J-M Janaillac et Y. Leriche (Transdev) "Chaque opérateur doit ouvrir ses données de transport"

Avant de quitter la présidence de Transdev pour rejoindre Air France au même poste, Jean-Marc Janaillac fait le point, avec son directeur de la performance Yann Leriche, sur trois années riches en d'innovations.

JDN. Vous allez quitter cet été votre poste de PDG de Transdev pour prendre la direction d'Air France. Que retenez-vous des 3 années passées à la tête du transporteur français en termes d'innovations ?

Jean-Marc Janaillac, PDG de Transdev. © Franck Dunouau / Transdev

Jean-Marc Janaillac. Nous avons été très actifs sur l'innovation incrémentale pour améliorer nos services dans les transports collectifs classiques. L'usager veut désormais avoir accès à un calcul d'itinéraire en temps réel et intermodal, ce qui n'était pas le cas il y a encore 10 ans. Notre filiale aixoise Cityway développe ainsi des trip planners, comme Optimod'Lyon ou Triplinx à Toronto, c'est-à-dire des outils permettant d'obtenir sur son smartphone la meilleure combinaison possible de modes de transports pour aller d'un point A à un point B. Ce système est totalement intermodal et inclut même le covoiturage ou l'autopartage. Il est aussi prédictif, contrairement à des applications comme Waze ou à Moovit, grâce à l'analyse de data et au calcul prévisionnel. Nous testons aussi de nouveaux moyens de paiement, notamment le sans contact à Grenoble, par smartphone à Nantes et bientôt par SMS à Rouen.

Des innovations "disruptives" ont également été lancées, avec de nouveaux modes de transport partagé. Nous sommes convaincus que le transport public est en train de se transformer en service de mobilité avec, sous l'impulsion des nouvelles technologies, une combinaison entre des modes de déplacement classiques et des services d'économie collaborative. Nous avons notamment développé des systèmes de taxis collectifs, avec Split à Washington et Abel à Amsterdam, et du covoiturage urbain avec Fleetme, sur des trajets où il n'y a pas assez de demande pour créer une ligne de bus mais sur lesquels on peut organiser des services partagés sur des véhicules individuels.

Est-ce indispensable aujourd'hui pour Transdev de se lancer dans l'économie collaborative ?

Jean-Marc Janaillac. Nous ne faisons pas de l'économie collaborative pour dire que l'on en fait, mais parce que c'est une réponse à un besoin réel. Aujourd'hui, les agglomérations se sont étendues, avec des communes éloignées et peu peuplées pour lesquelles le problème du transport est très difficile à résoudre car leur densité n'est pas suffisante pour créer de nouvelles lignes de bus et les systèmes de transport individuel à la demande sont chers. Donc la solution est l'économie collaborative organisée. Le partage commence aujourd'hui à entrer dans les habitudes, notamment parce qu'il est rendu plus facile grâce au smartphone.

Le numérique est-il en train de vous permettre de devenir un opérateur BtoC ?

Jean-Marc Janaillac. C'est effectivement un enjeu car cela nous permet de beaucoup mieux comprendre les besoins des usagers et de communiquer avec eux. Avant, nous faisions des enquêtes origine-destination pour connaitre la demande de transport. Elles étaient très coûteuses et ne nous donnaient qu'un aperçu à un moment donné de la mobilité sur une zone géographique donnée. Aujourd'hui nous avons beaucoup d'autres sources de données, dont certaines en temps réel, qui nous permettent de mieux comprendre les dynamiques de déplacement. La relation numérique avec le client, via son smartphone, permet par ailleurs d'être en contact direct avec lui, de dialoguer, et de mieux répondre à ses besoins de manière souple et évolutive.

Vous travaillez avec des start-ups sur l'ouverture de vos données de transport aux développeurs. Comment l'open data peut-il améliorer l'efficacité et la compétitivité de Transdev ?

Yann Leriche, directeur de la performance de Transdev. © Transdev

Yann Leriche. C'est là une condition indispensable pour pouvoir apporter une information multimodale aux usagers et créer de nouveaux services de mobilité. Nous pensons indispensable que chaque opérateur ouvre ses données de transport, comme l'emplacement de ses arrêts et les horaires de passage. Techniquement ce n'est pas toujours simple, et c'est parfois coûteux, mais c'est une condition nécessaire à l'émergence de services globaux de mobilité, que nos clients nous demandent, et qui permettent de faciliter l'usage des transports partagés. Nous développons activement ce type de services, en nous appuyant sur les données de transport ouvertes, que nous en soyons l'opérateur ou non. Nous ne croyons pas en un modèle fermé qui se limiterait à agréger seulement les moyens de transport que nous exploitons.

L'open data n'est-elle pas aussi un risque de voir arriver de nouveaux concurrents ?

Yann Leriche. Nous ne sommes pas gênés par le fait qu'il y ait de la concurrence. Le risque vient des acteurs qui sont déjà en position dominante dans la relation avec le consommateur, qui pourraient en profiter pour intégrer de façon indissociable des services de mobilité à leurs offres. Ce n'est pas l'open data qui pose problème, mais la position dominante d'entreprises au sein de certains écosystèmes.

A quoi ressemblera l'offre de transport dans 10 ans, comment le métier va-t-il changer avec le numérique ?

Jean-Marc Janaillac. Ce que l'on imagine chez Transdev, c'est l'arrivée progressive des véhicules autonomes sur les 10 prochaines années, en particulier dans les villes. Les voitures sans chauffeur permettront notamment de répondre à la demande de transport du " dernier kilomètre ". Mais de quelle manière précisément et à quelle échéance, c'est très difficile à dire…

Yann Leriche. Nous sommes depuis cette année le premier opérateur à travailler avec des navettes sans chauffeur, sur la centrale nucléaire EDF de Civaux, en partenariat avec Navya. Ce projet nous permet d'accumuler de l'expérience et de récolter des données sur la façon dont les passagers utilisent au quotidien ce nouveau mode de transport. L'objectif est à terme de monter en difficulté en allant sur des sites publics.

Quelles innovations n'avez-vous pas eu le temps de lancer chez Transdev et que vous auriez voulu lancer ?

Jean-Marc Janaillac. J'aurais voulu faire Uber avant Uber (rires)… Nous sommes très bons sur l'innovation incrémentale mais nous avons beaucoup plus de mal à faire du disruptif. C'est la raison pour laquelle nous avons créé en septembre  2015 un incubateur d'innovation, Transdev Digital Factory, qui rassemble des gens d'horizons, professionnels et géographiques, très différents pour trouver de nouveaux process ou business models, et lancer rapidement des innovations. Nous pensons que cela nous permettra de prendre de l'avance par rapport à la concurrence sur le transport partagé.

Quels seront vos principaux chantiers d'innovation chez Air France ?

Jean-Marc Janaillac. Je n'ai pas encore vraiment eu l'occasion d'y réfléchir. Il y aura sûrement des révolutions mais elles ne viendront pas de là où on les attend. Les nouvelles technologies, et notamment le smartphone, changent également les usages dans ce secteur et il faudra là aussi trouver de nouveaux services innovants à proposer aux passagers.