Le staking en péril aux US, la crypto mondiale menacée ?

Le staking en péril aux US, la crypto mondiale menacée ? Le régulateur financier américain a le staking de cryptos dans le collimateur depuis plusieurs mois. Et il est désormais passé aux actes, avec l'obligation pour Kraken de fermer son service.

Tout a été très vite. En quelques heures, la plateforme d'échange Kraken a décidé ce 9 février de fermer son service de staking à destination de ses clients américains. Tout en étant d'accord pour payer une somme de 30 millions de dollars à la Securities and Exchange Commission (SEC), l'un des régulateurs financiers américains.

Alors que le marché crypto était en furie depuis le début de l'année, le BTC et l'ETH ont chuté de plus de 5% en quelques heures. Il faut dire que cette nouvelle est loin d'être anodine. La SEC avait déjà eu le pouvoir d'empêcher une plateforme de lancer une fonctionnalité, comme le lending chez Coinbase. Mais c'est bien la première fois que le régulateur financier réussit à faire retirer une fonctionnalité aussi importante. La raison ? Négociation de titres financiers non enregistrés

La menace sur les autres plateformes américaines est désormais réelle. Comment le staking de Coinbase ou d'un autre serait différent de celui de Kraken ? Ainsi, l'activité de staking pourrait être menacée sur tout le territoire américain. Or, qui dit Etats-Unis, dit menace mondiale.

Staking aux Etats-Unis : que reproche le régulateur financier américain ?

L'absence d'enregistrement en tant que titre financier

Le staking est une fonctionnalité liée au mécanisme de consensus de la preuve d'enjeu (proof of stake). Il permet aux utilisateurs d'immobiliser leurs cryptos ou tokens pour sécuriser une blockchain. En échange de leur participation, ils sont rémunérés dans la crypto ou le token en question. Vous pouvez consulter notre article sur le staking pour aller plus loin.

Que peut donc bien reprocher la SEC à cette fonctionnalité ? Le régulateur financier comprend plutôt bien ce qu'est le staking. Ce qu'elle aime moins, c'est la communication qui en est faite autour. En effet, toutes les plateformes centralisées proposant ce service mettent en avant le rendement (APY pour Annual Percentage Yield ou APR pour Annual Percentage Rate). Ceci assimilerait de facto le staking à un titre financier.

Or, afin d'être proposés aux résidents américains, les titres financiers (securities) doivent être enregistrés et régulés par la SEC. Dans le cas contraire, c'est une vente de titres financiers non autorisés, une infraction financière outre-Atlantique. Comme Kraken ne semble pas avoir eu la force de contredire l'argumentation de la SEC, la plateforme a préféré payer et arrêter son service aux Etats-Unis. Pourtant, il y a bien de quoi discuter.

Le staking peut-il réellement être assimilé à un titre financier ?

Pour savoir si un actif est un titre financier, la SEC applique le test de Howey avec ses quatre points : investissement financier, dans une entreprise, avec un retour sur investissement attendu, basé sur le travail d'autres personnes. C'est typiquement le cas d'une action d'entreprise. Mais le staking est-il réellement un titre financier ?

Si l'on prend les choses de manière assez basique, il y a bien un investissement financier et un retour sur investissement attendu. Il est même possible de compter sur le travail d'autres personnes si l'on délègue ses cryptos, ce qui est clairement le cas sur une plateforme d'échange. Et cette plateforme ? Il s'agit d'une entreprise ! A première vue, le staking pourrait bien être assimilé à des titres financiers.

Mais il y a également des arguments contraires. Tout d'abord, la plateforme n'est qu'un intermédiaire entre ses clients et le protocole en question. En d'autres termes, le client investit non pas dans une entreprise, mais sur un protocole. En outre, les intérêts du staking ne sont pas des ventes, mais bien des récompenses offertes aux personnes immobilisant leurs cryptos ou tokens. Or, généralement, un titre financier s'achète et se vend.

Le gros point noir qui pencherait en faveur de la SEC, c'est la communication. En effet, les plateformes d'échanges centralisées évoquent le rendement avant même la nécessité technologique du staking. Ainsi, la SEC assimile ce type de staking à des "livrets cryptos", et donc à des titres financiers. C'est la raison pour laquelle le staking effectué directement sur un protocole décentralisé n'est, pour l'instant, pas dans les mauvais papiers de la SEC. Mais cela pourrait le devenir indirectement.

Staking aux Etats-Unis : quelles conséquences pour l'écosystème crypto ?

Une conséquence immédiate : une potentielle interdiction du staking pour les Américains

Kraken a donc cédé aux injonctions de la SEC avant même le début des hostilités. En d'autres termes, il n'y a même pas eu de procédure, mais un arrêt du service de staking aux Etats-Unis assorti d'une somme de 30 millions de dollars à payer.

La conséquence immédiate est donc prévisible : les autres plateformes centralisées proposant du staking à leurs clients vont très probablement devoir arrêter leur service pour les résidents américains, à commencer par Coinbase. Brian Armstrong, le PDG de Coinbase, se montre d'ailleurs très inquiet. Dans une série de tweets, il souhaite instaurer un dialogue plutôt qu'une interdiction pure et simple. Armstrong défend l'idée que le staking ne doit être pas regardé comme un investissement financier, mais comme une innovation technologique indispensable au fonctionnement de la blockchain.

Objectivement, il est difficile de lui donner tort, le staking existe bien pour faire tourner un réseau, non pour donner de l'argent à ses participants. Il faut cependant revoir la communication autour qui en est faite. Parce que cet éventuel dialogue est vital pour le fonctionnement de certains protocoles, dont les nœuds validateurs sont très présents aux Etats-Unis.

Une conséquence potentielle : des protocoles en danger ?

Il y a quelques mois, peu après le changement de consensus de validation sur le protocole Ethereum, l'OFAC (Office of Foreign Assets Control), une autre agence de régulation financière américaine, considérait que la majorité des adresses Ethereum était soumise à sa juridiction. Sans entrer dans le détail technique, plus de 50 % des blocs Ethereum ont "choisi" de se soumettre à la juridiction américaine par le biais de leur méthode de construction (MEV-Boost).

Or, si le staking devient interdit sur le territoire américain, on peut craindre pour la survie même des protocoles. En tout cas, c'est ce que certains veulent nous faire croire. Comme toujours, la réalité n'est pas aussi noire. Dans un premier temps, si l'ensemble du staking est réellement interdit sur le territoire américain, le réseau pourrait ralentir et serait surtout plus vulnérable, puisqu'il y aurait moins de validateurs donc moins de sécurité. Ce serait une période critique à passer, mais potentiellement très courte.

Les nœuds validateurs américains seraient remplacés par d'autres très rapidement et cela pourrait potentiellement renforcer la décentralisation géographique. À moins que l'Union européenne ou d'autres juridictions prennent une décision similaire à terme. Mais nous en sommes loin.