Au premier plan avec le sujet StopCovid, la traçabilité des données est l'enjeu du 21e siècle

La crise sanitaire qui nous touche amène la question de la traçabilité de nos données de géolocalisation. Il convient de s'interroger de manière beaucoup plus large et de ne pas limiter le débat au seul enjeu sanitaire.

De nombreux cas d’usages nécessitent en effet une traçabilité de nos activités avec un intérêt à la fois personnel et collectif

Comment, par exemple, réduire notre consommation énergétique et plus largement notre empreinte carbone sans un suivi précis de nos activités et de nos actions ? Comment monitorer au mieux notre santé sans un suivi précis de nos activités physiques, de notre alimentation, de notre environnement ainsi que certains indicateurs tels que notre pouls ou notre tension ? Comment inciter des citoyens à mieux trier leurs déchets sans une traçabilité précise de leurs poubelles ? Comment optimiser l’utilisation des espaces dans les locaux d’activité ou optimiser une intervention en cas de crise (incendie, attentat, ...), sans tracer la position de chaque usager ? Comment autoriser le partage d’espaces ou de mobilité sans un minimum de traçabilité, a minima pour des raisons de sécurité ou de suivi de l’usage des biens ? La liste est longue et nombreux sont les cas d’usages pour lesquels le tracking de nos activités ou de nos actes pourraient avoir des répercussions bénéfiques aussi bien sur nous-même qu’à la communauté.

La question vaut également pour la traçabilité d’un produit ou d’un service. Comment évaluer l’empreinte carbone d’un produit fini sans traçabilité de ses composants, de sa production, de sa logistique, de sa promotion ? Il apparaît clairement que nous ne pourrons bénéficier pleinement du digital sans intégrer la traçabilité qui est de fait un maillon clé du smart. 

A ce stade la question n’est donc pas de savoir si la traçabilité est une bonne chose ou non, mais d’en définir les règles d’usage

Il s’agit de définir quand, comment, dans quel contexte, pour quelle finalité, à quel niveau et à quelle échelle la traçabilité peut être utilisée. Il est important de définir des règles éthiques d’utilisation de cette traçabilité, qui doit être avant tout volontaire, incitative et positive : en particulier, elle doit être maîtrisée en mode bottom-up et non pas top-down et toujours être soumise à l’approbation de l’individu ou du collectif à l’origine de la donnée. De plus, elle doit être envisagée à échelle variable en fonction du contexte, que ce soit un individu, une famille, une résidence, un quartier, une collectivité, une entreprise, une communauté de tout type, une région, un État, une fédération, un continent, la planète. Si le sujet est une pandémie, comme nous la connaissons aujourd’hui, ou la réduction de l’empreinte carbone, l’échelle peut et doit être planétaire. Si l’enjeu est l’incitation d’un collectif au tri des déchets ou à des économies d’énergie par exemple, l’échelle sera beaucoup plus locale (un immeuble ou une collectivité).

Dans cette organisation bottom-up de la traçabilité, l’enjeu est de pouvoir établir des interfaces, véritables ponts levis, pouvant être actionnés en cas de crise (attentat, incendie, sinistre environnemental, accident, …). Et bien sûr, la donnée personnelle doit rester anonymisée, plutôt localisée au plus près de l’usage (edge et non cloud, c’est-à-dire smartphone ou passerelle de communication par exemple) à la fois pour des raisons de sécurité et de consommation énergétique. Mais elle doit rester accessible en temps réel par des tiers accrédités (tiers de confiance) et dans des cas particuliers prédéfinis et réglementes, l’anonymisation pourra être alors levée.

C’est un cadre éthique avant d’être technologique que nous devons aujourd’hui définir pour l’utilisation de la traçabilité

Ce cadre conditionnera le développement de nouveaux modèles économiques basés sur une évaluation et une valorisation de ces traçabilités permettant à la fois la répartition d’investissements et le partage de revenus. A titre d’exemple, la ville de Lahti en Finlande a montré l’exemple avec la mise en place d’un jeu incitant potentiellement les 150 000 citadins à tracer leur empreinte carbone pour arriver collectivement à l’ambitieux défi d’une neutralité carbone en 2030. Nous sommes bien sur de l’incitatif, du volontariat et du bottom-up. C’est tout le contraire de l’orientation prise par certains États comme la Chine. C’est également le contraire de la voie prise par les GAFAM et notamment dans le cadre de l’application StopCovid puisque toutes les données personnelles seront gérées dans un cloud privé sans aucun réel regard sur leur exploitation possible à d’autres fins et ceci dans le temps.

C’est cette utilisation-là du numérique que nous devons promouvoir. C’est personnellement la voie que je pousse à la fois en tant que président de la SBA (Smart Buildings Alliance for Smart Cities), qui travaille sur ce cadre, et en tant que président du fonds MAJ qui veille à inventorier et expliciter les apports de cette traçabilité positive. Du cadrage de cette traçabilité découlera notre gouvernance et quelque part l’avenir de notre société.