Après The Merge, Ethereum est-il si décentralisé que ça ?

Après The Merge, Ethereum est-il si décentralisé que ça ? En faisant évoluer son consensus de validation, le protocole de Vitalik Buterin a réussi une prouesse technologique sans précédent dans le Web3. Mais ce n'est pas sans conséquence sur la décentralisation du réseau.

Nous sommes le jeudi 15 septembre 2022, 8h42 précise. The Merge vient de se dérouler avec succès. Les deux blockchains du protocole Ethereum, qui tournaient en parallèle, ont fusionné. La blockchain en preuve de travail (Proof-of-Work, PoW) s'est effacée au profit de la Beacon Chain, la blockchain en preuve d'enjeu (Proof-of-Stake, PoS). Pour plus de détail sur The Merge, vous pouvez consulter notre article rédigé plus tôt.

Le moment exact de la mise à jour n'a pas eu de conséquence directe sur le cours de l'ETH. Ethereum était tellement bien préparé que cela s'est réalisé sans encombre. Cependant, The Merge a eu une conséquence qui était crainte par certains, mais qui semblait peu réaliste : la centralisation du réseau. Or, force est de constater qu'une infime minorité de validateurs se partage une majorité des jetons immobilisés.

Une blockchain majoritairement partagée entre 5 entités

Le staking d'ETH, une fonctionnalité devenue la norme

Le passage du consensus PoW au consensus PoS a eu pour conséquence l'abandon du minage de l'ETH. Désormais, c'est le staking, ou l'immobilisation des jetons, qui est la technique utilisée.

Ce changement de consensus est applaudi par une large majorité de l'écosystème Web3 et au-delà. En effet, il consomme près de 100 fois moins d'énergie que la preuve de travail ! Pour rappel, la preuve d'enjeu permet à des personnes ou des protocoles, dénommés validateurs, de bloquer des jetons afin de participer à la validation des transactions. Le système choisit aléatoirement lequel des validateurs va valider un bloc de transactions. Or, plus on bloque de jetons, plus on a de chances d'être désigné.

Plusieurs observateurs critiquent un système "réservé aux riches", car il implique, à l'heure actuelle, de bloquer au moins 32 ETH (environ 43 000 euros au cours actuel) afin de pouvoir être désigné validateur. En outre, il existe des "super validateurs" qui accaparent une majorité de tokens immobilisés.

Cette tendance peut déjà s'observer sur d'autres protocoles PoS. Mais, ces derniers étant beaucoup moins médiatiques, cela a été passé sous silence. Et surtout, cela n'a jamais posé de problèmes. Néanmoins, pour la blockchain majoritairement utilisée par les applications décentralisées et les NFTs, c'en est un.

Une centralisation des ETH immobilisés

Lido est un protocole spécifiquement construit pour le staking d'ETH. Il fut d'ailleurs l'un des premiers validateurs de la Beacon Chain, alors qu'elle venait à peine d'être créée. Lido a donc attiré de nombreux investisseurs, du simple particulier à certains gros portefeuilles. Très vite, Lido a été vu comme un "super validateur, avec un super pouvoir : celui du contrôle d'une majorité des ETH immobilisés.

À ce jour, Lido détient 31 % des ETH en staking ! Certes, il y a beaucoup de petits porteurs qui ont déposé leurs ETH chez Lido, mais, en théorie, ils peuvent être conservés par Lido. Et ce dernier n'est pas seul, puisque trois plateformes d'échange se partagent également une part importante du gâteau.

En effet, Coinbase, Kraken et Binance détiennent respectivement environ 15%, 8,5% et 6,75% des ETH immobilisés. En ajoutant les 4% de Staked.us, on obtient environ 64 % des ETH immobilisés par seulement cinq entités ! Avec cette première lecture, difficile de ne pas nier les problèmes de décentralisation.

Quelques jours avant The Merge, on pouvait déjà observer une certaine dominance de quelques entités sur la Beacon Chain.. Mais l'actualité a voulu que seule la mise à jour importe, au prétexte d'un possible bug entraînant la chute du protocole. Or, le vrai problème a été mis sous le tapis.

Le risque de centralisation du réseau est-il fondé ?

Une centralisation évidente dans les chiffres

Si l'on regarde uniquement les chiffres, la réponse est évidente : oui, le nouveau protocole Ethereum est plutôt centralisé. Et on peut même aller plus loin, puisque les deux premières entités, Lido et Coinbase, détiennent 46% des nœuds du réseau. Comment peut-on parler de décentralisation lorsque deux entités possèdent près de la moitié du réseau ?

Cette centralisation est accentuée par la difficulté à devenir validateur. En effet, les 32 ETH minimum représentent une coquette somme, très élevée pour l'immense majorité des investisseurs en cryptomonnaies, même en période de bear market. Certes, il existe certaines parades pour remédier à cela, que nous allons voir plus loin. Mais cela ne remet pas en cause le constat de la centralisation.

Il se pourrait même que la problématique s'accentue. En effet, la limite de 32 ETH est temporaire. Plus le réseau va se développer, plus la limite va monter. C'est le propre de tout protocole blockchain utilisant le consensus de la preuve d'enjeu. Ce seront encore une fois les plus riches qui seront avantagés.

Les entités concernées sont assez muettes au sujet de cette mainmise sur le protocole Ethereum. Il faut dire qu'elles sont peut-être gênées, car il ne faut surtout pas une perte de confiance dans le réseau, ce qui serait catastrophique pour elles. Fort heureusement, il existe des parades pour éviter une centralisation néfaste à long terme.

Les parades d'Ethereum contre la centralisation

Nous considérons bien entendu que le protocole Ethereum est très sérieux. Il ne s'agit pas d'évoquer une possible arnaque. D'ailleurs, cette centralisation n'est clairement pas ce que veut Vitalik Buterin.

Pour éviter toute prise de contrôle du réseau Ethereum par une entité, le protocole prévoit qu'un validateur doit posséder non pas 50, mais 66% des ETH immobilisés pour effectivement en prendre le contrôle. C'est assez dissuasif. Certes, d'aucuns pourraient penser qu'il suffit que les cinq entités s'entendent, acquièrent les 2 % manquants et désignent un validateur. Théoriquement, c'est possible… mais cela ne se fera pas.

Le premier risque, c'est une véritable perte de confiance dans le réseau. Or, une perte de confiance entraîne une vente massive des ETH, incluant probablement les autres validateurs (34%). Or, qui a envie de posséder 66 % d'un réseau qui ne vaut plus rien ?

Le second risque, c'est une crise systémique pour tout l'écosystème Web3. Ethereum n'est pas Celsius ou Terra. C'est un protocole ancien, très majoritairement utilisé dans les NFTs et dans la finance décentralisée. La chute d'Ethereum sera un coup d'arrêt très brutal, peut-être définitif, à tous les rêves de la crypto-économie. Il faut donc à tout prix éviter que cette centralisation ne devienne un problème.