Bytedance : le lancement stratégique du paiement mobile passé presque inaperçu

Le paiement va permettre à Douyin de devenir une super app, en donnant de la cohérence et en apportant de la fluidité d'expérience à son écosystème de services variés.

Les géants historiques de la tech chinoise sont en émoi. Bytedance vient de lancer sa brique de paiement pour la version de Tiktok en Chine, Douyin Pay, en reprenant une tactique bien connue des pionniers du paiement mobile : l'émission des hongbao. De quoi déstabiliser le duopole en place - Alipay et Wechat Pay - qui se partagent aujourd'hui un marché de plus de 850 millions d'utilisateurs et près de 100 trillions d'euros en 2020.

Créée en 2012, Bytedance est une start-up spécialisée dans les nouvelles technologies qui détient notamment une plateforme de contenus entièrement gérée par l'IA, Toutiao, et Tiktok, l'appli reine des millenials en Occident. Si Bytedance fait tant parler d'elle, c'est d’une part pour sa gouvernance : elle est indépendante des Gafa chinois, les BATX, et non cotée. Mais surtout, c'est la première tech company chinoise a vraiment réussir son exportation à l’international - n'en déplaise à Donald Trump.

Les enveloppes rouges pour propulser sa brique de paiement

Bytedance a finalement de quoi faire trembler la scène tech mondiale. Certains la voient même comme le B des BATX, au grand dam de Baidu. Avec près de 200 millions d'utilisateurs actifs mensuels sur Tiktok en Europe et aux US et 600 millions sur Douyin en Chine (en août 2020), l'arrivée du paiement mobile sur ces applications pourrait marquer un tournant. En effet, c’est le pari gagnant qu’a fait Tencent, en 2013, lorsqu’il a lancé WeChat Pay. Tencent a réussi son coup de maître début 2015, en permettant l’émission d’enveloppes rouges digitales directement depuis son app... à l’occasion du Nouvel An Chinois. En Chine, c’est une tradition pluri-millénaire, très ancrée dans la culture, qui consiste à s’offrir de l’argent dans une enveloppe rouge pour les grandes occasions et les moments importants.

En reprenant la formule de WeChat, Bytedance pourrait profiter d’un effet réseau très fort. D’abord, au vu de son nombre d’utilisateurs, mais aussi compte tenu de l’engagement de ses derniers. Point important : on ne peut pas refuser une enveloppe rouge. Il suffit donc que quelques early adopters passent le pas pour que tous leurs contacts deviennent utilisateurs de Douyin Pay, et émettent à leur tour des enveloppes, qui transformeront leurs destinataires en nouveaux utilisateurs - et ainsi de suite. 

Le paiement, stratégie clé pour développer le modèle économique de Douyin et Tiktok dans la bataille des super apps

Le paiement, c’est ce qui va permettre à Douyin de devenir une super app, en donnant de la cohérence et en apportant de la fluidité d’expérience à son écosystème de services variés. C’est donc un événement important dans la forme future que prendra ce géant. Si pour l’instant seul Douyin est concerné, cette initiative pourrait avoir un retentissement en dehors des frontières chinoises. En effet, si Bytedance répliquait sa stratégie sur Tiktok, il parviendrait à damer le pion à Facebook et ses percées dans le paiement (au travers de Whatsapp notamment), à Google, Apple (tous deux pionniers du paiement mobile) et à Amazon, qui a lancé quelques expérimentations dans le domaine financier. Il n’y a qu’à regarder les chiffres d’usages : en septembre 2020, les utilisateurs de Tiktok passaient 46 min sur l’app par jour vs 27 min sur Facebook. D’autant que les utilisateurs de Bytedance sont une audience relativement jeune, non captive des Gafa en Occident, et donc à conquérir. 

On peut rapidement faire le lien avec les annonces récentes du lancement de fonctionnalités e-commerce au sein de l’application Douyin et Tiktok, prouvant la volonté pour les réseaux sociaux, et notamment Bytedance, de gagner la bataille du social commerce en 2021, marché avec une croissance estimée à 35% d’après eMarketer. En effet, l’ajout de fonctionnalités e-commerce (possibilité d’acheter directement depuis les vidéos de marques ou d’influenceurs) ainsi que l’intégration d’une brique de paiement, maillon manquant aujourd’hui aux applications sociales occidentales (Instagram peine à déployer sa fonctionnalité “check-out”), permettrait de créer une expérience complète du parcours d’achat : de l’inspiration à l’acte d’achat, sans quitter l’application, et donc une source non négligeable de revenu pour ces acteurs.