Blockchain et entreprises : pourquoi la mayonnaise tarde à monter ?

Il n'est pas aisé de traiter un sujet aussi complexe que la blockchain : passer de la théorie à la pratique représente une étape clé. Et les modes de pensée traditionnels sont complètement remis en cause par la notion de "tiers de confiance".

Même si la blockchain est une technologie encore assez jeune, elle a bénéficié d'une immense popularité ces dernières années en étant associée à l'essor des cryptomonnaies. Pour autant, blockchain ne rime pas toujours avec cryptomonnaies : largement adoptée dans les mondes médicaux et bancaires, d'autres secteurs pourraient utiliser cette technologie et voir des améliorations concrètes pour leur organisation. Pour autant, la blockchain étant apparue il y a 10 ans, comment expliquer que les entreprises tardent encore à s’emparer de cette technologie ? Quelles résistances les entreprises doivent-elles encore dépasser ?

Apprendre à investir dans la blockchain pour mieux cerner ses enjeux

Il faut également distinguer et opposer deux types de blockchains : publiques et privées. Alors que l’accès à une blockchain publique ne nécessite aucune condition d’admission, sa version privée impose une sélection des membres du réseau avec un système centralisé. Si les entreprises souhaitent intégrer à leurs processus des solutions blockchains, elles devront davantage se tourner vers les blockchains privées. Le processus décisionnel y est centralisé et contient peu de nœuds puisque les participants sont sélectionnés, ce qui permet à la technologie d’être bien plus rapide. En France, un grand groupe de luxe français s’est emparé de cette technologie en tant que solution de traçabilité, pour créer des preuves d’authenticité et ainsi lutter contre les contrefaçons.

Toutefois, pour être capable de s’approprier pleinement la blockchain, son utilisation et ses enjeux, les entreprises se doivent d’opérer un changement de paradigme en considérant les aspects technologiques, culturels, juridiques et de gouvernance.

Il n’est pas aisé de traiter un sujet aussi complexe que la blockchain : passer de la théorie à la pratique représente une étape clé, et les modes de pensée traditionnels sont complètement remis en cause par ce que l’on appelle la notion du rôle de "tiers de confiance". La blockchain créé un nouveau modèle de gouvernance décentralisé et sans intermédiaire, qui oblige les acteurs à établir des consensus entre eux. Les intermédiaires historiques que l’on connaît (banquiers, médecins, comptables…) remplissaient très bien ce rôle, mais la blockchain vient les bouleverser : toutes les transactions sont regroupées dans des blocs, et doivent être validées par les nœuds du réseau. Les actions de chacun sont enregistrées permettant une coordination à grande échelle sans organe central d’autorité. Il est nécessaire de revoir la stratégie de l’entreprise, dont les objectifs seront également impactés par ce nouveau mode de prise de décisions.

Du côté technologique, la blockchain va impliquer des nouveaux enjeux pour les entreprises qui l’utilisent. La blockchain nécessite de choisir une souche technologique appropriée : il s’agit d’opter pour les bons outils qui suivront le cycle de vie de la blockchain, ainsi que les standards que ces outils devront respecter. Il faut également gérer ce qui ne sera pas inclus dans la blockchain, et définir des standards communs pour la gestion des identités, la synchronisation des données et des documents. L’environnement de développement des outils devra par ailleurs être sécurisé pour permettre le déploiement des smart contracts, irrévocables une fois déployés dans la blockchain. Pour ce faire, c’est un véritable écosystème technologique homogène autour de la blockchain qui doit être intégré dans les entreprises : il est possible de faire appel à des acteurs externes spécialisés dans les environnements de développement, ou encore dans l’administration des blockchains, des audits du code, de l’administration et la maîtrise des nœuds. Une pratique qui pourrait toutefois mettre en danger toute la confiance que l’entreprise place dans la blockchain, en étant dépendant d’acteurs externes.

Enfin, les enjeux sont également culturels. Il peut être difficile de comprendre quels sont les bénéfices concrets de la blockchain : accepter un système sûr et sans contrôle qui provoque la disparition des tiers de confiance induit un temps d’adaptation conséquent pour les organisations. En ce qui concerne la gouvernance, les acteurs de la blockchain doivent se mettre d’accord sur un fonctionnement collaboratif avec des processus simplifiés, pour palier la disparition de la vérification des données et des systèmes de sécurité traditionnels. Des règles doivent être définies pour les prises de décisions technologiques, ainsi que pour déterminer quelles sont les données qui ne doivent pas être consultables par les autres utilisateurs. Enfin, juridiquement, l’absence de tiers de confiance oblige les entreprises à créer des mécanismes de régulation et de résolution de conflits, avec notamment la possibilité de désigner un tiers externe.

Des règles spécifiques à appliquer depuis l’arrivée du RGPD

Avec l’entrée en vigueur du RGPD le 25 mai 2018, les entreprises ont été responsabilisées dans la manière de traiter leurs données. Si tous les projets blockchain n’induisent pas nécessairement des données personnelles, une blockchain peut contenir des données sensibles relatives à l’identifiant des participants pour assurer l’identification de l’émetteur et le destinataire d’une transaction, et les données complémentaires inscrites dans les transactions qui peuvent être relatives à des personnes physiques autres que les participants.

Pour les entreprises, il est indispensable d’assurer la confidentialité de la blockchain lorsqu’elle est privée, et notamment dans la gestion et le stockage des clés secrètes de chiffrement de la blockchain. Certaines entreprises pourront nommer un Data Private Officer pour s’assurer que l’entreprise est en règle sur l’utilisation des données personnelles, qu’aucune donnée personnelle ne peut être stockée en clair sur la blockchain et pour vérifier sous quel format les données personnelles seront stockées.

Toutes ces restrictions, à plus ou moins grande échelle dans l’entreprise, sont à considérer par les organisations pour mettre en place, utiliser et comprendre la blockchain. Les avantages en termes de sécurisation des transactions, de réduction des coûts, et de transparence en font un outil indispensable. Malgré tout, Gartner prévoit encore 5 à 10 ans avant que la blockchain ait un impact transformationnel sur tous les secteurs industriels.