L'IA pour surveiller les marchés, l'investissement payant de l'AMF

L'IA pour surveiller les marchés, l'investissement payant de l'AMF L'Autorité des marchés financiers a notamment recours au deep learning et au machine learning pour détecter les opérations suspectes et les tentatives d'escroquerie.

En temps de crise, les marchés financiers sont souvent très agités. Celle liée au Covid-19 ne déroge pas à la règle. Pour surveiller au mieux ces secousses, l'Autorité des marchés financiers (AMF) peut s'appuyer sur sa plateforme de surveillance des marchés. L'un des principales missions du gendarme français consiste à analyser toutes les opérations sur les instruments financiers (sur lesquels l'AMF a la compétence) pour détecter des opérations suspectes, les diffusions de fausses informations et proposer ainsi des ouvertures d'enquête. Développée en 2016 et opérationnelle depuis mi-2017, la plateforme de surveillance de marchés de l'autorité française permet de collecter un tas de données réglementaires (reporting des transactions, référentiel d'instruments, reporting de position, données d'ordres…) au niveau national et européen, ainsi que des flux de données externes comme les fils d'information. En 2019, la plateforme a absorbé 24 milliards de lignes de données et plus de 100 milliards de lignes seront intégrées en 2020, d'après les estimations de l'AMF.  

"Le clustering permet dans certains cas de détecter des investisseurs qui sortent de l'ordinaire"

Baptisée ICY (pour "I see why", "je vois pourquoi", en français), cette plateforme a été développée en interne par une équipe dédiée. Une première pour un programme informatique de cette ampleur. "L'AMF a une longue expérience sur les aspects fonctionnels autour de la détection d'abus de marché. Dès les années 1990, nous avons développé une détection automatisée, qui a progressivement évolué vers des alertes par scénario", raconte Alexandra Givry, directrice de la division surveillance des marchés. "Nous avons procédé à des POC (proof of concept, ndlr) avec des fournisseurs et en avons conclu que la qualité des alertes développées en interne était globalement supérieure", ajoute-t-elle. Concevoir tout en interne s'est avéré aussi moins coûteux pour l'AMF. Sans oublier la souplesse de paramétrage dans un univers qui bouge très vite. 

Moitié moins de faux positifs

En 2019, l'autorité française a mis en production ses premières applications d'intelligence artificielle. Des algorithmes, qui tournent sur la plateforme soit à des horaires définis soit en fonction de la réception des flux, détectent les anomalies et abus de marché et enclenchent des alertes. Celles-ci sont adressées à des analystes qui creusent le problème. Pour leur simplifier la tâche, ils ont accès à un outil de business intelligence qui permet de naviguer dans une multitude de données, comme par exemple l'historique de transactions d'un investisseur considéré comme suspect par leurs alertes.

Grâce à l'IA, l'AMF a aussi pu réduire le nombre de faux positifs (quand une anomalie de marché remontée par une alerte n'en est finalement pas une, après analyse). Pour ce faire, elle a ajouté une couche d'algorithmes de clustering (une méthode qui partitionne les données en sous-groupes), ce qui permet de filtrer davantage et de réduire le nombre d'alertes. "Le clustering permet dans certains cas de détecter des investisseurs qui sortent de l'ordinaire, de détecter des cas potentiellement suspects qui seraient passés sous les seuils si on était resté sur des alertes traditionnelles", se félicite Alexandra Givry. Au total, le nombre d'alertes générées par ce système a été divisé par deux. 

"Nous voulons élargir l'exploitation systématisée des données à tous les métiers de l'AMF"

 

En dehors de la surveillance des marchés, l'AMF utilise ses technologies d'IA pour la prévention et la détection des escroqueries. Depuis cette année, elle utilise le NLP (traitement du langage naturel) pour détecter les sites Internet frauduleux, qui lui permettent ensuite d'alimenter ses listes noires et alerter le public. Même principe que pour les exemples précédents : la machine alerte si un site est potentiellement dangereux, un humain vérifie ensuite ladite alerte. "Grâce au deep learning, notre outil va prendre en compte ce que le spécialiste a rectifié et apprendre", souligne Alexandra Givry.   

L'AMF continue d'explorer d'autres possibilités d'IA appliquée à la surveillance des marchés, comme la reconnaissance d'images pour détecter des configurations suspectes. Quand l'AMF analyse des marchés, ses analystes vont consulter les données sur leurs outils de business intelligence, comme expliqué plus tôt. Sur leurs écrans, s'affichent des listes de données (transactions, ordres…) et des visualisations graphiques comme le cours d'un titre ou un carnet d'ordres (achat en vert, vente en rouge par exemple). Si on montre à la machine des graphiques représentant des carnets d'ordre, elle finira par apprendre leur signification. Une application utile dans les manipulations par exemple, c'est-à-dire quand on positionne des couches d'ordres sur un carnet pour donner l'impression que la demande est forte et faire monter le prix. C'est un schéma très visuel sur un graphique, que la machine peut détecter. 

Alexandra Givry espère par la suite sortir l'IA de son périmètre d'action. "Nous voulons élargir l'exploitation systématisée des données, notamment via l'intelligence artificielle, à tous les métiers de l'AMF, dans la supervision de la gestion d'actifs par exemple", illustre la dirigeante. En attendant, ses algorithmes continuent de tourner activement pendant le reconfinement. "Nous espérons que cela se passera aussi bien que pendant le premier confinement", conclut-elle, confiante.