Demain, nous devrons repenser l'espace et le logement

"Et si le vrai luxe, c'était l'espace ?" Ce célèbre slogan nous apparaît aujourd'hui cruellement visionnaire. Oui, le confinement nous fait prendre conscience que, dans nos sociétés congestionnées, l'espace est un bien rare, précieux et vital. Quelle plus grande inégalité en cette période que celle qui existe entre ceux qui possèdent une maison avec jardin ou qui ont pu acquérir une résidence secondaire, et ceux qui doivent passer leurs journées seuls entre quatre murs ?

La situation actuelle exacerbe à l'outrance des inégalités qui ont toujours existé, mais que le temps passé hors les murs ne permet plus de tempérer.

Aussi, la crise actuelle va nécessairement nous amener à repenser la façon dont nous organisons individuellement et collectivement nos espaces de vie. Si une minorité d’urbains risquent de quitter les villes au sortir de la crise au profit de plus grands espaces, la grande majorité d’entre nous vont y rester et l’attractivité des centres urbains va se renforcer pour les étudiants souhaitant allonger leurs études et tous ceux qui seront à la recherche d’un travail. La pression sur le logement va continuer à s'accentuer, alors même que la situation est intenable à long terme. Nos espaces doivent être mieux adaptés aux contraintes de l'urbanisme existant : mieux connecter les campagnes et repenser le bien vivre en ville. Mais point de destruction créatrice possible en urbanisme : la ville et le monde de demain ne peuvent être repensés et reconstruits que sur la ville d'aujourd'hui. 

Le 17 mars dernier, des millions de Français se sont réveillés télétravailleurs, et avec la progressivité annoncée du déconfinement, ils vont sans doute le rester de nombreuses semaines encore. Combien d’entreprises, jusqu’alors réticentes au télétravail, devront alors admettre que leurs collaborateurs sont tout aussi impliqués et efficaces ? Combien, aussi, feront leurs comptes et y verront de significatives économies potentielles de locaux et de transports ? Combien de travailleurs, enfin, demanderont à conserver ce mode de fonctionnement qui les soulage de leurs allées et venues quotidiennes, et qui leur offre un nouvel équilibre entre vie personnelle et professionnelle ? Mais ces changements ne sont pas neutres en termes d’espaces. Ils impliquent la possibilité de pouvoir s'isoler, d’avoir un espace dédié au travail, la généralisation d’outils dédiés ainsi qu‘une connexion internet à toute épreuve.

Ce basculement vers le télétravail n’est que l’une des habitudes que les Français ont été soudain contraints de changer. Confinés, il leur a fallu se réapproprier leur domicile. Alors qu’ils n’y sont d’ordinaire qu’épisodiquement, ils y passent désormais tout leur temps. Leurs activités y sont aussi plus variées. Travail, sport, loisirs, cuisine, bricolage s’y côtoient et s’y succèdent, et ils doivent réorganiser les lieux pour créer chaque fois des conditions appropriées. Mais ils constatent aussi douloureusement les limites de leurs logements : l’éloignement problématique pour ceux qui doivent sortir, la promiscuité pour certains, la solitude pour d’autres, la violence parfois…

Beaucoup redécouvrent aussi le poids de l’isolement et le plaisir, pour ne pas dire la nécessité, d’échanger avec sa famille, ses amis, ses collègues, ses voisins. La technologie aide grandement à maintenir ce lien social – qu’aurait été le confinement il y a quinze ans à peine, sans haut débit ni smartphones ? –, mais force est de constater qu’elle ne fait pas tout. Ceux qui se sont établis en famille ou entre amis mesurent comme jamais peut-être la valeur des contacts réels tout autant que l’importance de pouvoir disposer d’intimité comme soupapes aux inévitables tensions de la vie en commun.

En réalité, rien de tout cela n’est réellement révolutionnaire. Nous redécouvrons seulement des besoins très naturels que nous avions peut-être eu trop tendance à sacrifier à l’idéal de l’habitat individuel. Pour que nos logements puissent répondre durablement à nos besoins essentiels dans un monde d’incertitudes et de rapides mutations économiques, sociétales et environnementales, nous devrons sortir de ce modèle unique et imaginer, en parallèle, d’autres façons de vivre et de concevoir l’espace.

Nous pourrions ainsi mutualiser davantage les espaces fonctionnels qui restent trop souvent inoccupés, de manière à libérer de la place par ailleurs, à réaliser des économies et à créer des opportunités de socialisation. Les personnes seules, par exemple, gaspillent énormément de ressources spatiales et matérielles au détriment de leur propre confort. Nous devrons sans doute vivre dans des espaces plus modulaires, capables de s’adapter aux usages quotidiens – une cuisine sera aussi un bureau, puis une salle de sport –, mais aussi, à plus long terme, à des évolutions des mœurs et des modes de vie impossibles à prévoir. Il faudra aussi veiller à sanctuariser les espaces personnels pour y garantir le calme, l’intimité et la sécurité.

En accord avec ces principes, des questions se poseront également sur le dimensionnement et l’organisation de nos habitats collectifs. S’il n’est pas soutenable d’être isolé, il l’est encore moins d’être entassés. Il faudra envisager des unités à taille humaine, d’une douzaine de personnes au maximum, échelle familiale propice au développement de liens, de solidarités et de protections impossibles dans de grands ensembles anonymes. Ce principe de petites communautés permet d’éviter l'anonymat et la solitude, sans les risques sanitaires liées à la vie en plus grande communauté. C’est une échelle qui permet aussi de mutualiser sans déresponsabiliser, et de limiter les nuisances. Echelle, enfin, qui peut permettre de mieux entourer les personnes vulnérables – femmes seules, personnes âgées et dépendantes… – tout en rapprochant les travailleurs jeunes et les étudiants des centres-villes.

De l’urbanisme au mobilier en passant par les services et l’architecture, c’est tout l’écosystème du logement qui devra œuvrer à ces mutations : pour les utilisateurs c'est une évidence, mais il faudra aussi que les décideurs suivent le mouvement. Constructeurs, investisseurs et pouvoirs publics doivent se rendre compte que ces transformations - des espaces, des prestations, des services - sont en effet nécessaires pour atteindre la résilience souhaitée de nos ensembles urbains.

La crise du Covid-19 nous montre que des changements que nous ne pensions possibles qu’en plusieurs années peuvent s’installer très vite s’ils répondent à des nécessités impérieuses et à nos aspirations essentielles. Nous avons besoin d’espace, de nature, de contacts humains, de sécurité. Au début des années 1970, la communauté était un idéal pour ceux qui rêvaient de changer le monde. Et si, cinquante ans plus tard, au moment où il nous faut sans plus tarder passer du rêve à la réalité, elle redevenait la solution ?