Pierre Peladeau (Strategy&) "Il faut faire une veille permanente sur la 5G et la déployer en suivant les évolutions"
Le Mobile World Congress se tient du 28 juin au 1er juillet à Barcelone en version hybride. Pour l'occasion, Pierre Peladeau, associé chez Strategy&, l'entité de conseil en stratégie de PwC France et Maghreb, revient sur l'adoption de la technologie en entreprise en France.

JDN. Le Mobile World Congress est l'occasion côté fabricants de faire des annonces sur les produits 5G. Concrètement, côté entreprise, où en est l'adoption en France ?
Pierre Peladeau. Aujourd'hui en France, quand on fait référence à la 5G, on a l'impression que l'on parle d'un scénario où tout est déjà mis en œuvre et on met en avant les premiers résultats obtenus en entreprise par les sites portuaires et aéroportuaires. Nous n'en sommes néanmoins qu'aux débuts, la 5G est encore très peu employée. L'adoption est progressive car elle nécessite toutes les fonctionnalités de la 5G et demande beaucoup de développements : il faut adapter les systèmes d'informations, réaliser des développements produits, définir l'expérience utilisateur, former les utilisateurs, etc. Cela demande du temps.
C'est la raison pour laquelle vous estimez que la 5G ne sera pas adoptée en masse avant 2025…
Oui car les avantages de la 5G ne pourront être évalués par les entreprises qu'une fois que les pleines capacités de la technologie seront déployées. L'effet immédiat, dès qu'une antenne est installée, est d'offrir un débit trente fois supérieur à la 4G. Il y a toutefois plusieurs composants dans la 5G : une faible latence – le délai de communication entre l'objet et l'antenne devrait passer de 50 millisecondes avec la 4G à 1 milliseconde en 5G – une connexion massive d'objets connectés avec une consommation d'énergie moins importante, ce qui va augmenter la durée de vie des batteries, et la capacité d'effectuer du network slicing. Ces bénéfices, qui permettront de nouveaux usages, ne sont pas mis en œuvre en même temps. Ils interviendront avec la 5G dite stand alone, pour laquelle il faudra changer le cœur de réseau des opérateurs, ce qui va prendre plusieurs années (chez Orange, la 5G stand alone ne sera pas disponible avant 2023, ndlr).
Y a-t-il d'autres freins techniques à l'adoption de la 5G ?
Un élément peu évoqué quand on fait référence à la 5G concerne le déploiement de l'edge computing. Pour développer des usages avec une faible latence, il ne suffit pas que la communication pour l'envoi de données soit rapide, il faut que la puissance de calcul pour traiter les données soit au plus près des tours 5G. Par exemple, pour effectuer du suivi logistique, qui requiert une latence entre 30 et 50 millisecondes, les data center doivent être à une distance qui se mesure à l'échelle régionale. Pour piloter des drones ou des véhicules, des usages pour lesquels la latence doit être comprise entre 1 et 10 millisecondes, ces data center doivent être au pied de la tour 5G. Un calcul effectué en Californie n'est pas possible. Or, les scénarios de déploiement de data center en edge computing n'est pas déterminé. Il pourra être effectué par les opérateurs, par des hyperscalers ou même des start-up qui achèteront de l'espace aux opérateurs pour déployer leurs infrastructures. Les acteurs sont encore en train de se positionner, le déploiement sera ensuite graduel, sur plusieurs années.
Quels conseils donneriez-vous aux entreprises qui hésitent à adopter la 5G ?
Le Mobile World Congress est un moment fort pour la 5G mais je conseille aux entreprises d'être attentives aux annonces tout au long de l'année. C'est une veille permanente qu'il faut faire. Il est par ailleurs essentiel de s'inspirer de ce qui se fait à l'étranger car la 5G est déjà proposée commercialement en stand alone (en Europe : en Italie, en Allemagne et en Finlande, notamment, ndlr). Il faut partir de l'usage et se focaliser sur les besoins business. Les usages et les déploiements dépendront alors des avancées annoncées par les opérateurs. Ce sont ces dernières qui conditionnent à quel moment un industriel doit investir dans la 5G.

Une fois que la 5G stand alone sera effective en France, quelles en seront les bénéfices selon vous ?
Les bénéfices interviendront dans toutes les industries. En France, la smart agriculture pourrait avoir beaucoup de valeur. De même dans l'automobile. Je ne crois pas au pilotage de véhicule par la 5G, par contre il sera possible de placer une caméra sur l'avant des camions pour diffuser, à l'arrière, ce qu'il se passe afin que les conducteurs qui suivent ces camions anticipent les freinages. Une multitude d'usages se créeront en fonction de rapports coût/ROI, facilement calculables. C'est ce que nous avons fait dans l'un de nos rapports : nous estimons l'impact économique de la 5G sur le PIB mondial à 1 300 milliards de dollars en 2030, ce qui représente un point de PIB en plus. C'est énorme, mais on n'y est pas encore.
Pierre Péladeau est titulaire d'un master of Science et d'un Bachelor of Science en Informatique de l'Université McGill au Canada et d'un doctorat en informatique de l'Université Pierre et Marie Curie à Paris. Il a débuté sa carrière comme chercheur. Il accompagne au sein de Strategy&, l'entité conseil en stratégie de PwC France et Maghreb, les directions générales de grands groupes dans les télécommunications, les hautes technologies, l'énergie, les utilities, l'aérospace et le retail, dans leurs stratégies et transformations digitales.