Les néobanques se lancent dans les services de cryptoactifs : quelles conséquences pour les banques traditionnelles ?

A l'heure où les néobanques développent de plus en plus leurs services de cryptoactifs, les banques traditionnelles risquent d'être dépassées si elles n'accélèrent pas leur adaptation à ce nouveau marché.

Face à la demande croissante des clients, particuliers et professionnels, les banques traditionnelles doivent accélérer leur démarche pour proposer des services liés aux cryptoactifs si elles ne veulent pas être dépassées par les néobanques, dont certaines en proposent déjà, ni par l’arrivée imminente des cryptobanques.

Souvent pointé du doigt pour la volatilité de ses actifs, le marché des cryptoactifs est pourtant porteur. Avec une capitalisation de plus de 2000 milliards de dollars (dont plus de 1000 milliards sur 2021)[1], il attire aujourd’hui plus de 220 millions de personnes à travers le monde (et plus de 500 millions de personnes d’ici 2025)[2]. L’utilisation des cryptoactifs comme moyen de paiement se généralise. Certains cryptoactifs, tel que le Bitcoin, sont considérés comme une valeur de refuge et par certains pays comme une monnaie à part entière.

Le potentiel d’adoption des cryptoactifs, deux fois supérieur à celui d’Internet dans les années 2000, a convaincu certaines néobanques, comme Revolut, de proposer des services liés à l’achat et la vente de ces produits. Aujourd’hui, la néo-banque anglaise représente plus de 300 000 nouveaux portefeuilles de cryptoactifs créés par mois, 1,4 milliard de cryptoactifs sous gestion et plus de 15 millions de clients pouvant accéder à 21 cryptoactifs différents. Son concurrent allemand N26 a d’ailleurs annoncé la mise en place dès 2022 de son propre service lié aux cryptoactifs.

Quelles opportunités pour les banques traditionnelles ?

Le développement de services liés au cryptoactifs, d’ores et déjà ciblé par les néo-banques, va peu à peu devenir une norme. A la recherche de rendements plus attractifs, de plus en plus de clients de banques traditionnelles migrent une partie de leurs capitaux vers les néo-banques et les plateformes d’échanges de cryptoactifs. Pour les banques traditionnelles, il devient impossible de rivaliser avec les rendements que proposent ces classes d’actifs : même s’il y a de la volatilité, le ratio risque/bénéfice est intéressant sur le long terme. A terme, si les banques ne proposent pas d’alternatives, elles se retrouveront confrontées à l’accélération du départ de leurs clients et de leurs capitaux, au profit de ces nouveaux concurrents.

La mise en place de services autour des cryptoactifs représente une réelle opportunité pour les banques. Pour comprendre le potentiel des revenus liés à l’achat/vente de cryptoactifs pour un établissement bancaire, il suffit de voir la capitalisation boursière de la plateforme américaine d’échanges de cryptoactifs Coinbase pour comprendre le potentiel des revenus liés à l’achat/vente de cryptoactifs pour un établissement bancaire. Celle-ci est deux fois inférieure à celle de la plus grosse banque d’investissement au monde Goldman Sachs, avec une masse salariale équivalente à 4 % de celle de géant bancaire américain et réalise sur 2021 près de 2 milliards de chiffre d’affaires en un trimestre.

Dans un premier temps, les banques peuvent se tourner vers l’achat/vente, ou le staking de cryptoactifs – qui consiste à déléguer un montant de cryptoactif pour participer à la validation de transactions et assurer la sécurité du réseau blockchain auquel le cryptoactif est issu, en échange d’une rémunération associée au cryptoactif délégué. Les banques traditionnelles pourront alors :

  • Proposer à leurs clients de s’exposer aux fluctuations des cryptoactifs tout en générant une nouvelle source de revenus basée sur les ordres d’achat et de vente d’un cryptoactif à travers l’application de frais de commissions (qui sont actuellement entre 1.5-2.5% sur Revolut), auxquels peuvent s’ajouter d’autres frais de gestion ou d’assurances. En effet, les banques, acteurs historiques, ne sont pas nécessairement dans une stratégie de conquête mais plutôt de cross-selling ;
  • Générer des rendements passifs sur certains types de cryptoactifs achetés depuis leur compte bancaire ;
  • Se rémunérer à la fois à travers l’application de frais de gestion, mais aussi grâce aux rendements passifs des cryptoactifs mis en staking par leurs clients. Il est important de noter que, dans un système de staking, les rendements sont en cryptoactifs et ne tiennent pas compte de la volatilité de leur cours.

Ne disposant pas encore des compétences et de l'expertise sur ce marché, elles doivent investir massivement pour répondre aux attentes de leurs clients.

Et quelles implications ?

La mise en place de services liés aux cryptoactifs comporte une implication forte pour les banques à plusieurs échelles.

  • A l’échelle politique, les banques doivent être prêtes à reconnaitre la valeur des cryptoactifs. En France, la majorité d’entre elles refusent encore l’ouverture de comptes professionnels à des entreprises dont l’activité principale est liée à l’industrie des cryptoactifs et certaines empêchent toujours leurs clients, en 2021, de faire des virements bancaires vers des plateformes d’échanges de cryptoactifs ou des retraits depuis celles-ci sous peine de fermeture de leur compte bancaire. Les cryptoactifs sont encore considérés comme des véhicules présentant un risque pour la protection des investisseurs, dédiés au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme. C’est un choix fort auquel les banques en France vont devoir faire face, alors même que 55 % des plus grandes au monde sont exposées au Bitcoin et cryptoactifs.
  • Au niveau IT, les banques doivent mettre en place une infrastructure capable d’être en mesure de couvrir les risques liés aux cryptoactifs qu’elles veulent intégrer dans leur service, notamment au niveau de la gestion des accès et la protection des portefeuilles électroniques (wallets) qui assurent la conservation et les mouvements de transfert des cryptoactifs contre les vols et piratages.
  • A l’échelle organisationnelle, les banques vont devoir choisir le modèle de conservation de cryptoactifs qu’elles veulent mettre en place : en leur sein ou via un prestataire régulé par l’Autorité des Marchés financiers. Dans le cas du staking, les banques devront devenir validateur d’un ou plusieurs réseaux blockchain (qui aura un impact sur le rendement), ou bien passer par un validateur existant (qui porte un risque sur la gestion des cryptoactifs). Proposer des services de cryptoactifs implique la mise en place d’équipes dont les ressources ont des expertises fortes sur le marché des cryptoactifs et en blockchain, ainsi qu’une montée en compétences plus globale des collaborateurs autour des cryptoactifs.
  • Au niveau légal, les banques doivent être enregistrées auprès de l’Autorité des Marchés financiers en tant que prestataire de services d’actifs numériques, mais aussi communiquer et informer sur les risques associés à l’exposition sur des cryptoactifs. Il peut y avoir une perte totale du capital engagé pour les clients, notamment si le réseau blockchain associé au cryptoactif sur lequel ils se sont exposés est compromis.

L’engouement autour des services liés aux cryptoactifs va continuer à s’accélérer en 2022. Les banques en France doivent se positionner si elles ne veulent pas se laisser dépasser par une concurrence qui répond à la demande forte des clients. Il est fort à parier qu’elles vont choisir d’appliquer le même modèle de service que Revolut : permettre à leurs clients d’avoir accès à un nombre limité de cryptoactifs sans leur donner la possibilité une fois un ordre d’achat effectué de les transférer vers un portefeuille électronique blockchain (wallet) pour les utiliser directement sur un réseau Blockchain.

[1] source : https://crypto.com/eea/

[2] source : Économiste Willy Woo