OPA et fusions-acquisitions en France : l’Etat doit-il intervenir ?

Alors que la tentative du Gouvernement de garder sur le territoire le fleuron de la sécurité et du nucléaire français, Alstom, a fait couler beaucoup d’encre, la nécessité d’une intervention de l’État dans ce type de rachat se pose. Entre le Club Med, SFR ou encore PSA et Renault, échecs et succès sèment le doute.

Le cas Alstom : le Gouvernement a vu juste

C’est officiel depuis le 21 juin dernier, le conseil d’administration d’Alstom a choisi l’offre de reprise de General Electric d’un montant de 12,35 milliards d’euros. Un rachat pour lequel le Gouvernement est monté en première ligne avec un seul but en tête : garder en France ce Fleuron national de la sécurité et des technologies nucléaires. Pilotées depuis l’Élysée, les discussions entre General Electric et Alstom ont finalement menés à la création de trois joint-ventures (JV) parmi lesquelles une concernant le nucléaire et les turbines à vapeur en France, dont l’État sera actionnaire. Une « politique interventionniste » qui a fait parler d’elle dans la presse nationale et qui pose une question de taille : L’Etat a-t-il eu raison d’intervenir ?
Pour le PDG de Siemens Joe Kaeser, candidat malheureux à ce rachat, « avec le Gouvernement français comme actionnaire majeur, il va être difficile (pour GE) de mettre en place une productivité à l’américaine et des mesures de restructuration ». Des déclarations qui relèveraient plus de la réaction d’orgueil que d’une véritable analyse. En effet, si le Gouvernement français ne brille généralement pas dans ses relations avec les entreprises, cette intervention auprès d’Alstom a pour le moment tout d’une réussite. François Hollande et Arnaud Montebourg, particulièrement impliqués dans le dossier, ont imposé des coentreprises 50/50 entre General Electric et Alstom qui permettront notamment à la branche Transport de l’entreprise de se diversifier et de prendre plus d’envergure. « Ces coentreprises permettront à Alstom Transport d’être adossée à un groupe, ce qui est essentiel pour les grands contrats qui s’accompagnent de garanties », explique un expert de l’industrie ferroviaire française à Usine Nouvelle.
Outre l’aspect purement économique, l’État a surtout réussi à obtenir des garanties du géant américain sur l’emploi et le maintien de centres de décision dans l’Hexagone. De quoi rassurer les employés d’Alstom quant à l’éventualité de plans sociaux et surtout, sauvegarder la souveraineté de la France dans les turbines pour le nucléaire. Une perspective pas si négligeable que cela alors que certains groupes, jusqu’ici français, sont eux aussi menacés d’un rachat étranger et ne diraient à priori pas non à une intervention gouvernementale, ne serait-ce que par le biais d’un de ses bras armés.

OPA hostile : le Club Med bientôt italien ?

C’est par exemple le cas du Club Med. Le célèbre groupe touristique est visé par deux offres publiques d’achat : une amicale du consortium franco-chinois Ardian-Fosun, déposée en mai 2013 et soutenue par le PDG de l’entreprise Henri Giscard d’Estaing ainsi que le management du groupe, et une hostile déposée fin juin par l’Italien Andrea Bonomi. Si l’offre du conglomérat chinois Fosun et du fonds français Ardian permettrait au Club Med de rester français, elle propose seulement 17,50 euros par action, contre 21 euros pour Andrea Bonomi. Une différence de prix qui pourrait faire pencher la balance en faveur de l’Italien, et ce malgré le soutien apporté par le management de l’entreprise au tandem franco-chinois. En parallèle de la perte d’un symbole du tourisme pour la France, le rachat du Club Med par Andrea Bonomi aurait de nombreuses conséquences indésirables pour l’avenir du groupe. L’Italien, à la réputation de raideur, n’est pas connu pour ses plans sur le long terme lorsqu’il rachète une entreprise.
Face à la montée en gamme et aux investissements proposés par Ardian-Fosun, Bonomi propose de mettre fin au « all inclusive », ces forfaits tout compris qui ont fait la réputation du Club. Plus inquiétant, il souhaiterait réduire de moitié les frais français du groupe, mettant ainsi 650 salariés dans l’incertitude la plus totale concernant leur avenir dans l’entreprise. La section Force Ouvrière de l’entreprise, syndicat majoritaire, s’inquiétait le 26 juin dernier « d’une restructuration qui n’aurait d’autre objectif que la recherche de l’amélioration de la profitabilité des actionnaires, qu’ils soient cessionnaires ou acheteurs ». Andrea Bonomi est en effet connu pour son intérêt plus marqué pour les dividendes que pour la croissance générale d’une entreprise. Une intervention politique pourrait cependant faire avancer les choses, notamment par le biais de la Caisse des Dépôts qui « réfléchirait à un montage pour en préserver l’ancrage tricolore » et empêcher le rachat du Club par Bonomi. Bien que cette alternative ait le soutien du ministère des Affaires étrangères et du PDG du Club Med, rien n’est encore acté et la Caisse des dépôts détient toujours l’avenir du Club Med entre ses mains.

Erreurs de jugement et échecs : l’État n’est pas le seul facteur de réussite

Si le doute plane sur une intervention ou non de l’Etat dans l’OPA du Club Med, c’est bel et bien parce qu’il arrive parfois que le Gouvernement loupe le coche. Les exemples sont nombreux. Au premier trimestre de cette année, SFR cherchait un repreneur et alors qu’Arnaud Montebourg soutenait mordicus l’offre de Bouygues Telecom, c’est finalement le câblo-opérateur Numericable qui a été choisi par Vivendi. Une décision allant à l’encontre des désirs du Gouvernement qui semble pourtant porter ses fruits aujourd’hui alors qu’un véritable futur géant des télécoms est en train de se créer. Si l’Autorité de la concurrence n’a toujours pas rendu son verdict, il n’est pas risqué de dire que le Gouvernement a perdu une occasion de se taire. Les interventions gouvernementales dans l’Industrie automobile ne sont pas plus brillantes. Alors que certains voient en la présence du Gouvernement français dans le capital de PSA un frein au développement de l’entreprise, son actionnariat chez Renault n’a pas empêché la restructuration du géant français de l’Industrie automobile.

Est-ce pour autant uniquement la faute de l’État ?

La compétitivité d’une entreprise dépend avant tout d’un ensemble de facteurs que l’État ne peut porter à lui seul sur le dos. C’est l’action convergente de tous les acteurs économiques d’une entreprise qui peuvent permettre sa pérennité dans la croissance. Reste qu’à l’heure où l’économie française commence à peine à se relever, tenter de garder un peu de souveraineté sur les entreprises qui marchent ne semble pas une si mauvaise idée. Et comme le dit si bien l’adage, c’est l’intention qui compte, non ?