La création d’entreprise : un outil pour lutter contre le chômage ?

Dans un contexte européen de hausse du chômage en particulier chez les jeunes et face à la pauvreté, la création de micro-entreprises apparait comme une solution et un correctif aux imperfections du marché du travail.

D’après les dernières prévisions de l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques (OFCE) le taux de chômage pourrait atteindre 11% de la population active fin 2013. Il s’agirait d’un niveau jamais atteint depuis le pic de 10,8% au premier semestre 1997. Encore une fois,  ce sont les jeunes et les seniors, qui sont les plus touchés. En effet, le recul de l'âge légal de la retraite a fait augmenter le nombre de demandeurs d'emploi de plus de 50 ans de près de 16% sur les douze derniers mois. Les moins de 25 ans sont également très nombreux, avec un taux en hausse de près de 9% sur un an. Eric Heyer, économiste à l’OFCE précise aussi que « plus on reste longtemps au chômage, plus la probabilité de retrouver un emploi s’affaiblit. C’est par ce biais que la pauvreté arrive, car généralement les chômeurs de longue durée n’ont plus accès à l’indemnisation », analyse-t-il.
De plus une récente étude de l’Insee dévoile un constat accablant : « Plus d’un Français sur trois a connu un épisode de pauvreté d’au moins une année entre 2004 et 2008 (soit 16 millions de personnes âgées de plus de 16 ans) ». On notera également que dans « 41% des cas, les personnes vivent la pauvreté de manière transitoire, souvent parce qu’ils ont perdu leur emploi ».

Paradoxalement : un nombre de création d’entreprises en hausse

Curieusement, parallèlement à cette montée en flèche du chômage et de la pauvreté, la création d’entreprises se porte assez bien. Elle n’aura même jamais été aussi prolifique ces dernières années dans un pays comme la France, avec d’après les derniers chiffres de l’Insee près de 550 000 nouvelles créations en 2012. Une partie non négligeable de ces créations s’est faite grâce au statut de l’auto-entrepreneur (environ 307 480 créations en 2012) créé dans le cadre de la loi de modernisation de l’économie en 2008. Des réseaux d’accompagnement à la création tels que l’Adie sont très actifs auprès des auto-entrepreneurs. L’Adie est une association reconnue d’utilité publique qui aide des personnes exclues du marché du travail et du système bancaire à créer leur entreprise et donc leur propre emploi grâce au microcrédit. Cette institution fournit plus de 10 000 microcrédits par an à des créateurs précarisés de micro-entreprises.

La création d’entreprises : un outil pour lutter contre le chômage ?

Cette double actualité laisse penser que, peut-être, l’une des solutions serait de développer la création de micro-entreprises par les chômeurs et plus généralement par toutes personnes en situation de précarité. Or, il faut bien constater que nous ne savons pas grand-chose, sur l’analyse de la création, du développement et de la pérennité des micro-entreprises développées par ce type de personnes. Mais également les stratégies mises en œuvre par les micro-entrepreneurs qui souhaitent avoir une vie professionnelle dans un marché du travail où ils ne trouvent pas nécessairement de place en tant que salariés.
C’est dans ce contexte que la chaire Banques Populaires en microfinance d’Audencia Nantes a mené deux études complémentaires : une étude quantitative  sur la création et la pérennité des entreprises créées par des micro-entrepreneurs pauvres et/ou précarisés puis une étude qualitative ayant pour objectifs d’explorer les motivations et freins à recourir au microcrédit et d’analyser l’impact de la création de la micro-entreprise sur l’intégration sociale, professionnelle et bancaire des micro-entrepreneurs.

Une priorité, créer son propre emploi

En premier lieu, les résultats de l’enquête quantitative confirment que la création d’entreprise s’inscrit dans une dynamique de création d’emploi : créer une entreprise, c’est d’abord créer son emploi (75% des chômeurs créateurs l’indiquent comme prioritaire).Il est important de noter que le souhait d’indépendance constitue une motivation universelle à la création d’entreprise, 62% des créateurs d’entreprises (précarisés ou non) l’évoquent comme étant la principale motivation lors de la création. On notera également que les affirmations du goût d’entreprendre, la saisie d’une opportunité, la création pour exploiter une idée nouvelle ou se positionner sur un marché nouveau, indicateurs qui traduisent la culture entrepreneuriale, sont moins présentes chez les micro-créateurs précarisés que dans le reste de la population.

Une typologie qui reflète les spécificités et difficultés du marché du travail français

Les carrières des micro-entrepreneurs rencontrés dans le cadre de l’enquête qualitative sont marquées par les phénomènes d’exclusion du marché de l’emploi. De grandes différences apparaissent, tant en ce qui concerne l’âge des personnes interviewés, que leur secteur d’activité, leur niveau académique ou encore leur profil sociologique. Pour autant, à l’analyse, une typologie apparait relativement clairement, avec des caractéristiques socioprofessionnelles et des comportements assez homogènes au sein de chaque profil. C’est visiblement le rapport à l’emploi et au travail qui différencie les comportements et les perceptions. Les résultats des entretiens montrent que se sont les contours et les faiblesses du marché du travail en France qui sont mises en évidence au travers des motivations à la création d’entreprises par ces micro-entrepreneurs : une faible intégration des jeunes dans l’emploi, une exclusion des seniors du monde de l’entreprise, une discrimination à l’embauche des minorités, une difficulté des entreprises à intégrer des profils atypiques qui ne répondent pas aux standards du recrutement.
En toile de fond, apparaissant dans la motivation à la création d’entreprises les inquiétudes des micro-entrepreneurs face à un marché du travail qui ne leur offre pas des perspectives enthousiasmantes.

Un bilan globalement bénéfique de la création pour les micro-entrepreneurs

Les résultats des entretiens qualitatifs permettent de dresser un bilan globalement positif de la création d’entreprises pour les micro-entrepreneurs. Sur le plan de l’insertion professionnelle, la consolidation du lien à l’emploi est le plus évident. En effet, la création d’une entreprise apprend à : clarifier ses objectifs professionnels, à devenir plus autonome et à garder un pied dans l’emploi. D’un point de vue personnel et social la création d’entreprise permet d’avoir une meilleure estime de soi, moteur essentiel d’intégration professionnelle et de maintenir ou de reconstruire une vie sociale.
L’analyse des situations de pérennisation de l’activité laisse entrevoir des éléments clés facteurs de succès : la motivation, le relationnel ou encore le réalisme du projet économique.

L’évolution et la pérennité des entreprises dépendent du moyen et du montant de financement à la création

L’étude de la pérennité de ces micro-entreprises montre que le taux de pérennité dépend du moyen de financement mais également des montants investis à la création.  En effet, il est plus important si les sources de financement au démarrage viennent d’emprunts bancaires (61%), plutôt que de subventions ou primes (58%) ou des ressources personnelles (52%). Il faut noter que l’obtention d’un prêt bancaire améliore fortement les chances de survie de toutes les entreprises, notamment quand il est associé à un accompagnement.
A l’inverse, lorsque le financement du projet au démarrage se fait à l’aide des ressources personnelles, le taux de pérennité est plus faible pour les micro-entrepreneurs précarisés (52%) que pour l’ensemble des créateurs (62%).
D’autre part, les résultats d’étude montrent que le taux de pérennité de l’entreprise à trois ans varie selon les montants investis à la création. En effet, le taux est de 62% avec un investissement initial de 2000 à moins de 8000 euros contre 66% avec un investissement de 8000 à moins de 16 000 euros.

Dans un contexte européen de hausse du chômage en particulier chez les jeunes et face à la pauvreté, la création de micro-entreprises apparait comme une solution et un correctif aux imperfections du marché du travail. Sur fond de flambée du chômage, la France entend développer le microcrédit, considéré comme un levier pour la création d’entreprise et la réinsertion, en associant davantage les banques et les particuliers à son financement.
Dans la situation économiquement très tendue que connaissent la France et l’Europe d’aujourd’hui l’étude d’Audencia Nantes apporte un éclairage nouveau sur la création d’entreprises par des personnes vulnérables.