Instant payment, le remède (presque) miracle pour sa trésorerie

Instant payment, le remède (presque) miracle pour sa trésorerie La Banque centrale européenne lancera en novembre prochain un service de paiement instantané. Une petite révolution pour les responsables financiers.

BPCE a tiré la première. Début juillet, la banque française a sorti son artillerie spéciale instant payment, ou paiement instantané. Crédit Mutuel Arkéa, à l'heure où nous publions cet article, a prévu de dégainer la sienne cet été et BNP Paribas en novembre prochain. Concrètement, depuis le 10 juillet, les clients de Caisse d'Epargne peuvent être indemnisés le même jour que leur déclaration de sinistre (contre 3 jours auparavant) dans le cadre de contrats multimédias, moyens de paiement ou de garantie d'achats. Et le paiement entre particuliers en temps réel sera disponible en septembre prochain pour les clients particuliers de BPCE.

Mais l'instant payment n'est pas réservé aux seuls particuliers. D'après une enquête menée par le cabinet spécialisé dans les problématiques de financement et de trésorerie Redbridge, 53% des responsables financiers de groupes de distribution et industriels interrogés pensent adopter prochainement l'instant payment, synonyme d'une meilleure gestion de leur trésorerie.

"Avec l'instant payment, le contrôle financier et prévisionnel sera simplifié. Cela libèrera beaucoup de temps pour les trésoriers"

 

Ainsi, une entreprise n'aura plus à attendre plusieurs jours le virement d'un client ou l'encaissement d'un fournisseur, tous ces flux seront réalisés en temps réel. "Pour une entreprise, la fenêtre de disponibilité du service s'agrandit considérablement. Aujourd'hui, elle peut seulement recevoir ou envoyer un paiement pendant la semaine. Avec l'instant payment, c'est du 24/24h et 7/7j", confirme Isabelle Olivier, responsable des initiatives titres et paiement EMEA chez Swift. "C'est aussi un outil de prédictibilité. Aujourd'hui, les entreprises essaient d'estimer quel jour elles recevront leurs paiements ou quel jour elles doivent envoyer leurs paiements pour une date valeur concordée, mais avec les jours fériés, il y a souvent une incertitude", ajoute-t-elle.

Une situation confirmée par Redbridge. "Nous discutons régulièrement avec les trésoriers de grandes entreprises et un des problèmes qui revient est la prévision de trésorerie. Selon eux, il n'existe pas beaucoup d'outils sur le marché qui permettent de résoudre ce problème", abonde Manon Balette-Pape, associate director. "Avec l'instant payment, le contrôle financier et prévisionnel sera simplifié. Cela libérera beaucoup de temps pour les trésoriers", complète-t-elle. Le paiement des salaires pourra aussi être effectué le même jour chaque mois. Un avantage non négligeable sachant que la masse salariale représente une grande part des charges d'une entreprise (elle peut aller jusqu'à 80%). "Si une société s'engage à verser les salaires le 25 du mois, même si ça tombe un dimanche, les salariés recevront leur paie. Et l'entreprise pourra anticiper cette charge", insiste Isabelle Olivier.

De l'affacturage instantané au prélèvement instantané

Autre cas d'usage possible avec l'instant payment : l'affacturage. Cette solution de financement consiste à céder ses créances à un organisme financier (le factor). En échange de cette cession, l'organisme verse à l'entreprise une partie du montant des factures cédées. En ajoutant une brique de paiement instantané, le montant versé pourra être perçu par l'entreprise immédiatement contre en moyenne 24 à 48h. "Supprimer ce délai de 24h peut faire la différence pour la gestion quotidienne d'une entreprise, surtout si cela concerne des gros montants", estime Manon Balette-Pape. BPCE, via sa filiale Natixis, a d'ailleurs prévu de lancer une offre d'affacturage basée sur l'instant payment en septembre 2018.

"Un acteur comme EDF pourrait par exemple obtenir la disponibilité immédiate des fonds de ses clients"

Les prélèvements en instant payment amélioreront aussi la trésorerie des entreprises. Le Royaume-Uni teste actuellement une solution de ce type baptisée Request to pay. Même principe que pour le paiement instantané, le prélèvement est effectif en 10 secondes. "Un acteur comme EDF ou Orange pourrait par exemple obtenir la disponibilité immédiate des fonds de ses clients. Ce type de solution n'arrivera que dans quelques années en France. Les entreprises se mettront d'abord au virement instantané", précise Manon Balette-pape.

Last but not least, l'instant payment serait une source d'économies pour les entreprises. En effet, plus besoin de passer par Visa et Mastercard puisque les paiements sont effectués directement de compte à compte. Les commissions d'interchange des deux géants américains sont comprises entre 0,20 et 1,9% en France. "Il y a un enjeu économique avec l'instant payment car on utilise un système plus simple et plus intégré. Ce sera donc moins coûteux pour nous", confirme Marc Verspyck, directeur général adjoint économie et finances d'Air France, qui mettra en place l'instant payment sur son site en 2019 avec BPCE. La banque française n'a pas précisé le montant qu'elle facturera à Air France pour chaque paiement instantané.

Toujours des frais bancaires

"Aucune banque ne souhaite dévoiler son business model pour le moment. Elles ne pourront pas facturer au même niveau que la carte sinon l'instant payment ne prendra pas. Ce sera sûrement un coût similaire au virement (quelques centimes d'euros, ndlr)", imagine Manon Balette-Pape. "Les entreprises s'attendent à ce que ce soit gratuit ou quasi gratuit, alors que cela représente un gros investissement pour les banques", souligne la dirigeante de Swift. "Que l'instant payment soit gratuit pour les commerçants est probablement illusoire. Mais il est encore trop tôt pour avoir des certitudes car les banques ne sont pas toutes prêtes à l'instant payment", ajoute-t-elle. Au Royaume-Uni le prix d'une  transaction instantanée s'approche d'une commission de virement, qui s'élève à 0,03 livre sterling.

"Croire que l'instant payment soit gratuit pour les commerçants est illusoire"

Mais attention. L'instant payment ne sera pas la recette magique pour régler tous les problèmes de trésorerie des entreprises. Première barrière : le plafond des paiements. Pour l'instant, un paiement est limité à 15 000 euros en Europe, à l'exception du Royaume-Uni, des Pays-Bas et probablement bientôt de la Belgique (la future plateforme de l'Eurosystème qui sortira fin novembre 2018 n'aura pas cette limite). Autre problème que ne résoudra l'instant payment, les délais de paiement. "Il y aura toujours des entreprises qui paieront tardivement, l'instant payment ne changera pas leur attitude", regrette Jérôme Mandrillon, membre de l'observatoire des délais de paiement. Ainsi, en 2016, un tiers des entreprises n'ont pas payé dans les délais. Et la proportion des grands retards (plus de deux mois) a augmenté, surtout de la part des grandes entreprises.