Scalabilité ou résilience : les proptechs face au crash-test du réel

Après une forte croissance grâce à l'innovation, le secteur ralentit, fragilisant les modèles économiques de nombreuses proptechs conçues pour une expansion durable.

Après une phase d’expansion rapide, portée par l’innovation et un marché porteur, le secteur immobilier entre dans une période plus contrastée. Ce contexte met à l’épreuve les modèles économiques de nombreuses proptechs, initialement conçues pour accompagner une dynamique de croissance continue.

Ces fragilités soulèvent une question centrale : la scalabilité, telle qu’elle a été pensée dans la tech immobilière (fondée sur l’automatisation, la segmentation et la standardisation) est-elle réellement adaptée à un marché structurellement cyclique ? Sur le terrain, la réponse semble de plus en plus claire : les structures trop rigides peinent à encaisser les chocs.

Les organisations en silos résistent mal aux chocs

Beaucoup de proptechs ont été bâties sur une logique de spécialisation extrême : chasse, vente, travaux, gestion, chaque étape est pilotée par une équipe distincte. Si cette répartition peut sembler efficace en période de croissance, elle devient un frein dès que le marché ralentit.

Quand l’activité se contracte, certaines fonctions se retrouvent sans charge tandis que d’autres sont sous tension. L’organisation devient rigide, incapable de redéployer ses ressources ou de s’adapter rapidement. Ce déséquilibre entraîne désalignement, perte d'efficacité… et parfois paralysie.

L’industrialisation affaiblit l’intelligence de projet

En cherchant à tout optimiser, certains modèles ont progressivement appauvri ce qui fait la singularité de l’immobilier : la capacité à appréhender un projet dans sa globalité. Découper les parcours clients en micro-tâches, chacune confiée à un profil ultra-spécialisé, peut améliorer l’efficience opérationnelle mais souvent au détriment de la cohérence et de la qualité du conseil.

Or l’immobilier n’est ni un produit standardisé, ni une décision purement rationnelle. Il mobilise du contexte, de la subjectivité, de l’interprétation. En poussant trop loin l’industrialisation du service, on perd ce qui compte le plus : la capacité à écouter, à arbitrer, à ajuster chaque projet à sa réalité. Autrement dit, à délivrer une prestation réellement utile et adaptée.

La segmentation fragilise l’expérience client

Un projet immobilier peut déjà être source de stress. Le fait de devoir interagir avec cinq ou six interlocuteurs distincts tout au long du parcours complique encore l’expérience : perte de continuité, redites, incompréhensions, erreurs.

Dans un marché plus exigeant, les clients recherchent de la clarté, de la fluidité, un contact unique ou au moins cohérent. Les modèles capables de maintenir une relation stable, lisible et personnalisée d’un bout à l’autre du projet sont aussi ceux qui construisent le plus de confiance — et donc de valeur.

La vraie scalabilité est humaine, pas mécanique

Scalabilité ne veut pas dire seulement "automatiser pour croître vite". Cela signifie aussi pouvoir s’adapter quand le contexte change. Dans un secteur aussi humain, localisé et cyclique que l’immobilier, la polyvalence et la souplesse organisationnelle sont des leviers bien plus puissants qu’on ne le pense.

Cela implique de miser sur des profils capables d’endosser plusieurs rôles, de comprendre l’ensemble de la chaîne de valeur, et de pivoter si nécessaire. Les structures qui favorisent cette agilité interne, plutôt que la superposition de fonctions cloisonnées, s’avèrent souvent plus économes, plus réactives, et plus durables.

La crise actuelle agit comme un révélateur. Elle montre que croître rapidement n’est pas une fin en soi, et que la robustesse d’un modèle se mesure aussi à sa capacité à ralentir sans rompre, à absorber les chocs sans se désorganiser.

La scalabilité n’est pas seulement une affaire de technologie ou de process. C’est un équilibre entre efficacité et adaptabilité, entre structure et intuition. Dans l’immobilier, peut-être plus qu’ailleurs, les modèles qui dureront seront ceux capables de s’ajuster, pas seulement de s’étendre.