Transition numérique : les défis du "dernier kilomètre"

D'ici 2025, le raccordement au réseau de la fibre optique sera considéré aussi "essentiel" que celui au réseau électrique ou celui à la distribution de l'eau. Le dernier kilomètre représente un défi majeur pour les fournisseurs d'accès Internet, les opérateurs énergétiques, et demain ceux de la domotique.

Le « dernier kilomètre », c’est ce qui sépare le réseau fibré très haut débit de la connexion des utilisateurs, entreprises comme particuliers. Il représente un défi majeur pour les fournisseurs d’accès Internet, les opérateurs énergétiques, et demain ceux de la domotique.

D’ici 2025, le raccordement au réseau de la fibre optique sera considéré aussi « essentiel » que celui au réseau électrique ou celui à la distribution de l’eau. Le gouvernement en a fait l’une des priorités du quinquennat d’Emmanuel Macron : la réduction de la fracture numérique passe par la généralisation du raccordement des utilisateurs à la fibre THD (très haut débit). Au-delà de l’effet d’annonce, cette politique répond aux enjeux d’aujourd’hui et de demain pour la digitalisation de la société française, du monde de l’entreprise aux habitations. Des enjeux qui concernent un large écosystème, entre concepteurs et architectes de systèmes d’un côté (les grands opérateurs du numérique et de la téléphonie), et de l’autre les opérateurs de déploiement – baptisés field managers chez les Anglo-saxons –, responsables de la mise en place du réseau, jusqu’au fameux « dernier kilomètre ».

Des rôles bien définis

L’histoire du déploiement de la fibre THD ressemble fort à celle de l’ADSL au début des années 2000. Lancé en France en 2009, le grand chantier de la fibre THD a déjà permis à des millions de Français – au bureau ou à la maison – de disposer d’une connexion dernière génération. Ce chantier a vu les grands opérateurs de télécoms faire leur révolution numérique en même temps que les pouvoirs publics ont fait la leur, les donneurs d’ordre – l’État et les collectivités locales – étant conscients de l’obligation de travailler main dans la main avec les concepteurs des nouveaux réseaux.

Depuis près de vingt ans, les grands noms de la téléphonie – comme Orange, Free ou Bouygues – ont ainsi recentré leurs activités sur l’architecture des systèmes digitaux et sur le « gros œuvre » de la fibre THD qui, contrairement à l’ADSL en son temps, a nécessité le déploiement d’un réseau parallèle, hors câbles en cuivre. Ils sont tous partis d’une feuille blanche et ont choisi d’externaliser le raccordement et la maintenance des « extrémités » à ces « opérateurs de déploiement », sélectionnés par appels d’offres. La demande du public étant aujourd’hui exponentielle, la coordination entre entreprises de télécom et opérateurs de déploiement est donc cruciale.

Prenons le chemin d’Igny, dans le département de l’Essonne. Ici, l’installation de la fibre THD a été conçue en 2012, les raccordements proprement dits ont quant à eux pris plusieurs mois, entre 2017 et 2018, avec la pose d’armoires de rue et la mise à disposition de connexions, quartier par quartier. "L’ensemble du réseau déployé depuis 2012 a été réalisé pour accueillir simultanément d’autres opérateurs, explique Stéphane Courtignon, directeur du Support aux opérations chez Orange Concessions et directeur général de CAPS Très Haut Débit. Ce réseau, très fiable, est intégralement réalisé en fibre optique même chez l’habitant, ce qui garantit un débit de plusieurs centaines de mégaoctets par seconde, dans les deux sens. Outre les usages domestiques (télé HD, téléchargement vidéo, jeux en ligne), il facilite le télétravail avec la possibilité de partager des fichiers très volumineux et la visio-conférence."

Stéphane Courtignon a vu juste, les deux dernières années ayant consacré l’avènement du télétravail et des visio-conférences à la maison. Durant les confinements dus à la pandémie de Covid-19, les salariés n’ont pas eu d’autres choix que d’avoir recours à leur connexion internet personnelle pour pouvoir travailler normalement. L’action des opérateurs de déploiement est donc devenue critique pour l’activité économique du pays : "Dans un contexte marqué par la crise sanitaire, notre métier a été considéré comme essentiel ce qui nous a permis de reprendre très vite l'installation et l’assistance après le confinement", remarque Gianbeppi Fortis, PDG de Solutions30, l’un des experts européens du field management. Pour ce qui est de la fibre, 40 millions de locaux en France sont susceptibles d’être équipés. Dix millions disposent aujourd’hui de la fibre, à raison de 3 millions de raccordements par an... Le déploiement va prendre encore de longues années, ensuite il y aura l’assistance des utilisateurs. » Solutions30 dispose d’un réseau de techniciens lui permettant de coordonner 60000 interventions quotidiennes en Europe – dont plusieurs milliers en France –, dans le déploiement de la fibre optique, mais aussi pour connecter différents types d’équipements tels que des compteurs électriques communicants, des caméras de vidéo-surveillance et désormais des bornes de recharge pour véhicules électriques. Les applications sont infinies, le marché des opérateurs de déploiement reste donc à fort potentiel et mobilise plusieurs corps de métiers comme le révèle Pôle Emploi : concepteur des infrastructures dans les bâtiments, conducteurs de travaux, tireurs de câbles et soudeurs, techniciens de raccordement, techniciens d’intervention… Au total, les opérateurs de déploiement représenteront 27000 emplois à pourvoir d’ici 2022. Sans eux, nous ne pourrions pas « consommer » Internet comme nous le faisons aujourd’hui.

Maintenance du réseau, le défi de demain

Et le déploiement technique de la fibre n’est pas le seul enjeu. La maintenance du réseau et l’analyse des données de transfert doivent ensuite être permanents, pour assurer les utilisateurs du bon fonctionnement des connexions. À côté des généralistes du field management, des acteurs se sont spécialisés – à l’instar de Sogetrel, dans les télécoms et la sûreté IP. Dans un cas comme dans l’autre, elles doivent prendre en compte de multiples paramètres techniques et donc faire appel à des équipes expertes : "L’arborescence allant des nœuds les plus groupés aux prises les plus individuelles, les enjeux de maintenance sont plus importants en amont qu’en aval de la chaîne, détaille André Hochart, directeur commercial territorial chez Sogetrel. Il s’agit donc d’être en capacité d’entretenir l’ensemble de ces infrastructures composées de câbles en fibres optiques, de boitiers optiques, dans les divers locaux, les équipements électroniques actifs, les diverses sources d’alimentation électrique, les tableaux de distribution, etc. […] La maintenance requiert des métiers spécifiques, chaque infrastructure appelle différentes compétences et niveaux d’expertise."

La complémentarité des entreprises de télécom et des opérateurs de déploiement reste essentielle au bon fonctionnement de l’écosystème de la fibre à très haut débit. En bout de chaîne, cette complémentarité est surtout très utile aux collectivités locales et au panel de services proposés à leurs administrés. Dans les Yvelines par exemple, l’entreprise Seine-et-Yvelines Numérique (SYN) a mis six ans à raccorder foyers et entreprises du département. En avril dernier, à la fin du chantier, les collectivités locales ont pu sabrer le champagne, et regardent maintenant vers l’avenir. "Nous travaillons à présent sur toutes les applications possibles du très haut débit pour proposer des services publics innovants et nécessaires au développement économique et social du territoire", explique Laurent Rochette, directeur général de Seine-et-Yvelines Numérique. L’éventail des possibilités est large, de la vidéo protection à l’éducation en distanciel, ou encore à l’e-santé mise en valeur par la crise Covid notamment, en passant par l’installation de bornes de recharge pour véhicules électriques et l’énergie en général. Et ce, en France métropolitaine comme dans les territoires ultramarins. Solutions 30, par exemple, vient de signer deux contrats avec EDF et Orange dans les Antilles et en Guyane : "Ces nouveaux contrats démontrent la capacité de notre groupe à bâtir des relations durables et solides avec de grands opérateurs de premier plan, dans une logique de partenariat, explique João Martinho, directeur général en charge de la Performance. Nous étions présents en Outre-mer avec notre activité télécoms. Nous y adressons désormais le secteur de l’énergie dont le potentiel est considérable."

Douze ans après le début des grandes manœuvres, la France est plutôt bien lotie, en termes de déploiement de la fibre THD, au bénéfice des grandes entreprises comme des PME et des particuliers. Selon l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), cette « progression record de déploiement de la fibre optique » depuis 2019 a été largement portée par la politique gouvernementale favorisant son développement , relayée, donc, par l’expertise des opérateurs et de leurs partenaires pour concrétiser les investissements, faisant de la France un pays en pointe au niveau européen. Alors que nos voisins, en particulier l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas, la Grande Bretagne et bientôt l’Allemagne, font progresser leurs propres projets de déploiement de réseaux très haut débit, il y a fort à parier que les opérateurs locaux sauront tirer profit de l’expertise acquise par nos champions. Les acteurs du dernier kilomètre qui sauront exporter leur savoir-faire ont de belles perspectives devant eux.