "On est dans une approche globale, pas dans une configuration où chacun viendrait faire son marché", analyse notre interlocuteur. Volontiers versatiles, les observateurs, les banques d'affaire et les analystes – hormis Natixis – regardent ce rapprochement avec une relative bienveillance. Seule note réellement discordante, celle d'Elie Cohen, un économiste réputé et ancien administrateur d'Orange, qui parle ouvertement de "connivence" entre l'Etat, Orange et le groupe Bouygues et qui estime que l'opération est loin d'être pertinente pour l'opérateur historique. Un opérateur qui affirme régulièrement qu'il n'est pas celui qui a le plus intérêt à cette consolidation mais qui risque, si l'opération aboutit, d'avoir plus fréquemment le régulateur en face de lui que dans un marché à quatre. Un paradoxe emblématique des contradictions et des ambiguïtés de ce dossier à rebondissement.