Christian Hecker (Trade Republic) "La moitié des clients de Trade Republic n'avaient jamais investi dans les marchés boursiers"

Cofondateur de Trade Republic, Christian Hecker appuis la stratégie de la plateforme sur la démocratisation des investissements boursiers en Europe.

Comment est né le concept de Trade Republic ?

Christian Hecker, cofondateur de Trade Republic. © Trade Republic

Trade Republic a été créé à Berlin en 2015 en partant du constat que les systèmes de retraite européens ne permettraient pas à une grande partie de la population de percevoir des revenus suffisants. Un foyer allemand ou français réussit à économiser en moyenne 300 euros par mois. Nous pensons que le meilleur moyen pour valoriser son patrimoine financier est d'investir dans les marchés boursiers. Ce milieu était historiquement réservé à une certaine catégorie de personnes car les frais pour acheter des actions étaient autrefois très élevés. Avec Trade Republic, chacun peut investir facilement, sans commission et en toute transparence dans différentes classes d'actifs financiers que ce soit les actions, les ETFs (exchange traded fund, ndlr), ou encore les cryptomonnaies.

Comment opérez-vous ?

Pour accomplir notre mission, nous avons réalisé que nous n'avions pas d'autre choix que de devenir une banque, ce que nous avons fait dès le départ  avant d'y ajouter différentes couches technologiques. Après l'Allemagne, Trade Republic s'est développé en France, qui est devenu notre second plus gros marché. L'entreprise opère aujourd'hui dans 17 pays dans la zone euro. A l'été 2021, nous avions révélé compter un 1 million de clients avec plus de 6 milliards d'euros d'actifs sous gestion. Nous prévoyons de poursuivre notre développement sur le continent européen dans des pays qui ne font pas partie de la zone euro, dont certains pays à l'Est ou au Nord, à l'image de la Suède.

Dans le contexte économique actuel, sur fond de flambée de l'inflation, avez-vous observé l'arrivée de nouveaux profils d'utilisateurs ?

Au cours des trois dernières années, et notamment pendant la crise du Covid, nous avons observé un intérêt croissant pour les marchés boursiers, qui étaient alors à la hausse. Aujourd'hui, avec la baisse et la volatilité des marchés, les utilisateurs se montrent moins actifs au quotidien. Pour autant, beaucoup de personnes continuent de créer des plans d'investissement programmés en investissant mensuellement dans des ETFs ou des titres boursiers.

L'environnement économique actuel n'a donc pas accéléré la tendance qui avait démarré pendant le Covid. Malgré tout, les utilisateurs, notamment les jeunes, ont conservé leurs habitudes. Il faut noter que la moitié de nos clients n'avaient jamais investi dans les marchés boursiers avant de s'inscrire sur Trade Republic. Cet indicateur est encourageant et montre que les Européens s'orientent de plus en plus vers les marchés boursiers pour faire fructifier leur épargne.

Vous avez rendu accessible l'option du trading fractionné permettant d'investir en fonction d'un montant et non d'un nombre de titres. Quel est l'objectif ?

L'investissement en bourse a été conçu comme un produit d'élite et son vocabulaire est souvent perçu comme complexe. Beaucoup de personnes ne comprennent pas bien le fonctionnement d'achat d'un titre boursier. En réalité, personne ne se lève un matin en se disant qu'il va acheter trois actions Tesla. Monsieur ou madame tout-le-monde se dit plutôt "je voudrais investir 1 000 euros dans Tesla". En rendant accessible le trading fractionné, nous permettons d'investir un budget souhaité dans n'importe quelle action ou ETF, tout en offrant les mêmes garanties et privilèges que pour un achat de titre boursier traditionnel. Il s'agit là d'une vraie innovation qui a nécessité un an de travail et que nous sommes les seuls à proposer en Europe.

Trade Republic propose également des plans d'investissement programmés. En quoi consistent-ils ?

Il s'agit de programmes d'achat automatique et récurrent d'actions ou d'ETF dont les clients peuvent choisir le montant et la fréquence d'achat. Ces programmes, gratuits et sans commission, permettent d'épargner de manière hebdomadaire ou mensuelle. Nous avons également lancé des thématiques d'investissements afin de rendre le choix plus clair. Nos clients peuvent ainsi mieux comprendre dans quoi ils investissent alors que les noms des ETFs sont souvent complexes. Nous proposons par exemple des thématiques telles que le metaverse, la Big Tech, les entreprises à impact, etc.

Que représentent les investissements dans les cryptomonnaies sur Trade Republic ?

Ils sont plutôt minimes. D'une part parce que nous avons mis un certain temps pour le proposer en Allemagne, Espagne et en Italie. Le 29 novembre dernier, nous avons lancé cette fonctionnalité en France, mais aussi en Autriche, Belgique, Irlande, Lettonie, Lituanie, Portugal, Slovaquie et Slovénie. Nous ne sommes pas une plateforme de trading. Ma conviction est que les cryptomonnaies représenteront une petite partie des portefeuilles de nos clients dans une logique de diversification, mais jamais la majorité. Il s'agit ici d'une option complémentaire que nous avons ajoutée à notre plateforme.

Comment vous rémunérez-vous ?

Nous percevons une commission à chaque fois que de l'argent est investi via notre plateforme. Nous partageons une partie des revenus avec les exchanges et nos partenaires techniques. Par exemple, les ETFs ont un coût et nous recevons donc une fraction de cette commission. Nous touchons également des commissions sur certaines opérations. Notre modèle pourrait laisser penser que notre but est d'inciter nos clients à trader autant que possible, mais ce n'est pas le cas. Notre objectif n'est pas de maximiser des revenus à court terme mais de générer des revenus récurrents à grande échelle. En clair, je préfère avoir 20 millions d'utilisateurs qui épargnent chaque mois 200 à 300 euros plutôt qu'un million d'utilisateurs qui font du trading quotidien sur du court terme. Nous voulons construire une relation de confiance et dans la durée avec nos clients en devenant leur tirelire personnelle.

Comment voyez-vous Trade Republic évoluer dans les années à venir ?

Après avoir réalisé une levée de 900 millions de dollars en juin 2021 menée par Sequoia, nous avons annoncé une nouvelle extension de 250 millions en juin 2022. Nous avons la chance de compter parmi nos investisseurs des fonds tels que Accel ou Funder Funds, le fonds de Peter Thiel. Malgré l'environnement macro-économique compliqué, nous sommes dans une situation privilégiée de pouvoir continuer à investir dans notre croissance. Nous allons continuer à offrir autant de services que possible pour permettre à nos clients de faire fructifier leur épargne.

Une entrée en bourse est-elle à l'étude ? Pourquoi cette stratégie très centrée sur l'Europe ?

Je ne vois pas d'IPO dans un horizon proche. L'entreprise a suffisamment d'argent en banque et nous n'avons pas besoin d'en lever davantage pour le moment. Beaucoup pensent que l'Europe n'est pas un marché intéressant pour une plateforme comme Trade Republic car les Européens n'investissent pas dans les marchés boursiers mais nous sommes convaincus du contraire. Si dans les 50 prochaines années, une majorité d'Européens commence à investir en bourse, cela pourrait devenir un marché gigantesque. Nos investisseurs, tels que Sequoia Capital ou Peter Thiel, partagent la même conviction.

Comptez-vous intégrer, à terme, la possibilité d'investir dans des entreprises non-cotées ?

Cela fait effectivement partie des outils permettant de faire fructifier son épargne. Pour autant, la plupart des modèles actuels n'offrent pas suffisamment de transparence et de fiabilité, ce qui ne nous permet pas de proposer à nos clients cette classe d'actif pour le moment. Il reste encore du travail pour que ce type d'investissement devienne pertinent.

Christian Hecker a cofondé Trade Republic en 2015 avec Thomas Pischke et Marco Cancellieri. Il a aujourd'hui en charge la stratégie et le développement de la société. Avant cela, il avait travaillé dans le secteur bancaire et financier, dont notamment chez Bank of America et Merrill Lynch. Il est diplômé d'un premier bachelor en business administration et d'un second en philosophie de l'université Ludwig Maximilians University à Munich.